Photo : la communauté bédouine de Wadi Siq, forcée à abandonner sa terre en octobre 2023, après des années d’attaques des groupes de colons et de l’armée israélienne. Source : B’Tselem
Abu Najeh al-Omari est un Palestinien de 80 ans.
Il passe le plus clair de son temps à pleurer et à déplorer que lui et sa famille aient été contraints de quitter leur communauté bédouine à l’est de Ramallah. "Nous en rêvons jour et nuit", a-t-il déclaré à The Palestine Chronicle.
Il y a plusieurs mois, un groupe de colons juifs illégaux, protégés par l’armée et la police israéliennes, les a forcés, lui et sa famille, à quitter leur maison et leur terre.
M. Al-Omari vit dans la région d’Ain Samia depuis les années 1960. Il s’agit d’une vaste et belle terre entourée de montagnes, riche en sources d’eau et caractérisée par un sol particulièrement fertile.
Al-Omari, père de huit enfants, travaillait comme agriculteur et éleveur.
Sa famille fait partie des dizaines de personnes qui ont formé une communauté bédouine, laquelle a pris une place importante dans la société palestinienne.
Une oppression constante
Selon M. al-Omari, les attaques israéliennes à leur encontre n’ont jamais cessé depuis des décennies.
Il nous a expliqué que depuis 1967, les familles bédouines de la région sont victimes de harcèlement et d’agressions, que ce soit de la part des colons ou des soldats israéliens. "De temps en temps, ils volaient notre bétail et nous empêchaient de le faire paître dans plusieurs zones, parfois sous le prétexte qu’il s’agissait d’une zone militaire, parfois que les zones de pâturage étaient sous le contrôle de l’État israélien, et parfois sous le prétexte qu’elles se trouvaient à proximité des colonies", a-t-il déploré.
"Mais nous sommes venus ici bien avant la construction des colonies", a-t-il ajouté.
Ces restrictions ont toutefois approfondi la relation entre la population palestinienne et cette terre. La population s’est accrue et a commencé à cultiver la terre avec différentes cultures afin de diversifier ses sources de revenus. Il y a cinq ans, Israël a commencé à resserrer son emprise sur eux, les empêchant de construire des granges pour leurs moutons ou d’ajouter des pièces à leurs maisons, afin d’accueillir une population croissante.
"Chaque fois que je construisais une petite pièce, l’armée israélienne la démolissait", a-t-il déclaré.
"Nous avons construit une modeste école, mais les colons ont brisé ses fenêtres et coupé ses conduites d’eau. Chaque Palestinien de cette région risque de voir sa maison démolie sous n’importe quel prétexte", a-t-il ajouté.
Les jeunes des collines
Avec le temps, un groupe de colons, qui se fait appeler "Jeunes des collines", a commencé à pratiquer l’élevage dans la région d’Ain Samiya. Les colons ont amené leur bétail, empêché les Palestiniens de faire paître leurs bêtes et se sont progressivement emparés de leurs terres.
L’année dernière, la fréquence des attaques israéliennes contre cette communauté bédouine a doublé. Les colons et les soldats israéliens ont travaillé ensemble pour expulser les familles par des assauts incessants.
Battre les habitants, jeter des pierres sur les maisons, proférer des injures en permanence, couper l’eau et l’électricité, voler le bétail, brûler et saccager les cultures agricoles : tout cela faisait partie d’une vague d’attaques intenses qui visait, dès le départ, à expulser les Palestiniens par la force.
"Ils m’ont volé 30 têtes de bétail, prétendant qu’elles leur appartenaient, et en ont volé des dizaines d’autres au reste des familles", a déclaré M. al-Omari.
"Nous avons eu peur qu’ils les volent tous, nous avons donc dû quitter la communauté pour nous rendre dans des régions plus éloignées, et jusqu’à présent, nous n’avons pas été en mesure de revenir".
Trente-sept familles, composées chacune de sept à dix personnes, dont la plupart sont des enfants, ont été contraintes de quitter leurs maisons dans la région d’Ain Samiya sous la pression intense d’Israël, sous la forme d’attaques incessantes de la part des colons juifs, de l’armée et de la police israéliennes.
Ils ont laissé derrière eux leurs maisons avec tout ce qu’elles contenaient et n’ont pas pu y retourner, pas même pour récupérer leurs biens. Quiconque osait revenir sur ses pas était battu, arrêté ou voyait son véhicule brûlé.
"Avant, nous vivions de l’élevage et de l’agriculture, mais aujourd’hui, nous vivons de l’aide. Nous ne vivons plus en communauté. Chaque famille a été contrainte de vivre dans des villages séparés et de vendre son bétail. Chaque jour, je souhaite retourner à Ain Samiya.
