Les diplomaties occidentales sont apparues désemparées devant le déclenchement de la nouvelle guerre de Gaza. Une bonne diplomatie doit savoir anticiper les conflits. Celui qui vient d’opposer Israël et le Hamas pour la troisième fois en une décennie était prévisible, dans une situation de blocus total de la bande de Gaza et d’échec des négociations sous l’égide américaine. La formation d’un gouvernement palestinien de consensus, saluée par l’Europe et les Etats-Unis, est apparue intolérable pour Tel-Aviv. Tout devait être fait pour briser le retour à l’unité nationale palestinienne. L’occasion s’en est trouvée après le meurtre de trois jeunes Israéliens. Le premier communiqué élyséen donnait l’impression d’absoudre par avance Israël des excès de son intervention militaire. Il aura fallu le bilan de plus d’un millier de morts palestiniens et le bombardement d’écoles des Nations unies pour que Laurent Fabius déclare que le droit d’Israël à la sécurité ne justifiait pas qu’on massacre des civils.
L’actuelle politique étrangère de la France considère le conflit israélo-palestinien comme secondaire depuis les bouleversements dans le monde arabe. Comme l’avançaient certains stratèges, il devait être traité comme un conflit de basse intensité. Au cours de sa première allocution à la conférence des ambassadeurs, en août 2012, François Hollande expédiait le conflit en une phrase lapidaire évoquant la sécurité d’Israël et le droit des Palestiniens à l’autodétermination, sans un mot sur l’Etat palestinien. On en revenait au langage de la déclaration européenne de Venise en 1980, il y a trente-deux ans !
Qu’attend-t-on de la France, qualifiée par Laurent Fabius de puissance de paix ? Tout d’abord, devant la nouvelle tragédie de Gaza, qu’on entende sa voix, qu’elle dise le droit de manière claire, sans rechercher à tout prix l’équilibre, alors qu’il s’agit d’un conflit asymétrique. On aimerait l’entendre appeler à la levée du blocus, que nous condamnions en son temps, à la convocation des parties contractantes de la IVe convention de Genève sur la protection des populations occupées. L’abstention de la France au Conseil des droits de l’homme de l’ONU, qui décidait d’une enquête sur d’éventuels crimes de guerre commis par Israël et le Hamas, a suscité l’incompréhension.
Pionnière dans les discussions avec l’Organisation de libération de la Palestine (OLP), dans les années 80, notre diplomatie devrait nouer un dialogue discret et ferme avec le Hamas afin de conforter son aile modérée. Il y a un paradoxe à s’abstenir de tout contact avec l’une des parties au conflit, à laquelle on s’adresse via l’intermédiaire qatari peu fiable, quitte à heurter les Egyptiens. Le Hamas de 2014 n’est plus celui que j’ai rencontré en 2008 à la demande de Bernard Kouchner. Ses dirigeants n’appellent plus à la destruction d’Israël et évoquent une Palestine dans les frontières de 1967.
La France se doit de donner sa vision d’une solution globale du conflit israélo-palestinien sans détacher la question de Gaza du sort de la Cisjordanie, sauf à s’aligner sur la stratégie de Tel-Aviv. Au cours des dernières décennies, la France était à l’initiative, élaborant les principales déclarations européennes sur le conflit du Proche-Orient, de la déclaration de Venise en 1980 à celle de Berlin en 1999 évoquant la nécessité d’un Etat palestinien viable, jusqu’à celle de Stockholm en 2012 désignant Jérusalem comme capitale de deux Etats. Ce rôle précurseur de la France était reconnu au sein de l’Europe et apprécié des pays arabes.
Il ne s’agit pas de se lancer dans une diplomatie gesticulatoire mais de poser les grands principes, de rappeler les fondamentaux d’un processus de paix : les résolutions des Nations unies, notamment la 242, matrice des décisions du Conseil de sécurité appelant à la paix en échange des Territoires occupés en 1967.
La priorité est d’agir au sein de l’Union européenne (UE), sans rechercher le consensus difficilement atteignable à vingt-huit membres. L’essentiel est de créer une nouvelle dynamique en faisant partager nos vues, dans un premier temps, à nos principaux partenaires européens : l’Allemagne, la Grande Bretagne, l’Italie et l’Espagne. L’enjeu est de changer de méthode et de choisir de nouveaux instruments de négociation. Les cycles de négociations bilatérales sous l’égide de Washington ont débouché sur des impasses. Le quartet qui rassemble les Etats-Unis, l’Union européenne, la Russie et l’ONU a montré son inutilité, avec un Tony Blair tout occupé à développer ses affaires.
La perspective d’une paix imposée, qu’appelle dorénavant de ses vœux Laurent Fabius, passera nécessairement par une conférence internationale réunissant les membres permanents du Conseil de sécurité, l’UE et l’ONU, ainsi que plusieurs puissances régionales, en présence des parties. Les paramètres d’une solution globale, proches de ceux de Camp David et de Taba (2000-2001), sont connus. Conjointement, Etats-Unis et Union européenne seraient davantage en mesure de forcer la main à Nétanyahou. En effet, la position d’Israël s’est affaiblie ces derniers mois, marquée par une relation tendue avec Washington, tandis qu’avec l’UE apparaissent des signes de crispation liés à la question de la colonisation - véritable cancer du processus de paix, dont les métastases font obstacle à la création d’un Etat palestinien viable. Notre amitié avec Israël, réaffirmée avec force par le Président lors de sa récente visite, devrait nous autoriser à tenir un langage de grande franchise pour souligner le risque, pour l’Etat hébreu, de s’isoler davantage, d’être soumis à des campagnes de boycott et d’apparaître comme un pays d’apartheid - terme qui n’est plus tabou, y compris aux Etats-Unis.
La mobilisation de la diplomatie française en faveur des minorités menacées de génocide en Irak ne doit pas la retenir de tenter d’ouvrir une perspective de solution sur la question israélo-palestinienne, « la mère des conflits » qui traversent la région. La conférence des ambassadeurs qui se tiendra le 25 août sera peut-être l’occasion pour le président de la République de donner sa vision de la paix au Proche-Orient. Il devrait en être de même à la prochaine Assemblée générale de l’ONU ou se posera à nouveau la question de l’admission de la Palestine comme membre à part entière.
Yves AUBIN DE LA MESSUZIERE Ancien ambassadeur de France