Alors que les roquettes Qassam tombaient sur la ville de Sderot, au sud d’Israël, des « fuites » annonçaient que le Ministre israélien de la Défense avait ordonné à l’armée de faire preuve de retenue [1].
Durant cette semaine de retenue israélienne, l’armée a tué une famille qui était allée pique niquer sur la plage de Beit Lahya dans la bande de Gaza ; après ça, l’armée a tué 9 personnes afin de détruire une roquette Katyoucha.
Cependant, dans le discours de retenue, les premiers morts ne comptent pas, parce que l’armée nie toute implication, et les secondes sont présentées comme un acte d’autodéfense nécessaire.
Après tout, Israël est pris dans l’étau des attaques de Qassam et il doit défendre ses citoyens. Dans ce récit, le fait qu’Israël se soit contenté de bombarder la bande de Gaza par air, mer et terre est un modèle de retenue et d’humanité dont peu d’Etats seraient capables.
Mais qu’est ce donc qui pousse aux attaques de Qassam contre Israël ? Depuis 17 mois, depuis qu’il a déclaré un cessez-le-feu, le Hamas n’est pas impliqué dans les tirs de Qassam. Les autres organisations n’ont dans l’ensemble réussi à lancer que quelques Qassam isolées. Comment cela a-t-il pu évoluer vers une attaque de quelque 70 tirs de Qassam en trois jours ?
L’armée israélienne a une longue tradition d’ « attirer » des salves de Qassam.
En avril l’an dernier, Sharon s’est envolé pour une réunion avec Bush où son message essentiel était qu’on ne pouvait pas faire confiance à Abbas, qu’il ne contrôlait rien sur le terrain et ne pouvait être un partenaire pour la négociation.
L’armée s’est chargée de fournir un contexte approprié à la réunion. La veille du départ de
Sharon, le 9 avril 2005, à la frontière à Rafah, l’armée israélienne a tué trois jeunes Palestiniens qui, selon des sources palestiniennes, jouaient au foot.
Cet assassinat arbitraire a déclenché une vague de colère dans la bande de Gaza qui était jusqu’alors relativement calme Le Hamas a répondu à la colère de la rue et autorisé ses militants à prendre part aux tirs de
Qassam. Les deux jours suivants environ 80 roquettes Qassams ont été tirées, jusqu’à ce que le Hamas restaure le calme.
Ainsi, pendant la réunion Sharon-Bush, le monde a vu l’illustration parfaite de la théorie : on ne peut pas faire confiance à Abbas [2]
Au début de la semaine dernière (11 juin), Olmert s’est lancé dans une campagne de persuasion en Europe afin de convaincre les dirigeants européens que maintenant, avec le Hamas au pouvoir, Israël n’a vraiment pas de partenaire. Les Etats-unis ne semblent pas avoir besoin qu’on les convainque dans le moment, mais en Europe on paraît avoir plus de réserves devant des mesures unilatérales.
L’armée israélienne a commencé à préparer le terrain dans la nuit du 8 juin 2006, quand elle a “liquidé” Jamal Abu Samhanada, qui avait été récemment nommé responsable des forces de sécurité du Ministère de l’Intérieur par le gouvernement dirigé par le Hamas. Il était complètement prévisible que cette action entraînerait des attaques de Qassam sur Sderot.
Néanmoins, l’armée a continué le lendemain, en bombardant la plage de Gaza (tuant la famille Ghalya et blessant des dizaines de personnes), et a réussi à déclencher la conflagration recherchée, jusqu’à ce que le Hamas ordonne une nouvelle fois à ses militants de cesser le feu le 14 juin.
Cette fois le spectacle orchestré par l’armée ne s’est pas si bien déroulé. Des photos de la petite Huda Ghalya ont réussi à franchir le mur occidental d’indifférence à la souffrance des Palestiniens.
Même si Israël est encore assez fort pour contraindre Kofi Annan à s’excuser pour avoir jeté le doute sur la dénégation d’implication israélienne, le message que c’est le Hamas qui est la partie agressive n’est pas passé sans contestation dans le monde cette fois ci.
Mais l’armée n’a pas renoncé. Elle semble déterminée à continuer à provoquer des attaques qui justifieraient que l’on démette le gouvernement dirigé par le Hamas par la force, et Sderot en paierait le prix.
Même s’il est impossible de comparer les souffrances des habitants de Sderot aux souffrances des habitants de Beit Hanoun et Beit Lahiya au Nord de la bande de Gaza, où 5.000 obus sont tombés au cours du seul dernier mois [3], mon coeur souffre aussi pour les habitants de Sderot.
C’est leur destin de vivre dans la peur et la douleur parce qu’aux yeux de l’armée, leur souffrance est nécessaire pour faire comprendre au monde qu’Israël est la partie qui montre de la retenue, dans une guerre pour son existence même.
* Ce texte a été mis sous presse une heure environ avant que l’aviation israélienne a tué trois enfants encore dans une rue très fréquentée, au Nord de la bande de Gaza jeudi 20 juin 2006.