Photo : attaque israélienne dans un quartier de Gaza à 5h45 du matin le vendredi 24 novembre 2023. Crédit : Motaz Azaiza.
Les rues sont soudain inondées. Les gens peuvent désormais inspecter les bâtiments détruits à Khan Younis, à Nuseirat, à Deir al-Balah et dans d’autres villes du sud, s’éloigner de leurs abris pour apporter des vivres à leurs familles. Surtout, ils peuvent désormais prendre des nouvelles des membres de leur famille encore en vie, avec lesquels le contact avait été rompu tout au long de la guerre.
Ils peuvent désormais se chercher, pleurer ensemble ce qu’ils ont perdu et ce qu’ils risquent encore de perdre.
Le "cessez-le-feu temporaire", si c’est ainsi qu’ils l’appellent, ne signifie pas la fin de la guerre. Il signifie simplement que nous disposons de plus de temps pour pleurer et faire notre deuil."
Même si les combats qui ont précédé la trêve ont été parmi les plus violents depuis le début de la guerre, les gens gardaient l’espoir qu’ils se termineraient par un cessez-le-feu qui leur permettrait de rentrer chez eux en toute sécurité dans la ville de Gaza et au nord de la vallée de Gaza.
Hier, tôt dans la matinée, les avions de guerre israéliens ont largué plusieurs tracts à l’intention des personnes restées dans le nord de la bande de Gaza, les avertissant de ne pas sortir. L’armée israélienne a également appelé au hasard des numéros de téléphone portable de résidents enregistrés de la ville de Gaza, les avertissant de ne pas retourner au nord de la vallée de Gaza. Les tracts et les appels téléphoniques ont envoyé le même message : la guerre n’est pas terminée, et retourner chez soi, c’est retourner à la mort.
Mais les familles qui ont été déchirées par le génocide et qui ont été déplacées pendant plus d’un mois sont désespérément à la recherche d’informations sur le sort des êtres chers qui sont restés. Nombre d’entre elles souhaitent également retourner à l’endroit où se trouvaient leurs maisons, peut-être pour sauver ce qu’elles peuvent des décombres, y compris des provisions, des biens importants et des documents officiels.
Ahmad Lafi, 34 ans, originaire du quartier de Sheikh Radwan, a fui vers le sud à Khan Younis avec sa femme et ses deux enfants au début de la guerre, laissant derrière lui son père et sa mère, ses deux sœurs et ses deux frères. Il a déclaré à Mondoweiss qu’il avait perdu le contact avec eux il y a deux semaines et qu’il ne savait pas s’ils étaient en vie. Ni la Croix-Rouge ni aucune autre organisation n’a été en mesure de l’aider dans sa tentative de retrouver des informations sur leur sort.
Hier, il a tenté de se rendre à Gaza City avec des tas d’autres réfugiés qui cherchaient à faire la même chose. Lorsqu’ils ont atteint le poste de contrôle de la rue Salah al-Din, et avant de s’approcher à moins de 100 mètres des véhicules blindés israéliens, les soldats ont commencé à tirer avec des mitrailleuses montées sur des chars dans la direction de la foule.
Immédiatement, des dizaines de personnes sont tombées au sol, gravement blessées, et quelques autres ont été tuées par les tirs de mitrailleuses, a déclaré Ahmad à Mondoweiss. Ils se sont ensuite retournés et ont couru dans l’autre direction.
Plus tard dans la journée, les autorités gouvernementales de Gaza ont annoncé la mort de deux martyrs dans l’incident et ont fait état de plus de 15 personnes blessées par des balles réelles dans les jambes et la poitrine.
Les termes du cessez-le-feu autorisent le passage des personnes restées au nord vers le sud, mais il n’en va pas de même pour celles qui souhaitent aller dans l’autre sens. Les analystes estiment que l’absence d’une telle stipulation dans les termes du cessez-le-feu signifie que la nouvelle occupation militaire du nord de la bande de Gaza a été consolidée.
Shaher Abu Shirbi, 42 ans, est père de six enfants et réfugié dans une école de l’UNRWA à Khan Younis. Il avait espéré que la trêve lui donnerait la possibilité de retourner à Beit Hanoun, dans le nord.
"Même si c’est dangereux, je veux vérifier ma maison. Même si elle est démolie, je veux y jeter un dernier coup d’œil", a déclaré Shaher à Mondoweiss.
M. Shaher explique que, dans la précipitation qui les a conduits à fuir les bombardements, sa femme et lui n’ont pas pu emporter autant d’effets personnels et ont laissé derrière eux des objets importants tels que leurs papiers d’identité et les certificats de naissance de leurs enfants. Ils n’ont pas non plus emporté suffisamment de vêtements et s’efforcent de trouver des vêtements plus chauds à l’approche de l’hiver.
Peut-être que pour certains ces priorités ne semblent pas essentielles au milieu de la mort et de la destruction. Mais une fois que le cessez-le-feu est entré en vigueur, indépendamment de ce que les gens en pensaient, il a eu pour effet de donner à certains une lueur d’espoir. Certaines familles qui sont restées dans le nord tout au long des combats ont également choisi d’y rester, même après la fin du cessez-le-feu. Mais ces familles n’ont reçu que peu de répit de la trêve, car elle ne leur a donné que la chance de comprendre pleinement l’étendue de ce qu’elles ont perdu.
Shahd Matar, qui a perdu deux de ses frères lors d’une frappe aérienne dans le camp de réfugiés de Jabaliya, où elle et sa famille vivent toujours, a écrit sur Facebook pendant le cessez-le-feu :
"La trêve a transformé notre maison en salon funéraire, car les gens ont commencé à se rendre chez les uns et les autres pour exprimer leurs condoléances. Pour la première fois pendant la guerre, et depuis la mort de mes deux frères, nos voisins et amis ont afflué pour exprimer leurs condoléances à ma mère et à moi", a-t-elle déclaré.
"Mais ma mère s’est installée dans un coin de la maison et n’arrête pas de pleurer", poursuit Shahd. "Ce n’est qu’aujourd’hui que nous avons réalisé qu’ils étaient partis. Ce n’est qu’aujourd’hui que nous sentons la présence de la mort ici."
Traduction : AFPS