Comme chaque année cela a soulevé beaucoup de fureur. L’université de Tel Aviv a autorisé les étudiants arabes à tenir un meeting qui a été attaqué par des étudiants juifs d’extrême droite. L’université de Haifa a interdit comlètement le meeting. Il y a quelques années, la Knesset avait discuté une “Loi Naqba” qui aurait fait mettre en prison pour 3 ans les participants à la commémoration. Cela fut ensuite atténué par le retrait de fonds gouvernementaux aux institutions faisant allusion à la Naqba.
La Seule Démocratie du Moyen Oreint pourrait bien être la seule démocratie au monde à interdire à ses citoyens de commémorer un évènement historique. L’oubli est un devoir national.
L’ennui c’est qu’il est difficile d’oublier l’histoire de la “Question palestinienne” parce qu’elle domine notre vie. 65 ans après la fondation d’Israël, la moitié des informations de nos médias concernent cette unique question, directement ou indirectement.
En ce moment même, le gouvernement sud-africain vient de décréter que tous les produits des colonies de Cisjordanie commercialisés là-bas devront être clairement repérés. Cette mesure, déjà appliquée en Europe, a été condamnée tout net par notre Ministre des Affaires Étrangères Avigdor Lieberman, comme “raciste” (il peut bien parler !). Cependant elle rejoint un boycott lancé il y a 15 ans par mes amis israéliens et moi.
La nouvelle coalition gouvernementale a déclaré qu’elle allait reprendre des négociations avec les Palestiniens (chacun sait qu’il s’agit là d’une promesse creuse). Un vague de meurtres et de viols est attribuée à des arabes (et à des africains demandeurs d’asile). Tous les candidats à la présidence en Égypte promettent d’engager la lutte en fqaveur des Palestiniens. Des officiers supérieurs de l’armée israélienne ont révélé que 3500 missiles syriens et iraniens, ainsi que des dizaines de milliers chez le Hezbollah du Sud Liban sont prêts à être lancés contre nous à cause de la Palestine. Et ainsi de suite, une liste quotidienne.
115 ans après la création du mouvement sioniste, le conflit israélo-palestinien domine nos informations.
LES PÈRES FONDATEURS du sionisme avaient pris pour slogan “une terre sans peuple pour un peuple sans terre” (formulé bien plus tôt par un chrétien sioniste britannique). Ils croyaient que la Terre Promise était inoccupée. Ils savaient, naturellement, qu’il y avait des gens dans le pays, mais les sionistes étaient européens, et pour des européens de la fin du 19ème siècle, l’âge d’or de l’impérialisme et du colonialisme, les populations de couleur – bruns, noirs, jaunes, rouges ou autres – ne comptaient pas comme populations.
Lorsque Théodor Herzl lança l’idée d’un État Juif, il ne pensait pas à la Palestine mais à une région d’Argentine. Il projetait de vider cette région de toute sa population indigène – mais seulement après qu’elle ait éliminé tous les serpents et autres bêtes dangereuses.
Dans son livre “Der Judenstaat” il n’est fait aucune mention d’arabes – et ce n’est pas par hasard. Lorsque Herzl l’a écrit, il ne pensait pas encore à ce pays. Le pays n’apparaît dans le livre que dans un tout petit chapitre ajouté au dernier moment, intitulé “Palestine ou Argentine ?”
Par conséquent, Herzl ne parlait pas d’expulser la population palestinienne. Cela aurait été de toute façon impossible puisque Hertzl demandait au sultan ottoman une charte pour la Palestine. Le sultan était un caliphe, le chef spirituel de tous les musulmans du monde. Hertzl était bien trop prudent pour soulever ce problème.
Cela explique le fait autrement curieux : le mouvement sioniste n’a jamais fourni une réponse claire à sa question la plus fondamentale : comment créer un état juif dans un pays habité par un autre peuple. C’est une question restée sans réponse jusqu’à ce jour.
Mais ce n’est qu’une apparence. Cachée quelque part sous tout cela, aux limites de la conscience collective, le sionisme a toujours eu une réponse. Cela va tellement de soi qu’il n’y avait pas besoin d’y penser. Seul un petit nombre avait le courage de l’exprimer ouvertement. C’est imprimé dans le “code génétique” du mouvement sioniste, pour ainsi dire, et dans celui de sa fille, l’État d’Israël.
Ce code dit : un État Juif sur toute la terre d’Israël. Et par conséquent : opposition totale à la création d’un état palestinien – à quelque moment que ce soit, où que ce soit dans le pays, quel qu’en soit le prix.
LORSQU’UN stratège prépare une guerre il commence par en définir les objectifs. C’est la tâche principale. Toutes les autres tâches doivent en découler. Si elles contribuent à la tâche principale, on peut les admettre. Si elles nuisent à la tâche principale, elle doivent être écartées.
La tâche principale du mouvement sioniste/israélien est de réaliser un État Juif dans la totalité d’Eretz Israël – le territoire entre la Méditerranée et le Jourdain. En d’autres termes : empêcher la création d’un état palestinien arabe.
Lorsque l’on a saisi cela, tous les événements des 115 dernières années sont logiques. Toutes les contorsions et tous les détours, toutes les contradictions et les écarts apparents, toutes les décisions bizarres en apparence s’expliquent parfaitement.
Dans une perspective d’ensemble, la politique sioniste-israélienne ressemble à un fleuve qui s’écoule vers la mer. Quand il rencontre un obstacle, il le contourne. Son cours va vers la droite ou vers la gauche et quelquefois même rebrousse chemin. Mais il poursuit avec une merveilleuse détermination son objectif.
