La décision de l’Union européenne (UE) de suspendre le
financement de l’Autorité palestinienne (AP) suite à
l’accession du parti Hamas au gouvernement a été justifiée
par deux ordres de motifs, liés mais distincts. Le premier
consiste dans le refus par le Hamas de s’engager au respect des
trois conditions fixées par le Quartette : reconnaissance du droit
de l’Etat d’Israël à l’existence, renonciation à l’utilisation de la
violence et application des accords existants, y compris la Feuille
de route. Le second se fonde sur l’interdiction pour l’UE de
contribuer au financement d’un mouvement qui figure sur la liste
européenne des organisations terroristes. Au regard de cette dernière
justification, la suspension de l’aide au gouvernement palestinien
apparaît comme étant la conséquence d’une obligation
juridique ne laissant aucune marge d’appréciation aux autorités
européennes. Ainsi, Javier Solana expliquait-il récemment cette
décision par le fait que « nos lois exigent, à tout prix, que nous
nous abstenions de financer des activités terroristes. » [2]
L’inscription du Hamas sur la liste européenne des organisations
terroristes est fondée sur la Position commune du Conseil du 27
décembre 2001 relative à l’application de mesures spécifiques en
vue de lutter contre le terrorisme [3]. Cette décision de l’UE constitue
la mise en oeuvre de la résolution 1373 adoptée le 28 septembre
2001 par le Conseil de sécurité des Nations unies, qui définit une
série d’obligations à remplir par les États, afin de prévenir et de
réprimer le financement des activités terroristes. Le texte de la
Position commune prévoit le gel des avoirs financiers des personnes
et organisations qui se livrent à des actes de terrorisme,
et dont le nom est inscrit sur une liste reprise en annexe. La notion
d’« actes de terrorisme » vise une série de faits, énoncés par le texte
(atteinte à la vie d’une personne, prise d’otage, capture d’aéronef,
etc.), lorsqu’ils sont commis « dans le but de gravement intimider
une population, de contraindre indûment des pouvoirs
publics (...) à accomplir ou à s’abstenir d’accomplir un acte
quelconque, ou gravement déstabiliser ou détruire les structures
fondamentales politiques, constitutionnelles, économiques ou
sociales d’un pays (...) ». De cette définition sont exclues les
activités des forces armées menées en période de conflit armé ou
dans l’exercice de leurs fonctions officielles, en vertu de la Décision-
cadre du Conseil du 13 juin 2002 relative à la lutte contre
le terrorisme [4]. Selon la Position commune de décembre 2001,
la liste « est établie sur la base d’informations précises ou d’éléments
de dossier qui montrent qu’une décision a été prise par une
autorité compétente (judiciaire ou équivalente) à l’égard des personnes,
groupes et entités visés, qu’il s’agisse de l’ouverture
d’enquêtes ou de poursuites pour un acte terroriste (...), basées
sur des preuves ou des indices sérieux et crédibles, ou qu’il s’agisse d’une condamnation pour de
tels faits. » La liste doit être réexaminée
par le Conseil de façon régulière, au
moins une fois par semestre, afin de
« s’assurer que (le) maintien (des noms
des personnes et entités reprises) sur la
liste reste justifié ».
La première version de la liste, annexée
à la Position commune de décembre
2001, ne visait que le « Hamas-Izz al-
Din al-Qassem (branche terroriste du
Hamas) ». Ce n’est qu’en septembre 2003
que la liste fut révisée de manière à y
désigner le Hamas de façon générique [5],
y compris sa branche politique. Cette
inscription sur la liste implique, selon
l’article 3 de la Position commune, que
la Communauté européenne « veille à ce
que des fonds (...) ne soient pas, directement
ou indirectement, mis à la disposition
» du groupe Hamas. C’est donc
sur cette obligation que prétend notamment
s’appuyer la décision de suspendre
l’aide au gouvernement palestinien. On
peut toutefois sérieusement douter de la
validité du raisonnement, qui méconnaît
la distinction entre le budget propre des
institutions de l’AP, affecté à des services
publics, et les finances du mouvement
Hamas lui-même.
L’inscription du Hamas sur la liste des
organisations terroristes et les conséquences
qui en ont été tirées par les autorités
européennes quant au sort du financement
de l’AP soulèvent diverses
interrogations. Tout d’abord, il faut souligner
la fonction sous-jacente de la définition
du terrorisme. Cette question fait
l’objet, depuis fort longtemps, d’oppositions
sur le plan international concernant,
d’une part, le statut à réserver à la
lutte armée contre le colonialisme, l’occupation,
l’agression et la domination par
des forces étrangères, et d’autre part, la
notion de « terrorisme d’État ». La définition
de l’UE, qui exclut de son champ
les forces armées étatiques, et le choix
de l’inscription du Hamas, viennent révéler
la fonction idéologique de la notion
européenne du « terrorisme » : elle permet
d’isoler un phénomène spécifique
de violences - les attentats perpétrés par
le Hamas - d’autres formes de violences
illégales - celles commises par l’armée
israélienne -, pour justifier que seules
les premières fassent l’objet d’un régime
particulier de sanctions.
Ensuite, le processus de décision aboutissant
à l’inscription sur la liste des organisations
terroristes encourt la critique.
La procédure établie a été dénoncée par
les associations de défense des droits
humains [6] et le Parlement européen [7]
pour son manque de transparence, son
absence de garanties des droits de la
défense et son déficit de mécanisme de
contrôle démocratique ou judiciaire.
L’inscription d’une entité sur la liste est
en effet le fruit d’une décision strictement
politique des gouvernements européens,
qui se fonde sur des informations
confidentielles. Comme l’a admis le Tribunal
des communautés européennes,
les personnes concernées « ne disposent
probablement d’aucun recours juridictionnel
effectif, que ce soit devant les
juridictions communautaires ou devant
les juridictions nationales à l’encontre
de l’inscription (...) sur la liste » [8].
Enfin, on peut s’interroger sur les conditions
permettant la suppression d’une
organisation de la liste. Aucun critère
précis n’est prévu à cet égard, et toute révision
suppose un consensus entre tous les
États membres. Le Hamas observe depuis
plus d’un an et demi une trêve unilatérale
des attentats et s’est engagé dans le
processus politique en investissant les
institutions issues des accords d’Oslo,
mais sa « suspension » de la liste ne
semble pas à l’ordre du jour.
Force est de constater que le mécanisme
de la liste des organisations terroristes
s’avère un exécrable instrument de politique
étrangère, en disqualifiant le gouvernement
palestinien devenu une
« organisation terroriste » et en servant
de paravent à la décision de la suspension
de l’aide européenne.
François Dubuisson