Comme si ça avait commencé là, il y a quelques jours, avec
l’enlèvement des deux soldats israéliens à la frontière du Liban.
Tout était si serein, si calme avant cet acte perpétré par le
Hezbollah. Et le pire concernerait l’ambiguïté des motivations de ce
parti, probablement liées à sa nature meurtrière et barbare, ou au
fait qu’il soit une organisation terroriste, ou pourquoi pas
antisémite qui aspire à tuer les juifs, si sa motivation n’était pas
de servir les bas intérêts politiques et machiavéliques de la Syrie
ou de l’Iran...enfin, un mélange de tout ça.
Comme s’il n’y avait pas eu, il y a juste un mois, à la mi-juin, le
crime de la plage de Gaza où une famille entière a été assassinée, un
vendredi, pendant une sortie promise aux enfants s’ils «
réussissaient leur année scolaire », d’après Hoda, une fillette de 9
ans, la seule survivante. Une commission d’enquête internationale ?
pas question !! Israël n’accepte pas.
Comme s’il n’y avait pas eu cette indifférence internationale à
l’égard de la Palestine qui dure depuis des années, depuis qu’Israël,
justement Israël, a décidé de quitter le processus de paix, lueur
d’espoir éphémère d’une solution négociée, née en 1993 et assassinée
mille fois depuis. Nous n’allons pas refaire l’histoire, mais
rappelons au moins que le Quartet ne fait rien, strictement rien,
depuis des années, que cette fameuse commission laisse Israël prendre
les mesures unilatérales qui lui semblent bons, que le mur continue
de s’ériger malgré l’avis de la Cour internationale de justice sur
son illégalité, que le cortège du malheur palestinien n’en finit pas
de se dérouler devant les yeux du monde entier qui n’a pas envie de
voir.
Comme s’il n’y avait pas eu la coupure de l’aide européenne à
l’Autorité palestinienne, depuis que le peuple palestinien a élu au
parlement les candidats du Hamas, cette autre organisation
terroriste, barbare, antisémite et tout. Les observateurs européens
étaient là, ils attestent de la véracité de ces élections. Mais
enfin, pourquoi les Palestiniens ont fait un si mauvais choix ? Peut-
être sont-ils eux aussi barbares, terroristes et antisémites !!
Alors, il faut réduire à la soumission absolue les Palestiniens, les
Libanais, les Irakiens et tous ceux qui oseraient contester l’ordre
établi.
Car ordre établi il y a. Georges Bush a défini l’axe du Bien, et ses
caractéristiques, et ses membres. Sa suprématie est légitime du fait
même qu’il représente le Bien, et il mène une guerre totale et
permanente aux mauvais.
Ni Nations unies, ni règles internationales.
Invasion et occupation de l’Irak. Guantanamo et centres de détention
secrets.
Israël kidnappe des ministres du gouvernements
palestiniens ? Allons donc, on ne fera pas un drame pour ceux-là, de
surcroît des palestiniens du Hamas, certainement moins bons que les
Palestiniens tués par dizaines tous les jours, enlevés et détenus
administrativement pendant des années, humiliés et laissés pour
compte, sans aucun avenir perceptible, sans horizon, sans même une
promesse de recherche de solution, sans rien. RIEN. Et ils osent
tenir tête, ces barbares ? Ils ne se soumettent pas mais enlèvent un
soldat pour demander la libération des femmes et des enfants
prisonniers en Israël ?
Etonnant quand même. Cet entêtement doit être
une arme secrète ! Décapitons alors pour voir ce qu’il y a derrière ou
dedans ! Cela faisait plus de deux semaines que Gaza était bombardée
nuit et jour, des centaines de civils tués, dont une grande partie
des enfants, la centrale électrique de la ville détruite par Israël
qui menace de couper l’eau aussi.
Qu’est ce qu’on faisait ailleurs ?
Rien, sinon exiger que les Palestiniens restituent sans conditions le
soldat enlevé. Car un membre respectable de l’axe du Bien n’allait
quand même pas négocier avec ces barbares et leur donner satisfaction.
Si le Hezbollah n’avait pas entrepris l’enlèvement des deux soldats,
la situation en Palestine se trouverait devant une impasse totale.
Impasse due à l’absence de recherche de solution au dernier épisode,
celui de l’enlèvement du soldat à côté de Gaza et des revendications
palestiniennes, mais absence de recherche de solution, tout court.
D’avoir laissé la situation en Palestine atteindre ce degré de
pourriture, d’avoir laissé à Israël la totale liberté sur tous les
plans, y compris celle d’organiser les tueries incessantes, de
balayer d’un revers de main les résolutions internationales, et de
jouir d’une totale impunité, voilà ce qui a conduit à l’engrenage
actuel.
Bizarrement, et sans pudeur aucune, Condoleeza Rice s’est
soudain souvenue de la « feuille de route » et annonce qu’il faudrait
la reprendre et l’appliquer. La feuille de route ! la version N des
plans d’application du processus de paix, version revisitée, réduite
à souhait au profit d’Israël et malgré cela négligée et jetée aux
oubliettes. Tant qu’il n’y avait rien qui obligeait le monde à s’en
souvenir, les EU, l’ONU, l’Europe et les pays arabes laissaient
Israël à son bon vouloir.
Mais de quoi se mêle le Hezbollah ? N’est-il pas un parti libanais et
non palestinien ? Cet argument est tout à fait étonnant. Pourquoi les
EU seraient en droit d’intervenir partout dans le monde, de concevoir
le plan du « grand Moyen-Orient », et de prétendre que l’invasion et
l’occupation de l’Irak visent à mettre ce plan en application, et un
parti libanais n’aurait pas le droit de se mêler de la situation en
Palestine, tout à côté du Liban.
