C’est comme ça que l’un des enfants décrit ce matin où ils allaient en bus à l’école à Beit Lahia et qu’un missile ou un obus israélien -le porte- parole de l’armée refuse de dire lequel- a explosé à quelques mètres d’eux et a sous leurs yeux mortellement blessé leur institutrice.
Deux lycéens qui allaient au lycée, Ramzi al-Sharafi, 15 ans, et Mohammad Ashour, 16 ans, ont été tués dans ce bombardement. Et cette semaine, les enfants de l’école maternelle Indira Gandhi ont enterré leur institutrice, Najwa - ce qui veut dire ‘prière’ en arabe-, mère de deux bambins, qui est restée dans le coma pendant presque 15 jours à l’hôpital Shifa à Gaza.
Presque rien n’a été écrit en Israël sur le bombardement d’un minibus qui transportait 20 enfants. Cela s’est produit 2 jours avant le bombardement qui a fait 22 morts à Beit Hanoun, au plus haut de l’opération ‘Nuages d’Automne’. Par miracle le missile/ obus n’a pas frappé directement le minibus, mais est tombé à environ 15 mètres de lui.
Les enfants de la maternelle, traumatisés, n’ont pas récupéré. Cette semaine ils ont défilé en portant des couronnes et des panneaux qu’ils ont dessinés en mémoire de leur institutrice bien aimée, lors d’une procession de deuil qui s’est rendue chez Najwa Khalif. Les adultes l’ont enterrée dans le cimetière de Beit Lahia.
Indira Gandhi Hamuda, qui dirige la nouvelle école maternelle, une femme impressionnante, âgée de 35 ans, raconte que tous ces derniers mois elle disait aux enfants que les Israéliens ne tuent pas les enfants, seulement les gens qui tirent des Qassam, et qu’ils n’avaient rien à craindre tant qu’ils ne montaient pas sur les toits. La semaine dernière un des enfants lui a demandé : "Tu nous adit que les Israéliens ne tuaient pas les enfants, seulement les tireurs de Qassam, pourquoi alors, ils ont tiré sur notre minibus ?"
Qu’est ce qu’on peut dire à un gamin de 4 ans qui a vu son institutrice étendue, couverte de sang, près de leur minibus ? Que l’attaque du minibus avait pour but d’empêcher les tirs de Qassam, qui n’ont fait que s’intensifier depuis ?
Réponse du porte-parole de l’ IDF : "Le 6 novembre, l’IDF a attaqué une cellule de lanceurs de Qassam dans le quartier de Sheikh Zayed à Beit Lahia, dont les membres étaient venus récupérer les rampes qui avaient tiré les roquettes la veille sur l’ouest du Négev. Au moment de l’attaque aucune personne non impliquée n’a été identifiée dans le voisinage de la cellule terroriste. L’IDF regrette que des personnes non impliquées aient été blessées. Il est très regrettable que les organisations terroristes lancent habituellement leurs roquettes contre Israël à partir de zones résidentielles, ce qui rend parfois inévitable des dommages involontaires aux civils pris entre deux feux."
Dans la désolation de l’hôpital Kamal Adwan à Beit Lahia les toutes dernières victimes sont allongées. On peut les voir qui geignent, dans des lits qui n’ont pas été faits, entourées de parents. L’un travaillait aux champs, l’autre marchait tranquillement, quand le feu les a rattrapés. Eux ont eu de la chance. Les blessés plus gravement atteints ont déjà été transportés ailleurs.
Pendant ce temps, un blessé est amené à une clinique locale -un fermier âgé amené, dans une carriole tirée par un âne transformée en ambulance improvisée, tout droit du champ où il travaillait quand un char lui a tiré dessus.
Sa fille court après la carriole, elle hurle. On a entendu l’explosion de partout. Des passants amènent le vieil homme à la clinique.
Les chars et les bulldozers de l’IDF sont à quelques centaines de mètres de nous ; la route est déjà défoncée et n’est plus praticable. "C’est l’IDF au travail" comme le disent les médias.
Un enfant arrive à la clinique, tenant les douilles de deux munitions tirées d’un hélicoptère Apache. A côté, une tente de deuil pour Taher al-Masri, un adolescent de 16 ans qui a été tué la veille.
Pendant un moment, Beit Lahia a l’air d’un village pastoral, et puis soudain, il devient le coeur de la peur et du deuil. Qui le sait aussi bien que les enfants de l’école Indira Gandhi avec ses affiches de Mickey Mouse colorées ? On trouve aussi Mickey sur le toboggan dans la cour agréable décorée de plantes. IL n’y a pas beaucoup de maternelles à Gaza qui sont aussi bien entretenues que celle-ci.
Pourquoi Indira Gandhi ? Le père de la propriétaire de la maternelle s’est pris d’amour pour la célèbre dirigeante indienne et a donné son nom a sa fille. (Il a également appelé un de ses fils Hassan, comme le roi du Maroc, et un autre Hussein, comme le roi de Jordanie.) Certaines personnes l’appellent Indira, d’autres Gandhi, d’autres encore Indira Gandhi. Il y a une poubelle jaune, cadeau de l’Allemagne, près de l’entrée, à toucher les champs de fraises de la ville.
