Les Avocats pour les Droits Humains des Palestiniens (ADHP) et l’Association Addameer de Soutien aux Prisonniers et des Droits de l’Homme (Addameer), accueillent avec enthousiasme l’avis publié par le Groupe de Travail des NU sur la Détention Arbitraire (Groupe de Travail des NU) qui de façon importante estime que les trois trois étudiantes palestiniennes de l’Université de Birzeit en Cisjordanie occupée, Layan Kayed (23 ans), Elyaa Abu Hijla (21 ans) et Ruba Asi (21 ans), sont arbitrairement détenues par les autorités militaires israéliennes.
L’avis des experts du Groupe de Travail des NU apporte une clarté totale sur le fait que la criminalisation et le traitement entièrement punitif auxquels sont soumises Layan, Elyaa et Ruba sont illégaux, arbitraires, fondés sur des raisons discriminatoires, et abondent en violations des droits humains. Les mauvais traitements et les châtiments en cours qui leur sont infligés par les autorités israéliennes doivent être condamnés et doivent cesser immédiatement.
Le Groupe de Travail des NU « demande au gouvernement d’Israël de prendre les mesures nécessaires pour remédier sans retard à la situation de Mlle Kayed, Mlle Abu Hijra et Mlle Asi…La solution appropriée serait de libérer immédiatement Mlle Kayed, Mlle Abu Hijla et Mlle Asi et de leur accorder un droit inopposable à compensation et à d’autres réparations, conformément au droit international ». L’ADHP et Addameer pressent les gouvernements et les parlementaires d’assurer le suivi des recommandations urgentes et essentielles du Groupe de travail des NU.
Nous avons suscité l’examen par le Groupe de Travail des NU après avoir déposé en septembre dernier une plainte en justice, en suggérant que Layan, Elyaa et Ruba étaient chacune détenue arbitrairement par les autorités militaires israéliennes. Leur avis écrit publié fournit une analyse judiciaire des questions juridiques et relatives aux droits de l’homme mises en évidence dans notre proposition. En faisant cela, le Groupe de Travail estime que leur détention militaire est arbitraire dans le cadre de quatre catégories distinctes :
- « La détention de Mlle Kayed, Mlle Abu Hijra et Mlle Asi est arbitraire dans le cadre de la catégorie 1 étant donné qu’elle manque d’un fondement juridique ».
- « La détention de Mlle Kayed, Mlle Abu Hijla et Mlle Asi a résulté de leur exercice légitime des libertés d’expression, de rassemblement pacifique et d’association, telles que protégées par les articles 19, 21 et 22 du Pacte International sur les Droits Civils et Politiques, et est par conséquent arbitraire, tombant dans le cadre de la catégorie 2 ».
- « Les violations des droits à un procès équitable de Mlle Kayed, Mlle Abu Hijla et Mlle Asi sont d’une telle gravité qu’elle rendent leur détention arbitraire dans le cadre de la catégorie 3 ».
- « Le Groupe de Travail conclut que Mlle Kayed, Mlle Abu Hijla et Mlle Asi, qui toutes sont étudiantes et qui toutes sont aussi palestiniennes, ont été arrêtées pour des raisons discriminatoires, à savoir à cause de leur sexe et de leur origine nationale, ethnique et sociale. Le Groupe de Travail considère qu’elles ont été arrêtées aussi sur la base de leur statut d’étudiantes à l’université…que le Gouvernement a violé les articles 2 (1) and 26 de la Convention, et que la privation de liberté de Mlle Kayed, Mlle Abu Hijra et Mlle Asi est arbitraire dans le cadre de la catégorie 5 ».
L’avis du Groupe de Travail des NU fait le détail de la gravité et de la portée des violations à l’encontre de Layan, Elyaa and Ruba, en estimant que :
- « Les trois arrestations semblent avoir été menées avec un excès de force évident, étant donné qu’il n’a pas été fait état d’une quelconque résistance apportée par une des femmes, mais toutes ont été menottées et deux (Mlle Abu Hijra et Mlle Asi) ont eu aussi les yeux bandés ».
- « Il est dérangé par la manière selon laquelle les trois étudiantes ont été arrêtées et devant la force excessive utilisée par les autorités. La façon dont elles ont été traitées ultérieurement entre les mains des autorités, comprenant le manque de retrait des menottes quand elle mangeaient, l’usage imposé de toilettes sans porte assurant le respect de leur intimité et le manque de fourniture de vêtements appropriés, révèle une infraction à première vue des Règles de Bangkok ».
