« Je ne suis pas sûr que Mahmoud Abbas surnagera
longtemps après notre retrait de la bande de Gaza. »
Prononcée dans le cadre d’une interview accordée au
quotidien de Tel-Aviv Yediot Aharonot le 29 avril,
cette petite phrase du patron des renseignements
militaires israéliens Aaron Zeevi Farkash résume bien
l’avis des responsables politiques et militaires de
Jérusalem. Pour eux, le récent sommet
israélo-palestinien de Charm-el-Cheikh ne débouchera
pas sur la reprise du processus de paix mais, au
contraire, sur le déclenchement d’un nouveau cycle de
violence.
Selon les services de l’Etat hébreu et surtout le
Shabak (la Sûreté générale, notamment chargée de
pénétrer les organisations palestiniennes), un
troisième round d’intifada reprendra sans doute à
l’automne, dans la foulée des élections législatives
palestiniennes du 17 juillet prochain et du
démantèlement des colonies juives de Gaza censé
débuter le 15 août.
Vues d’Europe, ces prédictions semblent sans doute
alarmistes, puisque le président palestinien et Ariel
Sharon multiplient les appels à la reprise du
dialogue, et que la communauté internationale
multiplie les initiatives favorisant la collaboration
entre les deux parties. Pourtant, sur le terrain, rien
n’a vraiment changé depuis le sommet de
Charm-el-Cheikh. Il suffit d’ailleurs de circuler dans
les territoires pour constater l’omniprésence
militaire israélienne et entendre gronder la
population palestinienne qui ne profite guère de la
tadiyeh (l’accalmie proclamée en mars par les
organisations combattantes).
Certes, au terme de négociations laborieuses, l’Etat
hébreu a restitué à l’Autorité palestinienne (AP) deux
des six villes de Cisjordanie qu’elle occupait depuis
2001. Mais Tsahal continue de les encercler et d’y
mener des opérations coup de poing comme si le sommet
de Charm-el-Cheikh n’avait jamais eu lieu. Cela alors
que la colonisation de la Cisjordanie se poursuit de
plus belle et que la construction du « mur de
séparation » entre dans sa phase finale. Quant à la
question des sept mille cinq cents prisonniers
palestiniens détenus par Israël - un problème « majeur »
pour l’opinion des territoires - elle n’est toujours
pas résolue. Quatre cents d’entre eux (des petits
poissons) ont bien été libérés après le sommet de
Charm-el-Cheikh mais Sharon en avait promis plus du
double.
Résultats ? Malgré la réforme des services de sécurité
palestiniens entamée par Abbas, qui a remplacé leurs
chefs corrompus ou incompétents, les accrochages avec
Tsahal ont augmenté de 317% depuis le 1er avril. Les
tirs de roquettes artisanales Kassam sur la ville
israélienne de Sderot ont repris et les manifestations
violentes contre la poursuite de l’occupation sont
redevenues aussi quotidiennes que les tentatives de
perpétrer des attentats-suicides à l’intérieur de
l’Etat hébreu.
Considérant eux aussi la reprise des hostilités comme
« inévitable », le Hamas, le Djihad islamique, le FPLP
et les « Comités d’opposition populaire » narguent Abbas
et son nouveau ministre de l’Intérieur, Nasser
Youssef, en refusant de rendre leurs armes. Dans leur
propagande, ces organisations ne cachent d’ailleurs
pas qu’elles profitent de la tadiyeh pour renforcer
leur arsenal en acquérant du matériel plus
perfectionné ou en fabriquant des Kassam en
Cisjordanie afin de pouvoir toucher le cœur de l’Etat
hébreu lors de la prochaine confrontation.
La rancœur de la rue palestinienne est d’autant plus
perceptible que le bouclage de la Cisjordanie et de la
bande de Gaza est permanent, que les permis de
travailler en Israël sont accordés au compte-gouttes
et que la situation économique des Palestiniens
continue de se dégrader. A ce propos, une étude de la
Banque mondiale publiée en décembre 2004 (Stagnation
ou renaissance ? Perspectives sur le désengagement
israélien et l’économie palestinienne), conclut que le
retrait israélien de Gaza ne changera rien à ce
phénomène tant que les restrictions apportées à la
circulation des biens et des personnes dans les
territoires ne seront pas levées. Or, de l’aveu de
Sharon et de son ministre de la Défense Shaoul Mofaz,
cette mesure « n’est pas à l’ordre du jour pour le
moment ».
En juillet 2000 (c’est-à-dire trois mois avant le
déclenchement de l’intifada al Aksa), Marwan Barghouti
– un jeune député du Fatah alors inconnu - avait
prévenu Israël qu’une explosion se produirait si
« quelque chose » ne changeait pas rapidement dans les
territoires. Il n’avait pas été entendu. Cinq ans plus
tard, emprisonné dans une cellule de haute sécurité de
l’Etat hébreu, cet homme resté populaire et influent
vient de lancer un avertissement identique.
« Qu’avons-nous obtenu en échange de la tadiyeh ? De
nouvelles colonies, des barrages et des milliers de
prisonniers qui restent en détention [...] Si la
situation ne change pas, il n’y aura ni paix ni
stabilité dans la région », a-t-il déclaré à la fin de
la semaine dernière. Ses propos ne perturbent pas les
diplomates en poste à Tel-Aviv et à Ramallah, pour
lesquels le retour au processus de paix reste l’option
principale.