Comment y aura-t-il mondialisation
d’une part et cantonnement dans la localité la plus stricte d’autre
part ? L’ordre établi serait-il la mondialisation de la suprématie
militaire et économique américaine qui vassalise le reste du monde à
des degrés différents, jusqu’au morcellement ethnique, confessionnel,
régional, là où ça sert les « intérêts nationaux des EU » qui sont
devenus le seul critère valable pour gérer les relations
internationales.
Un concours de circonstances a rendu puissant le
Hezbollah, parti populaire qui a fait ses preuves durant les années
de lutte pour la libération du Sud Liban occupé par Israël - de 1978
à 2000 - et parti armé.
Le Hezbollah entretient des relations avec la
Syrie et l’Iran ? Ceci ressemble à l’argument américain qui accuse
l’Iran d’intervenir en Irak ! Les EU qui ont traversé des dizaines de
milliers de km pour arriver en Irak, qui y ont déployé plus de cent
mille soldats, qui occupent le pays et y font la pluie et le beau
temps, n’admettent pas que son voisin s’y mêle. Voilà le nouvel ordre
mondial.
Mais non ! C’est une question de rapport de force.
Alors, pourquoi le
Hezbollah se priverait de garder les outils de sa force, dont ses
armes, et pourquoi se priverait-il d’essayer de modifier ce rapport
de force, ne serait-ce que partiellement, pour un rééquilibrage de la
situation ?
Le prix à payer est trop élevé, dira-t-on. Faut-il pour
autant accepter la soumission totale devant ceux qui usent de la
force brutale. N’est-ce pas là la définition de la servitude ?
Certains Libanais ne sont pas d’accord avec cette aspiration du
Hezbollah à modifier le rapport de force global avec Israël. Il n’y a
pas consensus national nous dit-on. C’est vrai, mais y a-t-il jamais
eu consensus national pour bouger ? Celui-ci est précieux durant les
périodes de stabilité, ou pour installer la stabilité, et non pas
tout au long de l’histoire et à chacun de ses instants.
Et la résolution 1559, à laquelle tient si fortement le gouvernement
français, qui fut un de ses artisans et qui réclame actuellement son
application pour une sortie de la crise ?
Si seulement Israël
appliquait une seule des résolutions internationales. Une contre dix,
ça serait acceptable. Mais zéro contre tout, ça s’appelle de la
soumission. Et un déni de tout droit à l’Autre.
Il se trouve que des
Palestiniens, des Arabes, et des Libres du monde entier n’arrivent
pas à intérioriser cette loi de la soumission et oeuvrent pour
limiter ses effets. ça s’appelle de la résistance. Et c’est légitime.
C’est exactement la peur du succès, même minime, d’un rééquilibrage
du rapport de force qui pousse Israël à réagir avec cette violence
démesurée dès qu’un acte signifie la contestation de sa totale
suprématie et liberté d’action.
Israël est à la fois puissant et
vulnérable. Puissant grâce aux armes, au soutien inconditionnel des
administrations américaines successives, à l’absence de plus en plus
prononcée d’une quelconque volonté internationale autre.
Vulnérabilité liée à la condition même de la création d’Israël,
entité artificielle implantée dans cette partie du monde par la
volonté occidentale qui cherchait à y installer une base avancée, et
surtout à résoudre la question juive de la façon la plus antisémite
qui soit ( en tentant une nouvelle fois de se débarrasser des juifs
d’Europe, et en les entassant dans un nouveau ghetto, cage dorée,
mais cage quand même). Et vulnérabilité parce que Etat créé sur une
injustice flagrante, celle de la décision de sacrifier le peuple
palestinien pour réaliser ces objectifs.
Israël est prisonnier de ses
conditions d’existence. Il lui faut exercer à chaque instant sa
totale suprématie, sinon il se sent menacé de disparition !!
Il se
trouve qu’il y a un hic dans l’affaire, qui est l’existence des
Palestiniens. Le slogan sioniste « une terre sans peuple pour un
peuple sans terre » est tellement mensonger qu’il n’arrête pas de
jouer des mauvais tours à ses inventeurs, autre impasse que l’usage
de la brutalité et de l’arrogance envenime, alors que des approches
sages, humaines, respectueuses du drame que l’histoire a fait subir
aux Palestiniens auraient pu réduire...
Voilà que l’impasse de la situation en Palestine génère encore une
fois une explosion. Tout indique qu’elle n’est qu’à ses débuts et que
l’ensemble de la région du Moyen Orient peut basculer dans la
violence la plus déchaînée, aux conséquences les moins prévisibles.
Il serait irresponsable de croire que la situation est maîtrisée, que
des jours ou des semaines de pressions meurtrières sur le Liban
viendraient à bout de cette volonté de rééquilibrer ne serait-ce que
très partiellement le rapport de force, en vue de véritables
solutions politiques qui tiennent quelque peu la route.
Il ne s’agit
pas ou plus de la résolution 1559. L’explosion la dépasse de loin.
Et de toute manière, l’armée israélienne, l’agression israélienne ne
peuvent en aucun cas être les outils de l’application de la
résolution 1559.
L’unique résultat de cette politique que préconise
les EU et que fait sienne la France serait la catastrophe : elle
conduirait au renouveau de la guerre civile au Liban. Les EU sont
bien capables d’une telle crétinerie, on le constate tous les jours
en Irak.
Mais quel intérêt a la France à suivre cette voie. Une
reprise plus que problématique de sa place dans la région ? Il n’y a
pas que les EU qui manquent de pudeur !!
*Coordinatrice de la CCIPPP