Photo : Visite du secrétaire à la défense Ben Wallace au Danemark le 08/12/2021. Copenhague, Danemark. Tim Hammond / No 10 Downing Street
Les personnes qui dirigent le monde connaissent-elles les faits les plus élémentaires sur le monde ? Cette question urgente est soulevée par une chronique récente de l’homme politique britannique Ben Wallace, qui, il y a quelques mois encore, était le ministre de la défense du Royaume-Uni, sur l’attaque israélienne contre Gaza. De manière assez terrifiante, la réponse semble être non.
Le problème est que M. Wallace confère une grande importance à la charte originale du Hamas de 1988, qui est explicitement antisémite et rejette toute coexistence avec Israël. Mais il ne semble pas savoir que le Hamas a publié une nouvelle charte en 2017. Le Hamas y affirme que son "conflit est avec le projet sioniste et non avec les Juifs en raison de leur religion". Et, bien que la charte révisée rejette la légitimité du sionisme, elle accepte "comme formule de consensus national l’établissement d’un État palestinien pleinement souverain et indépendant, avec Jérusalem comme capitale, selon les lignes du 4 juin 1967, avec le retour des réfugiés et des déplacés dans les maisons d’où ils ont été expulsés." Cette référence aux lignes du 4 juin 1967 - avant qu’Israël ne s’empare de la Cisjordanie et de la bande de Gaza lors de la guerre des Six jours - est considérée comme une acceptation de l’existence d’Israël dans ses frontières de l’époque.
Il ne s’agit pas de connaissances obscures réservées à quelques-uns. On aurait pu l’apprendre en lisant n’importe quel journal de l’époque, comme, par exemple, le Telegraph – l’organe de presse qui a publié l’article de Wallace.
L’échec de Wallace à citer la charte en vigueur du Hamas est particulièrement ennuyeux, car son argument général est tout à fait raisonnable. Il fait référence aux conséquences du Bloody Sunday de 1972, lorsque les troupes britanniques ont tué 14 manifestants en Irlande du Nord, et il écrit : "Aussi sûr que la nuit suit le jour, l’histoire nous montre que la radicalisation suit l’oppression". Aujourd’hui, selon Wallace, Israël est sur la même voie et ses "tactiques alimenteront le conflit pendant encore 50 ans... Tout ce que cette action aura permis de réaliser, c’est l’extinction, non pas des extrémistes, mais de la voix des Palestiniens modérés qui veulent une solution à deux États".
Mais Wallace ajoute que "la charte [du Hamas] ressemble à la constitution d’une organisation djihadiste salafiste. Elle est antisémite et antidémocratique. Elle n’est pas intéressée par une coexistence pacifique avec Israël, ni avec l’Égypte au demeurant". En outre, "il ne peut y avoir de cessez-le-feu avec le Hamas à moins qu’il ne soit prêt à en déclarer un ; même dans ce cas, il devrait s’engager à modifier sa charte pour le faire".
Étant donnée la formulation de Wallace, il est improbable qu’il ait consciemment cherché à tromper en omettant de mentionner la révision de 2017 ; il est presque certain qu’il ne sait pas qu’elle existe. (Wallace siège toujours au Parlement britannique et son bureau de Westminster lui a transmis des questions à ce sujet, mais il n’a pas répondu).
Ceci est important pour deux raisons.
Premièrement, la charte en vigueur du Hamas - c’est-à-dire celle de 2017 - ne constitue pas un obstacle insurmontable à une solution à deux États et à la paix. En outre, bien qu’il soit impopulaire de le souligner, les dirigeants du Hamas ont signalé à maintes reprises leur volonté d’accepter une solution à deux États. En 2009, l’Institut de la paix des États-Unis, un groupe de réflexion financé par le gouvernement fédéral, a conclu que "le Hamas ajuste son programme politique soigneusement et délibérément depuis des années et il a envoyé des signaux répétés indiquant qu’il pourrait être prêt à entamer un processus de coexistence avec Israël". Il est facile de se référer aux attaques terroristes féroces perpétrées par le Hamas le 7 octobre et de dire qu’il n’a clairement jamais été disposé à accepter une solution à deux États. Cependant, la vérité crue est que ces attaques et la réponse israélienne ont renforcé l’intérêt des États-Unis pour la création d’un État palestinien. Il est possible qu’une partie du Hamas souhaite en fait une solution à deux États et nous comprenne mieux que nous ne nous comprenons nous-mêmes.
Deuxièmement, nous devons accepter le fait que de nombreuses personnes au sommet des structures de pouvoir dans le monde n’ont tout simplement aucune idée de ce dont elles parlent. Jimmy Carter a écrit un jour qu’il aurait aimé connaître l’histoire de l’agression américaine en Amérique centrale avant de devenir président ; les habitants de l’Amérique centrale l’auraient probablement souhaité aussi.
De même, les Palestiniens seraient plus heureux si des gens comme Wallace, dont le mandat de ministre de la défense du Royaume-Uni a duré quatre ans, pouvaient atteindre une connaissance de leur histoire du simple niveau de Wikipédia. En prime, Wallace pourrait même apprendre les principes fondamentaux du parti Likoud, actuellement présidé par le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahou. Le programme original du parti, qui date de 1977, déclare que "entre la mer et le Jourdain, il n’y aura qu’une souveraineté israélienne".
Mais, bien entendu, Wallace et ses semblables ne subissent aucune pression pour prendre connaissance des faits. Toutes les pressions les poussent dans l’autre sens. Par exemple, pour ses observations banales de la réalité sur le fait que l’oppression alimente la radicalisation, Wallace a été accusé de potentiellement "attiser la haine antisémite".
Il est pénible d‘avoir à rappeler ces faits concernant le Hamas, qui est, d’un point de vue laïque et progressiste, repoussant à l’extrême. Mais même si personne n’a à défendre le Hamas, il est important de défendre la réalité. Nous avons désespérément besoin que les responsables politiques la comprennent, afin qu’au moins ils ne détruisent pas le monde par accident.
Traduction : AFPS