Dans le système juridique militaire israélien, il n’y a pas de séparation des pouvoirs comme c’est le cas dans les systèmes juridiques démocratiques. Dans ce système, les trois pouvoirs, législatif, juridique et exécutif, sont concentrés entre les mains du commandant militaire de la région qui légifère, fait respecter les ordres militaires et décide de leur application.
Le champ d’application de ce système est très large, il touche possiblement tous les aspects de la vie quotidienne des Palestiniens. Il s’agit de criminaliser et de punir toutes les formes de résistance à l’occupation israélienne, quelle que soit leur gravité.
Parmi les formes d’assujettissement et de contrôle des Palestiniens figurent les arrestations de masse. Des centaines de milliers d’entre eux ont été arrêtés depuis 1967 et poursuivis devant des tribunaux militaires israéliens. Bien que l’arrestation, le procès et la détention soient des mécanismes légaux auxquels tous les pays du monde ont recours pour faire respecter la loi et renforcer le contrôle de l’État, le taux d’arrestations parmi les Palestiniens est élevé à tous points de vue. Pendant les périodes de tension politique, y compris la première et la deuxième Intifada, le taux d’arrestation des Palestiniens par rapport à la population était le plus élevé au monde.
Les taux de détention ne sont pas toujours significatifs de la prévalence de la criminalité et des sanctions pour violation de la loi, ils peuvent aussi être un indicateur de l’instrumentalisation de la loi dans un contexte spécifique ou encore de la façon de mettre la limite entre les actes légaux et illégaux. Ainsi, quand la loi criminalise de nombreux actes et comportements qui sont des droits naturels des individus, cela indique que la loi est injuste. Si bien qu’il est possible de considérer les arrestations massives de Palestiniens comme des actes légaux dans la mesure où elles sont menées conformément à la loi et dans le respect des procédures prévues. Mais cela n’empêche nullement ces actes d’être injustes, dans la mesure où la loi elle-même est discriminatoire, et que ces procédures contreviennent dans de nombreux cas aux dispositions internationales des droits de l’Homme.
Les Palestiniens sont régulièrement arrêtés aux points de contrôle, dans la rue et, le plus souvent, à leur domicile, aux premières heures du matin. Dans le cas d’une arrestation au domicile familial, des unités de l’armée israélienne encerclent généralement la maison entre minuit et 4 heures du matin et forcent parfois les membres de la famille à sortir en tenue de nuit, quelles que soient les conditions météorologiques.
Le processus d’arrestation est généralement accompagné de cris, de violence et de dommages matériels. Il se termine avec le détenu yeux bandés et mains attachées dans le dos avec des liens en plastique qui ont tendance à couper les chairs.
Le détenu est ensuite placé sur le plancher d’une jeep militaire, parfois face contre terre, pour être transféré dans un centre d’interrogatoire et de détention. Ni le détenu ni sa famille ne sont informés des raisons de la détention ou de l’endroit où il est emmené.
À son arrivée au centre d’interrogatoire et de détention, l’individu est soit placé dans une cellule, soit directement interrogé. Le détenu n’est presque jamais informé de ses droits et se voit invariablement refuser l’accès à un avocat jusqu’à la fin du processus d’interrogatoire et jusqu’à ce qu’ils aient obtenu « des aveux ».
Ce système juridique discriminatoire ne prend pas en considération l’intérêt supérieur de l’enfant
Environ 700 enfants de moins de 18 ans de Cisjordanie occupée sont poursuivis chaque année par des tribunaux militaires israéliens après avoir été arrêtés, interrogés et détenus par l’armée. L’accusation la plus courante est le jet de pierres, crime puni par le droit militaire d’une peine pouvant aller jusqu’à 20 ans de prison. De 2000 à fin 2017, plus de 12 000 enfants palestiniens ont été détenus. Au 19 mars 2023, on dénombre 170 enfants parmi les condamnés à des peines de prison.
Alors que la Convention des Nations Unies relative aux droits de l’enfant définit comme « enfant » « tout être humain âgé de moins de dix-huit ans », selon l’ordre militaire, les enfants palestiniens de plus de 16 ans sont jugés comme des adultes. De plus, la sentence est décidée sur la base de l’âge au moment de la condamnation, et non au moment de l’infraction présumée. Ainsi, un enfant accusé d’avoir commis un délit alors qu’il a 15 ans sera puni comme un adulte selon le temps d’attente de la peine.
Dans la pratique, il n’existe pas de procédures d’interrogatoire spéciales pour les enfants détenus par l’armée israélienne, ni de dispositions permettant à un avocat ou à un membre de la famille d’être présent à l’interrogatoire. La majorité des enfants déclarent être soumis à des mauvais traitements et se voient extorquer des aveux forcés. Defense For Children International – Palestine (DCI-P) reçoit de nombreux rapports faisant état de l’utilisation de techniques abusives lors des interrogatoires : utilisation excessive de bandeaux et de menottes ; gifles et coups de pied ; privation de sommeil ; isolement cellulaire ; refus de nourriture et d’eau pendant de longues périodes ; refus d’accès aux toilettes ; abus de posture difficiles ; insultes et jurons…
Malgré les recommandations du Comité des Nations unies contre la torture de mai 2009, selon lesquelles les interrogatoires devraient être enregistrés sur vidéo, aucune disposition n’a encore été adoptée à cet effet.
Des ordres militaires permettent d’adapter la détention d’un enfant à son âge. S’il a 12-13 ans, 14-15 ou 16-18 ans, la période avant le renvoi au tribunal pourra être de 24 heures ou être étendue jusqu’à 96 heures. La période de détention préventive des enfants avant la présentation d’un acte d’accusation peut être étendue à 15 jours, et le tribunal militaire peut la prolonger de 10 jours…
L’administration pénitentiaire ne fournit d’enseignement que dans les prisons de Megiddo et de Rimonim, en imposant des restrictions des matières qui peuvent être enseignées, n’autorisant les enfants à étudier que les mathématiques et les sciences humaines, et interdisant les autres matières pour « raisons de sécurité ». Les filles de moins de 18 ans sont généralement détenues avec les femmes et ne reçoivent aucune éducation formelle.
Tout porte à croire que l’objectif de leur arrestation et de leur détention est multiple. Souvent il s’agit de cibler les plus jeunes et les plus vulnérables pour exercer une pression sur leur famille et l’ensemble de la communauté. Les soldats et la police israéliens arrêtent aussi les enfants en espérant les recruter. On observe également des intimidations pour l’avenir et une déscolarisation… L’argent n’est pas non plus exclu des objectifs, en effet les militaires perçoivent de l’argent des familles par le jeu de caution et d’amendes avant les libérations.
L’essentiel est qu’un système juridique conçu pour contrôler et soumettre ne permettra jamais d’atteindre la justice. Les modifications apportées à ce système ne changent rien à sa nature puisqu’il vise à supprimer les aspirations légitimes du peuple palestinien à la libération et à l’autodétermination. La discrimination par la loi et son application est une caractéristique essentielle de ce système. En outre il ne prend pas en considération l’intérêt supérieur de l’enfant, étant donné que la seule préoccupation d’Israël est de maintenir la « sécurité » et l’ordre public en limitant la capacité des individus à exercer leurs libertés et leurs droits fondamentaux. En bref, comme l’a écrit Augustin, une loi injuste n’est pas une loi. Et il est dans l’esprit de la loi de briser ces lois injustes.
Ayed Abu Eqtaish
Directeur du programme de responsabilisation Defense for Children International – Palestine
Traduction : Mireille Sève