- « Le traitement des trois étudiantes ne respecte manifestement pas les obligations d’Israël en tant que partie à la Convention contre la Torture et les Autres Traitements ou Châtiments Cruels, Inhumains ou Dégradants. Ce traitement viole aussi l’ensemble des Règles Minimales des Nations Unies sur le Traitement des Prisonniers (les Règles Nelson Mandela) et les Règles de Bangkok (les Règles des Nations Unies pour le Traitement des Femmes Détenues et les Mesures non privatives de liberté pour les Femmes Délinquantes) ».
- « La présence d’un avocat pendant les interrogatoires est une garantie essentielle pour s’assurer que les aveux d’une personne sont faits librement. Le manque à assurer à Mlle Kayed, Mlle Abu Hijla et Mlle Asi la présence d’un avocat dès le moment de leur arrestation a violé leur droit à disposer du temps et des facilités nécessaires à la préparation de leur défense et à communiquer avec l’avocat de leur choix ».
- « Dans sa pratique, le Groupe de Travail a toujours soutenu que le procès de civils devant des tribunaux militaires se fait en violation du Pacte et du droit coutumier international et que, en vertu du droit international, les tribunaux militaires ne peuvent être compétents que pour juger les militaires pour des infractions militaires… Le Gouvernement aurait pu expliquer pourquoi les trois étudiantes ont été déférées devant un tribunal militaire mais il a manqué de le faire ».
- « Le droit de contester la légalité d’une détention devant un tribunal est en lui-même un droit de l’homme, qui est essentiel pour préserver la légalité dans une société démocratique. Il n’y a rien qui indique qu’aucune des trois femmes ait été présentée devant une autorité judiciaire, ainsi que requis par l’article 9 (3)–(4) du Pacte. De plus, le délai ordinaire admissible pour être présenté à un juge, qui est de 48 heures, a été clairement violé dans chaque cas individuel ».
- « Il s’agit d’une norme bien établie du droit international selon laquelle la détention provisoire doit être l’exception et non la règle, et qu’elle doit être ordonnée pour une durée aussi courte que possible….Les audiences de libération sous caution de Mlle Kayed, Mlle Abu Hijra et Mlle Asi n’ont pas eu lieu et le Gouvernement n’a pas expliqué pourquoi. En l’absence d’une telle explication, le Groupe de Travail ne peut accepter que la détention provisoire de ces trois femmes ait été correctement constituée ».
- « Le Groupe de Travail rappelle que, dans certaines circonstances, l’emprisonnement généralisé ou systématique ou toute autre privation grave de liberté en violation des règles du droit international peut constituer un crime contre l’humanité ».
Soulignant l’ampleur et la portée des violations liées à la détention arbitraire de Layan, Elyaa et Ruba, le groupe de travail des Nations unies a notamment décidé de transmettre leurs cas à six autres rapporteurs spéciaux des Nations unies et à un autre Groupe de Travail des NU :
- le Rapporteur Spécial sur la promotion et la protection du droit à la liberté d’opinion et d’expression,
- le Rapporteur Spécial sur les droits à la liberté de rassemblement pacifique et d’association,
- le Rapporteur Spécial sur la torture ou sur les autres traitements ou châtiments cruels, inhumains ou dégradants,
- le Rapporteur Spécial sur l’indépendance des juges et des avocats,
- le Rapporteur Spécial sur la violence à l’encontre des femmes, sur ses causes et ses conséquences,
- le Groupe de Travail sur la discrimination à l’encontre des femmes et des filles, et
- le Rapporteur Spécial sur la situation des droits humains dans les territoires palestiniens occupés depuis 1967 en vue d’une action appropriée.
Juste avant la publication de l’Avis du Groupe de Travail des NU, l’ADHP et Addameer ont publié un communiqué signalant que Layan, Elyaa et Ruba avaient chacune reçu d’un tribunal militaire israélien une condamnation pénale et des condamnations excessives différentes, en se fondant sur le fait d’avoir exercé leurs droits humains fondamentaux en participant et en adhérant à une association étudiante démocratique à l’Université de Birzeit :
- Mlle Layan Kayed (âgée de 23 ans) a été condamnée le 21 mars 2021 à 16 mois d’emprisonnement et à une amende de 6.000 NIS (environ 1.500 €). Layan est actuellement en détention militaire ininterrompue depuis plus d’un an, après son arrestation le 8 juin 2020.