Il y a 260 enfants dans cette maternelle, de Beit Lahia, Beit Hanun, du camp de Jabalya et des environs. Ils sont répartis en groupes dans des salles colorées décorées de peintures aux murs -des enfants de 4 et 5 ans, qui apprennent à lire, à écrire, à compter et à parler anglais, de 7 heures 30 à midi. Environ une famille sur dix peut payer les frais d’inscription : 300 shekels par an. Les enfants dont les parents ont été tués ou emprisonnés ne paient rien.
L’entrée de plusieurs des classes est couverte de feuilles de plastique et il n’y a pas de fenêtres.
Indira n’a pas l’argent nécessaire à la finition des travaux du nouveau local et la plupart des parents ne peuvent rien payer.
Pendant 8 ans, l’école s’est déplacée dans divers locaux jusqu’à ce que, cette année, elle s’installe dans cette nouvelle structure spacieuse et agréable.
Tous les matins, les enfants qui habitent loin sont transportés dans deux minibus Volkswagen , un bleu et un jaune.
Maintenant les deux minibus sont un rappel de l’institutrice qui a été enterrée dimanche, à notre arrivée.
On entend des tirs, en bruit de fond. L’école est presque vide, la plupart des enfants ont rejoint la procession de deuil en honneur de leur institutrice.
La fille d’Indira, Hadil Hamuda, 14 ans, surveille la poignée d’enfants qui sont restés. Elle est allée à l’école ce matin, mais au bout d’une demi- heure, quand les chars sont arrivés bruyamment, les enseignants ont décidé de renvoyer les enfants chez eux.
Un oiseau sautille sur le sable de l’école.
Naim al-Rahal, un souriant jeune homme de 23 ans, le chauffeur du minibus bleu, faisait son tour habituel ce lundi là il y a deux semaines. A 6 heures 50 il est arrivé dans le quartier de Sheikh Zaid et attendu l’un des enfants qui était en retard. Le minibus était déjà plein, 20 enfants et trois professeurs. Ils ne sont pas allés à Beit Hanoun ce matin là parce que c’était dangereux. Najwa Khalif, l’institutrice, était assise au milieu du bus, son jeune fils Wasim, 3 ans, sur les genoux et sa fille Manar, 5 ans, à côté d’elle.
Alors qu’il était toujours en train d’attendre l’enfant en retard, le chauffeur a entendu une explosion assourdissante. Il raconte que l’onde de choc a déplacé le minibus. Il a démarré et tenté de s’enfuir. L’enfant en retard n’a pas pu monter à bord et Al-Rahal l’a vu courir après le bus en criant, sans pouvoir le rattraper. Il a remarqué, après avoir démarré, que Najwa saignait du cou et de la tête et que sa tête penchait sur le côté. En fait deux balles avaient pénétré par la vitre et l’avaient frappée. Elle était déjà inconsciente et le sang coulait sur Wasim, assis sur ses genoux. "Le sang coulait sur les petits enfants, leurs cartables et leurs livres," se souvient Al-Rahal.
Il est parti rapidement vers l’hôpital le plus proche, Al-Ouda, tandis que les cris des enfants emplissaient le véhicule. "Les enfants hurlaient. Ca m’empêche toujours de dormir, ces cris," dit-il.
Les enfants non plus ne dorment pas, depuis. Tout de suite après l’incident, des dizaines de parents effrayés sont venus à l’école voir ce qui était arrivé à leurs enfants. L’endroit était empli de faibles cris de douleur -pas seulement ceux des enfants qui avaient été présents. Ils étaient sûrs que l’institutrice était morte, mais Indira a essayé de les rassurer et leur a dit qu’elle se remettrait de ses blessures. Et puis elle a été obligée de fermer l’école pendant 5 jours. Certains des enfants n’y sont pas retournés depuis, d’autres refusent de monter dans le
minibus ; un enfant a demandé à ses parents de déménager près de l’école maternelle, pour qu’il n’ait plus à prendre le bus.
Ca fait deux semaines maintenant et Indira parle d’enfants qui ne disent toujours pas un mot de toute la journée et de professeurs qui éclatent toujours en sanglots.
Le bruit d’un char ou d’un hélicoptère rend tout le monde nerveux à l’école maintenant.
Le chauffeur, Al-Rahal, dit qu’aujourd’hui il a vu le garçon qui était en retard et avait couru derrière le minibus, après le bombardement, qui se cachait derrière le bâtiment de l’école. En fait, il avait fait pipi sur lui et était trop embarrassé pour monter dans le bus qui devait le ramener chez lui.
"Avant ça ils voyaient un Apache et ils disaient, ’voilà un Apache,’"dit Indira. Depuis l’événement, ils utilisent la pâte à modeler pour faire des armes exclusivement. Avant certains modelaient des armes mais maintenant tous le font, même les filles," dit-elle. Même les filles.
Najwa Khalif travaillait depuis 3 ans dans l’école. On voit une photo d’elle entourée d’enfants et voilà sa classe avec de petites chaises en plastique de toutes les couleurs, soigneusement rangées autour des petites tables et des dessins aux murs : une maman cane et ses canetons, 2 pommes + 1 = 3. Les premiers jours après sa mort, ils ont réparti ses élèves dans les autres classes mais maintenant ils ont déjà un nouveau professeur, une remplaçante. Pendant les deux semaines où Najwa luttait contre la mort, ils ont dit des prières tous les jours pour qu’elle s’en sorte.
Dimanche matin, quand ils ont appris qu’elle était morte, Indira a rassemblé tous les petits de la maternelle et leur a dit de ne pas être en colère, qu’ elle était partie au paradis.