Journaliste de renom, critique respecté et talentueux analyste, Joseph Samaha est décédé dimanche 25 février à Londres à l’âge de 58 ans d’un arrêt cardiaque.
« Nous nous courbons devant toi, notre cher, notre ami, Joseph Samaha, et nous te promettons de rester fidèles à la ligne que tu as défendue », a écrit Samir Qintar, doyen des prisonniers libanais détenus en Israël dans un message de condoléances transmis par son avocat. « La fidélité à Joseph Samaha signifie l’alignement... plus justement, l’alignement permanent aux côtés du camp de ceux qui refusent l’hégémonie, du camp de la lutte pour la démocratie et la liberté. » [1]
Joseph Samaha a fait ses premières armes dans le quotidien libanais As Safir avant de cofonder à Paris l’hebdomadaire Al Youm Al Saber (le septième jour) dans les années 1980. Après un passage à Londres, au quotidien arabe Al Hayat, il réintégra, en tant que rédacteur en chef, As Safir, journal qu’il a quitté il y a six mois pour fonder, avec un groupe de journalistes et d’intellectuels passionnés, Al Akhbar, dont le numéro zéro était confectionné sous le fracas des bombardements acharnés de l’agression israélienne de juillet-août 2006. On citera dans cette équipe perchée dans l’immeuble Concorde au centre de Beyrouth, les Ibrahim El Amine, Pierre Abi Saâb, Walid Charaa, etc.
Analyste percutant, Joseph Samaha a toujours défendu l’idée d’un Liban libre et libéré de ses pesanteurs confessionnelles. « Joseph Samaha ne se métamorphosera pas en martyr ; il ne s’incarnera pas en photo souriante sur la façade d’une ville aux murs surpeuplés ; il ne se révélera pas dans une sonorité rhétorique qui adresse les grands nombres. Il sera simplement une idée minoritaire, une mémoire intraduisible, et des mots dans une archive qui échappent à l’oubli », écrivait un blogger libanais sur son site avant-hier. [2]
texte de Joseph Samaha
Al-Akhbar, 19 février 2007
publié par al Oufok :
La politique américaine vis-à-vis des situations palestinienne et libanaise possède des traits communs :
1 - Washington désigne des forces populaires, ayant du poids et une légimité, en tant qu’ennemis et faisant partie de l’axe de l’extrémisme terroriste contre lequel il est supposé mener une guerre décisive. Il n’y a aucun problème direct entre Hamas et les Etats-Unis, ni en ce qui concerne le Hizbullah. Mais l’hostilité est due au tournant belliqueux de la politique américaine, d’abord, et de la centralité de la relation avec Israël, ensuite. Et si nous pouvons extrapoler, et trouver des causes au discours américain à propos de la place irakienne dans la guerre planétaire contre le terrorisme, à cause de l’implication américaine là-bas, il n’y a aucune justification américaine directe pour appliquer ce discours au Liban et en Palestine.
2 - L’administration américaine propose aux forces locales « modérées » ou « responsables » (selon la dernière appelation) des missions qui dépassent leurs capacités d’exécution. Cela, si elle le veut, nous pouvons trancher que du côté palestinien, Mahmud Abbas est préféré sans le Hamas, et du côté libanais, Fouad Sanioura est souhaité sans « le Hizbullah et ses armes ». Mais ceci est une chose et l’avancée vers une confrontation décisive et presque impossible en est une autre. Il faut remarquer, dans les deux cas cités, que l’occupation israélienne a échoué, mais aussi la dernière agression contre le Liban (sans parler des difficultés de l’occupation américaine de l’Irak). Malgré tout, la demande américaine n’a pas changé, une fois au nom de la « feuille de route » et des « conditions du quartet » (le mieux serait de dire « le legs du quartet car il a déjà rendu l’âme) et une fois au nom des résolutions 1559 et 1701.
3 - Les Etats-Unis accordent des aides financières et militaires aux « forces modérées » tant qu’elles sont en conflit avec les « forces extrémistes ». C’est ce qui s’est passé lors des affrontements à Gaza. C’est ce qui s’est passé à la conférence de Paris 3. Mais lorsqu’il s’avère que l’ « aide » la plus efficace serait d’amener Israël à reculer, Washington devient hésistant ou refuse net. L’administration actuelle a passé six ans à refuser d’ouvrir « un horizon politique » à Yasser Arafat puis à Mahmud Abbas et au gouvernement du Fateh, puis à Mahmud Abbas et au gouvernement du Hamas et actuellement, le plus probable, à Mahmud Abbas et au gouvernement d’union nationale. On peut dire la même chose concernant le Liban où l’évocation des « fermes de Shebaa » et des violations israéliennes est chose interdite même si un rôle est donné aux forces internationales et l’ONU.
4 - Lorsque la situation est si évidente, il devient difficile de parler de simples « erreurs ». Il semble que Washington préfère l’anarchie en Palestine et au Liban, à la paix civile dont la condition est de rassembler les « forces du bien » et les « forces du mal » dans un gouvernement d’unité nationale.
Washington va trouver une formule pour boycotter le gouvernement d’union nationale en Palestine, c’est ce qu’a déclaré Ehud Olmert à la place de George Bush, même si Rice a décidé de reporter sa position.
C’est ce qui est arrivé au Liban lorsque l’ambassadeur américain Jeffrey Feltman est intervenu, sur le terrain, soutenu par des déclarations de l’administration, pour couper court à tout règlement interne équilibré même si l’alternative consiste à garder la crise ouverte. Il est devenu légitime, au Liban, de poser la question pour savoir si Washington accepte les points de règlement proposés par la majorité parlementaire et gouvernementale. Ce règlement peut sembler, aux yeux des Américains, pas assez radical. Comment en serait-il alors s’il fallait lui ajouter le communiqué ministériel actuel et la question des armes, renvoyée au « dialogue interne », pour mettre en avant la paix sociale. Nous pouvons ajouter que des forces libanaises concernées ne voient pas d’intérêt dans ce règlement, ni dans une solution qui satisfasse les revendications de l’opposition.
George Bush a refusé un projet américain pour un règlement global dans la région, fermant les dossiers ouverts et empêchant l’ouverture d’autres. C’est ce que propose essentiellement le rapport Baker - Hamilton, et selon ce rapport, il est supposé qu’Israël aide les Etats-Unis à sortir de l’impasse irakienne en contrepartie du service qui lui a été accordé en détruisant l’Etat irakien.
Au lieu de cela, George Bush a préféré poursuivre la confrontation stratégique soutenu par une tactique simulant la reprise des négociations au niveau palestinien. Mais cette tactique demeure toujours dans le cadre stratégique car son passage obligé est la guerre fratricide palestinienne. « L’accord de la Mecque » a gelé la lutte, la tactique a échoué ou presque, et l’axe de la modération peut se retrouver sans feuille de vigne...
Ainsi, l’agression ne peut que se poursuivre... nue !
[3]