Bien que souhaitée ouvertement par l’extrême droite israélienne, une expulsion massive de Palestiniens au-delà du Jourdain susciterait des condamnations internationales. Aussi, de façon continue, discrète et acharnée, Israël procède à des déplacements forcés de familles entières, en milieu urbain comme dans les villages, des deux côtés de la ligne verte. Harcèlement, menaces, environnement coercitif, il tente par différents moyens d’obliger les Palestiniens à quitter leurs habitations, leurs terres, leurs lieux de vie. Les lois israéliennes et les outils de planification sont utilisés pour justifier les confiscations et démolitions de biens, les évictions par la force. Toutes ces politiques agressives produisent leur lot de « personnes déplacées internes » ou IDP (Internally Displaced Persons).
Selon les Principes directeurs relatifs au déplacement interne reconnus par les Nations unies en 1998, les personnes déplacées à l’intérieur d’un pays sont des personnes ou des groupes de personnes qui ont été forcés de fuir ou d’abandonner leur foyer ou leur lieu habituel de résidence, à la suite ou dans le but d’échapper aux effets d’un conflit armé, de situations de violence généralisée ou de violations des droits de l’Homme et qui n’ont pas traversé les frontières d’un État reconnu internationalement.
Qui sont les Palestiniens déplacés internes ?
Selon le Centre de ressources pour les droits des résidents et réfugiés de Palestine Badil, on peut distinguer deux groupes de Palestiniens déplacés internes.
Le premier groupe est composé de personnes déplacées dans la partie qui a donné naissance à l’État d’Israël en 1948. Dont les déplacés de la Nakba de 1948, et les personnes déplacées ensuite par Israël à l’intérieur de ce territoire.
Le deuxième groupe est composé de Palestiniens déplacés à l’intérieur des Territoires occupés depuis 1967, ce qui est la conséquence du régime d’occupation, d’apartheid et de colonisation imposé par Israël.
Combien sont-ils ?
Comme le souligne Badil, leur nombre précis est difficile à évaluer compte tenu des déplacements répétés et surtout de l’absence de moyen de contrôle et d’enregistrement spécifique. En recoupant différentes sources fiables, l’ONG a publié une estimation des réfugiés et IDP à partir de 1950. Elle révèle une augmentation constante des IDP. Pour la période 2013-2021 cette augmentation se confirme :
Depuis 2009, l’OCHA oPt comptabilise les démolitions et les personnes déplacées en Cisjordanie (et Jérusalem). Consulter ces publications mensuelles est instructif : tous les gouvernorats de la Cisjordanie sont concernés, les expulsions représentent de 1 et 120 personnes par jour, sans discontinuer. La communauté de Khirbet Tana, au nord de Naplouse, a subi 398 démolitions, et 685 personnes ont été déplacées. Dans la bande de Gaza, le « Shelter cluster », qui coordonne les ONG humanitaires, estime que 117 000 personnes ont dû se déplacer suite aux bombardements de mai 2021 et 7 250 personnes restent sans logement en 2022.
La protection des Palestiniens déplacés internes est de facto inexistante
Les 30 Principes directeurs relatifs au déplacement interne définissent un statut et affirment des droits et d’obligations – non contraignants – pour les autorités nationales où sont réinstallées les personnes déplacées. Israël, à l’intérieur de ses frontières et en tant que puissance occupante, n’en a cure et poursuit son entreprise de manipulation démographique.
La Cisjordanie est gérée par une Autorité palestinienne sans souveraineté ni capacité à protéger ses ressortissants – même en zone A. La bande de Gaza est placée sous l’autorité du Hamas, sans capacité d’agir en raison de l’imposition du blocus. Les réfugiés palestiniens, même s’ils sont placés sous la protection et l’assistance de l’UNRWA, sont aussi déplacés une seconde ou troisième fois ! Dans Jérusalem-Est les Palestiniens déplacés sont menacés d’une révocation de leur statut de résidents, et sont donc dépourvus de protection puisque c’est l’État d’Israël (qui prétend avoir l’autorité sur ce territoire) qui cherche à les expulser.
En Israël, les citoyens arabes déplacés, et aujourd’hui les communautés bédouines du Naqab plus particulièrement, vivent dans des zones où les services et les infrastructures de base sont médiocres voire refusés. Si partout les personnes palestiniennes déplacées internes opposent une forte résistance pour rester dans leur maison ou sur leur terre, elles ne peuvent escompter ni protection, ni restauration de leurs droits ni indemnisation ni réparation sans la pression des instances internationales.
Dans sa déclaration lors de la 50e session du CDH en juillet 2022 Badil appelle avec insistance « le Conseil des Droits de l’Homme à prendre des mesures pour qu’Israël soit tenu pour responsable et empêché, à l’avenir, de procéder à des déplacements forcés de Palestiniens, à mettre en place une structure pour le contrôle et l’enregistrement des déplacements forcés de Palestiniens et accorder aux Palestiniens déplacés internes (IDPs) la protection qui leur est due. »
Visibiliser les Palestiniens déplacés pour défendre leurs droits est l’un des enjeux dans le combat pour la reconnaissance et la dénonciation du régime d’apartheid.