Le principe directeur était de consentir à chaque compromis qui nous donne ce que nous pouvons obtenir à chaque étape, mais sans jamais perdre de vue l’objectif final.
Cette politique nous permet tous les compromis sauf un : un État palestinien arabe qui confirmerait l’existence d’un peuple palestinien arabe.
Tous les gouvernements israéliens ont combattu cette idée par tous les moyens à leur disposition. À cet égard il n’y avait pas de différence entre David Ben Gourion qui avait passé un accord secret avec le rois Abdallah de Jordanie pour faire obstruction à la création de l’État palestinien décidée par la résolution de l’Assemblée Générale des Nations unies de 1947 et Menachem Begin qui conclut une paix séparée avec Anouar el Sadate pour écarter l’Égypte de la guerre israélo-palestinienne. Sans oublier de citer la fameuse formule de Golda Meir : “Il n’y a rien de tel qu’un peuple palestinien”. Des milliers d’autres décisions des gouvernements israéliens successifs ont obéi à la même logique.
La seule exception serait les accords d’Oslo – qui ne mentionnent pas non plus un État palestinien. Après les avoir signés, Yitzhak Rabin ne s’empressa pas de créer un tel État. Au lieu de cela, il s’arrêta dans son élan, comme stupéfait de sa propre audace. Il hésita, tergiversa jusqu’à ce que l’inévitable contre-attaque sioniste prenne de l’ampleur et mette fin à son initiative – et à sa vie.
L’ACTUELLE bataille à propos des colonies fait partie intégrante du processus. L’objectif principal des colons est de rendre un État palestinien irréalisable. Tous les gouvernements israéliens les ont soutenus, ouvertement ou discrètement. Ils sont, naturellement, dans l’illégalité au regard du droit international, mais beaucoup d’entre eux sont aussi dans l’illégalité au regard du droit israélien. Ceux-là sont indifféremment qualifiés de “illégaux”, “illégitimes”, “non autorisés” et ainsi de suite. L’auguste Cour Suprême israélienne a ordonné le retrait de plusieurs d’entre eux, mais elle a vu ses décisions ignorées par le gouvernement.
Les colons font valoir que pas une seule colonie n’a été implantée sans accord secret du gouvernement. Et même, toutes les colonies “illicites” ont été immédiatement raccordées aux réseaux d’eau et d’électricité, des routes nouvelles ont été spécialement construites pour elles et l’armée s’est empressée d’assurer leur défense – et même les Forces de Défense d’Israël sont depuis longtemps devenues les Forces de Défense des Colonies. On a fait appel à des juristes et à des escrocs en nombre pour exproprier de vastes portions de terres palestiniennes. Une célèbre juriste a découvert une loi ottomane tombée dans l’oubli selon laquelle si vous criez depuis la limite d’un village, toute la zone où le cri n’est pas entendu appartient au sultan. Comme le gouvernement est l’héritier du gouvernement jordanien, lui-même héritier du sultan, cette terre appartient au gouvernement israélien, qui la cède aux colons. (Ce n’est pas une plaisanterie !)
Lorsque le conflit israélo-palestinien semble apaisé et qu’il “ne se passe rien”, il se poursuit en réalité avec force sur le seul terrain qui importe : l’entreprise de colonisation. Tout le reste est marginal, comme la perspective terrifiante d’une attaque israélienne contre l’Iran. Comme je n’ai cessé de le dire : cela ne se produira jamais. Cela participe de l’action pour détourner l’attention de la solution à deux États, la seule solution pacifique qui soit.
À QUOI conduit le refus de l’État palestinien ?
Logiquement cela ne peut conduire qu’à un État d’apartheid dans l’ensemble du pays entre la Méditerranée et le Jourdain. À long terme cela ne serait pas tenable, conduisant à un État “binational” à majorité arabe qui serait totalement inacceptable pour presque tous les juifs israéliens. Alors que reste-t-il ?
La seule solution envisageable serait de transférer tous les Arabes de l’autre côté du Jourdain. Dans certains milieux d’extrême droite, on en parle ouvertement. Le roi de Jordanie en a terriblement peur.
Un transfert de population a déjà eu lieu en 1948. On discute encore de savoir si cela a été fait de propos délibéré. Dans la première phase de la guerre, c’était une nécessité militaire évidente (et pratiquée par les deux parties). Plus tard, c’est devenu davantage un choix délibéré. Mais l’élément principal tient au fait que les réfugiés n’ont pas été autorisés à revenir lorsque les hostilités ont pris fin. Au contraire, certains villages ont été vidés de leurs habitants et détruits encore plus tard. Chacun obéissait à la consigne invisible de la Tâche Principale, une consigne si profondément inscrite dans la conscience collective qu’il n’était pas nécessaire de donner un ordre explicite.
Mais 1948 est passé depuis longtemps. Le monde a changé. Ce que l’on tolérait du brave petit Israël d’après l’Holocauste ne serait plus toléré aujourd’hui du puissant et arrogant Israël. C’est aujourd’hui un château en Espagne – comme des rêves similaires de l’autre côté de voir d’une façon ou d’une autre Israël disparaître de la carte
Cela signifie que le nettoyage ethnique, la seule solution alternative à deux États, est impossible. La Tâche Principale a abouti à une impasse.
On a souvent dit que le conflit israélo-palestinien est un choc entre une force impossible à arrêter et un objet impossible à déplacer. Cela va dominer nos vies et les vies des générations futures.
À moins que nous ne fassions quelque chose qui semble presque impossible : changer de Tâche Principale, la direction historique prise par notre État. Y substituer un nouvel objectif national : paix et coexistence, réconciliation entre l’État d’Israël et l’État de Palestine.