- Mlle Elyaa Abu Hijra (âgée de 21 ans) a été condamnée le 23 décembre 2020 à 11 mois d’emprisonnement et à une amende de 1.500 NIS (près de 400 €). Elyaa a été libérée le 10 mai 2021, après plus de dix mois en détention militaire depuis son arrestation le 1er juillet 2020.
- Mlle Ruba Asi (âgée de 21 ans) a été condamnée le 3 mai 2021 à 21 mois d’emprisonnement et à une amende de 3.000 NIS (environ 775 €). Mlle Ruba Asi est actuellement en détention militaire ininterrompue depuis près d’un, après son arrestation le 9 juillet 2020.
L’ADHP et Addameer sont en train de relayer l’avis du Groupe de Travail des NU à Layan, Elyaa et Ruba : en les informant qu’elles ont été reconnues comme ayant été arrêtées arbitrairement pour quatre motifs distincts, et qu’elles ont droit à un recours en vertu du droit international. Nous continuerons à travailler sur leurs cas et sur ceux des autres étudiants universitaires palestiniens qui font face à un ciblage et à un châtiment illégitimes pour avoir exercé leurs droits humains fondamentaux.
Notes d’Information :
Des négociations de plaidoyer de culpabilité ont été acceptées par Layan, Elyaa et Ruba en raison de l’absence de droits fondamentaux à un procès équitable dans les tribunaux militaires israéliens, comme l’indique clairement leur taux de condamnation de plus de 99 %. L’ADHP et Addameer remarque que les dates des procès ont été fréquemment reportées sans la possibilité d’une audience de libération sous caution, en augmentant ainsi un facteur supplémentaire d’arbitraire dans leur détention militaire.
Pour rappel, les trois étudiantes de l’université Birzeit ont chacune été arrêtées à moins d’un mois d’intervalle l’une de l’autre, puis accusées de participation et d’affiliation à une association d’étudiants. Du début de l’occupation militaire en juin 1967 jusqu’à juillet 2019, le Ministère israélien de la Défense a classé 411 organisations comme associations « hostiles », « illégales » ou « terroristes » en vertu des Règlements de Défense (Urgence) (1945). Les membres des organisations désignées peuvent être accusés pénalement pour leur appartenance ou leur adhésion à l’association. Parmi les organisations ainsi classées figurent tous les partis politiques palestiniens importants, dont le parti du Fatah au pouvoir. Les associations d’étudiants universitaires peuvent avoir été ainsi désignées, malgré leur caractère légal.
En septembre 2020, l’ADHP et Addameer ont déposé une plainte en justice auprès du Groupe de Travail des Nations unies sur la détention arbitraire concernant la détention arbitraire et illégale en cours de Layan, Elyaa et Ruba par les autorités militaires israéliennes.
Les condamnations pénales prononcées à l’encontre de Layan, Elyaa et Ruba s’inscrivent dans le cadre de l’intensification de la détention arbitraire par les autorités militaires israéliennes d’étudiants universitaires palestiniens pour avoir exercé pacifiquement leurs droits fondamentaux à la liberté de réunion, d’association et d’expression. Le recours à la détention militaire et à la punition arbitraires semble avoir pour but d’intimider et de dissuader les autres étudiants d’exercer leurs droits civils et politiques fondamentaux. Il présente les caractéristiques d’être intentionnel et stratégique ; en effet, les méthodes utilisées, et le volume d’étudiants qu’elles ciblent, s’accélèrent.
L’ADHP et Addameer mettent l’accent sur le fait que Layan, Elyaa et Ruba ont été criminalisées et ont reçu des peines excessives variables pour avoir exercé leur libertés fondamentales garanties par le droit international sur les droits humains. Elles n’ont pas eu affaire préalablement aux autorités militaires israéliennes. L’effet de ces peines, longues et dans des environnements carcéraux difficiles, aura un impact majeur sur ces jeunes étudiantes. Nous sommes profondément préoccupés par leur bien-être.
Traduit par Yves Jardin, membre du GT de l’AFPS sur les prisonniers
>> Voir le rapport du Groupe de Travail de l’ONU sur les détentions arbitraires