Photo : La Première ministère israélienne (1969-1974) Golda Meir, en 1964 / Source : Wikipedia
La propagande israélienne classique présente le pays comme une démocratie libérale forcée de se défendre contre des Palestiniens hostiles, dont les fondateurs libéraux auraient freiné les sionistes radicaux de droite qui réclamaient une expansion et une colonisation plus agressives.
Un nouvel article de Haaretz, qui fait l’effet d’une bombe, bat en brèche cette vision des choses.
Dans son article, intitulé Révélation : Israël a empoisonné des terres palestiniennes pour construire une colonie en Cisjordanie dans les années 1970, Ofer Aderet raconte l’histoire de la dépossession du village palestinien d’Aqraba, situé à environ trois miles de Huwwara, dans le nord de la Cisjordanie. Les terres d’Aqraba étaient convoitées pour y établir Gitit, une nouvelle colonie juive. Au final, 83 % des terres d’Aqraba, qui était alors un village de 4 000 habitants, ont été confisquées par Israël, les réduisant de 145 000 dounams (36 000 hectares) à 25 000 dounams (6 000 hectares).
Voici comment les Israéliens ont procédé :
« La première étape a consisté à déposséder les habitants du village palestinien voisin de leurs terres sous le prétexte fallacieux d’en faire une zone d’entraînement militaire. Lorsque les Palestiniens ont insisté pour cultiver la terre, les soldats israéliens ont saboté leurs outils. Ils ont ensuite reçu l’ordre d’utiliser des véhicules pour détruire les cultures. En cas d’échec, une solution radicale était employée : un pulvérisateur agricole répandait un produit chimique toxique. La substance était mortelle pour les animaux et dangereuse pour les humains. »
L’empoisonnement des cultures n’était pas un acte d’autodéfense. Il a été soigneusement planifié et a impliqué non seulement des acteurs militaires, mais également l’Agence juive :
Une réunion organisée au commandement central [de l’armée en avril 1972], à laquelle ont participé des officiers, un représentant du département « colonie » de l’Agence Juive ainsi que le responsable des propriétés des absents, était intitulée « Pulvériser les zones irrégulières dans le secteur de Tel-Tal ». Tel-Tal est devenu Gitit... Selon ce document, l’objectif de cette rencontre était d’établir la « responsabilité et le calendrier de l’épandage ». Il y est également préciser que personne ne devait se rendre dans la zone dans les trois jours qui suivraient la pulvérisation « par crainte d’un empoisonnement de l’estomac. » Les animaux, selon le document, ne devaient pas pénétrer dans la zone pendant une semaine supplémentaire... Une autre réunion a eu lieu plus tard dans le mois. « Ce commandement n’a aucune objection à procéder à la pulvérisation comme prévu », peut-on lire dans le procès-verbal. « Le responsable des propriétés des absents veillera à ce que les frontières de la zone soient marquées avec précision et dirigera l’avion d’épandage en conséquence ».
C’était l’Israël de la Première ministre Golda Meir. Pas celui de M.Netanyahou, ni d’Itamar Ben-Gvir, ou de Bezalel Smotrich - mais celui de l’icône libérale Golda Meir.
Cette opération d’empoisonnement a-t-elle attiré l’attention ? Selon Ofer Aderet, « l’histoire a brièvement fait les gros titres en 1972 lorsqu’elle a été rapportée par les médias étrangers ». Hélas, « cela n’a pas empêché la construction de la colonie de Gitit sur des terres confisquées aux habitants du village d’Aqraba, que les militaires avaient empoisonnées ».
Cet épisode du nettoyage ethnique de la Palestine n’est qu’un des faits révélés par le Centre Taub pour les études israéliennes, de l’université de New York, à l’initiative du « Projet archivistique sur les colonies juives ».
Les auteurs de l’étude ne sont pas du tout des activistes politiques, comme on pourrait le penser. En réalité, M. Aderet note que « les chercheurs étaient pour la plupart des résidents de colonies actuelles ou passées ». L’historien Ronald W. Zweig, ancien directeur du Taub Center, est cité :
« L’examen des archives disponibles nous permet de comprendre que cette entreprise national colossale est le fruit d’initiatives prises par les gouvernements israéliens successifs, depuis des générations. Pas seulement de ceux d’extrême droite, mais de tous. »
Que les chercheurs aient ou non un agenda politique, il est clair que le gouvernement de Golda Meir en avait un, vorace et expansif. Mais la Première ministre savait qu’il fallait rester discret, afin de protéger la réputation et l’image d’Israël. L’article cite le procès-verbal d’une réunion du cabinet daté du 19 janvier 1971, et dont le titre est « Déclarations et annonces concernant les colonies et les avant-postes ». La Première ministre y fait une demande spéciale aux ministres :
« Avant d’entamer notre discussion, j’aimerais vous demander quelque chose. Nous avions l’habitude, pour tout ce qui concernait les colonies, les avant-postes, les expropriations de terres, etc., de le faire et de ne pas en parler... Dernièrement, cette ligne [de conduite] s’est brisée, et je demande aux ministres, dans l’intérêt de notre patrie, de se retenir, de parler moins, et de faire autant que possible. Nous n’étions pas habitués à ce que les ministres se montrent dans les colonies lors d’une cérémonie où la presse était présente, etc. Je demande qu’on s’en tienne à cette ligne à l’avenir. »
Voilà donc la différence essentielle entre les dirigeants sionistes de gauche et de droite : leur façon de parler. Lorsqu’il y a quatre mois, le ministre des finances Bezalel Smotrich, un juif suprématiste, a appelé à « anéantir Huwwara », incitant à un pogrom, cela a posé un problème de relations publiques à Israël parce que c’était très explicite. Mais lorsque la plupart des terres d’Aqraba ont été empoisonnées, la chose est passée quasiment inaperçue. Golda Meir a veillé à ce que les représentants d’Israël ne diffusent pas l’information, car cela pouvait nuire à l’entreprise de colonisation. L’important était de « faire autant que possible », de créer des « réalités sur le terrain » en utilisant à peu près tous les moyens nécessaires, et de s’en tirer en ayant l’air d’un libéral.
Traduit par : AFPS