Ils ont brûlé ma maison
Waad Salama, 37 ans, vit depuis dix ans dans la communauté bédouine de Wadi Alsharq, à l’est d’Hébron (Al-Khalil). Elle s’y est installée après son mariage.
En novembre dernier, elle a entendu des bruits de pas près de sa maison.
Lorsqu’elle est sortie pour enquêter, elle a surpris quatre colons masqués en train de verser un liquide inflammable et de mettre le feu à la maison.
"J’ai commencé à crier, mais mon mari n’était pas là", a déclaré Salama à The Palestine Chronicle.
"J’ai rapidement attrapé mes quatre enfants dans la maison et nous avons réussi à nous enfuir avant d’être blessés. Mais la maison et tout ce qu’elle contenait ont été réduits en cendres malgré les tentatives des voisins pour éteindre l’incendie", a-t-elle poursuivi.
Salama et sa famille ont été contraints de vivre dans une petite chambre louée dans la ville voisine de Sa’ir, dans des conditions financières très difficiles, car ils ont perdu toutes leurs économies à cause de l’incendie.
L’incendie de la maison n’était pas le premier incident dans cette communauté. Presque quotidiennement, les Palestiniens enregistrent diverses attaques de la part des colons qui veulent les forcer à partir.
"Ils sont venus toutes les nuits et nous ont jeté des pierres, protégés par l’armée israélienne", a déclaré Salama.
"Ils ont tout détruit, ils ont coupé l’électricité et les canalisations d’eau pour nous rendre la vie plus difficile.
Génocide contre les Bédouins
Selon le Bureau central palestinien des statistiques, 25 000 à 30 000 Bédouins vivent en Cisjordanie.
Le mode de vie des Bédouins est aujourd’hui menacé par les restrictions sévères à leur liberté de mouvement imposées par Israël. Selon le centre, leur présence entrave les plans de colonisation d’Israël en Cisjordanie.
L’organisation Al-Baidar pour la défense des droits des Bédouins a surveillé, au cours du seul mois d’octobre dernier, l’expulsion de dix communautés bédouines des régions de Ramallah, Naplouse, Hébron, Jérusalem et de la vallée du Jourdain.
Hassan Malihat, directeur général de l’organisation, a déclaré au Palestine Chronicle qu’Israël commettait un génocide contre les communautés bédouines de Cisjordanie.
La présence bédouine en Cisjordanie se concentre dans les déserts de l’est, plus précisément dans les zones situées à l’est de Ramallah et de Jérusalem, dans la vallée du Jourdain, dans les régions de Jéricho et de Tubas, ainsi qu’au sud d’Hébron.
Cette dernière zone est classée "zone C" par les accords d’Oslo. Elle est donc soumise à la sécurité et au contrôle administratif d’Israël.
"Ces terres constituent l’épine dorsale de la mise en œuvre des projets de colonisation israéliens, et la présence des Bédouins dans ces zones est considérée comme un véritable obstacle à la mise en œuvre de ces projets", a déclaré M. Malihat.
"Par conséquent, la politique de nettoyage ethnique est pratiquée en démolissant les maisons, en confisquant les biens et en déplaçant de force la population locale, en utilisant des moyens illégaux et racistes".
Israël utilise tous les moyens disponibles, y compris la confiscation des terres, l’expulsion des résidents bédouins, leur relocalisation dans des zones géographiquement définies, la destruction et le vandalisme des biens et installations bédouins, et la déclaration de leurs terres en tant que réserves naturelles ou zones militaires fermées où le pâturage est interdit.
Selon Malihat, Israël emploie d’autres méthodes d’expulsion pour créer un environnement difficile, qui finit par contraindre les communautés bédouines à partir. Elles sont privées de services de base, notamment d’eau potable, d’électricité et de voies de communication.
"Tous ces actes sont menés en violation de toutes les lois, accords et traités internationaux, notamment les quatre conventions de Genève de 1949, la convention de La Haye relative au règlement pacifique des différends internationaux et la convention relative aux droits de l’enfant de 1989", a expliqué M. Malihat.
"Il n’y a aucune clause de la Charte des Nations Unies qui n’ait pas été violée de manière flagrante par l’Etat occupant", a-t-il conclu.
Fayha’ Shalash est une journaliste palestinienne basée à Ramallah. Diplômée de l’université de Birzeit en 2008, elle travaille depuis comme reporter et animatrice radio. Ses articles ont été publiés dans plusieurs publications en ligne. Elle a contribué à cet article pour The Palestine Chronicle.