Photo : Les directeurs du Mossad successifs en 2015 aux côté de Benjamin Netanyahou. Au centre de la rangée arrière, troisième personne en partant de la gauche, se trouve Tamir Pardo alors directeur de l’agence de renseignements israélienne - Source : Wikipédia
Un ancien chef du Mossad, l’agence de renseignement israélienne, a déclaré mercredi à l’Associated Press qu’Israël appliquait un système d’apartheid en Cisjordanie, rejoignant ainsi une liste de plus en plus longue de fonctionnaires à la retraite qui appuient une idée encore largement en marge du discours israélien et de la diplomatie internationale.
Les principaux groupes de défense des droits en Israël et à l’étranger ainsi que les Palestiniens ont accusé Israël et son occupation de la Cisjordanie, qui dure depuis 56 ans, de se transformer en un système d’apartheid conférant, selon eux, aux Palestiniens un statut de seconde zone et visant à maintenir l’hégémonie juive du Jourdain à la Méditerranée.
Une poignée d’anciens dirigeants, diplomates et responsables de la sécurité israéliens ont mis en garde contre le risque de voir Israël devenir un État d’apartheid, mais le message de M. Pardo était encore plus direct.
« Il y a un État d’apartheid ici », a déclaré Tamir Pardo lors d’une interview. « Dans un territoire où deux personnes sont jugées selon deux systèmes juridiques, il s’agit d’un État d’apartheid. »
Compte tenu des antécédents de M. Pardo, ces commentaires ont un poids particulier dans un Israël obsédé par la sécurité.
M. Pardo, qui a dirigé l’agence d’espionnage secrète d’Israël de 2011 à 2016, n’a pas voulu dire s’il avait les mêmes convictions lorsqu’il était à la tête du Mossad. Mais il a déclaré qu’il pensait que les Palestiniens figuraient parmi les problèmes les plus urgents du pays, avant le programme nucléaire iranien, considéré par le Premier ministre Benjamin Netanyahou comme une menace existentielle.
M. Pardo a déclaré qu’en tant que chef du Mossad, il avait à plusieurs reprises averti M. Netanyahou qu’il devait décider des frontières d’Israël, sous peine de voir un État juif détruit.
Au cours de l’année écoulée, M. Pardo a critiqué ouvertement les mesures prises par M. Netanyahou et son gouvernement pour remodeler le système judiciaire, reprochant à son ancien patron d’avoir pris des mesures qui, selon lui, transformeraient Israël en dictature. Son analyse honnête de l’occupation militaire israélienne est rare parmi les leaders du mouvement de protestation populaire contre la réforme judiciaire, qui a largement évité de parler de l’occupation par crainte d’effrayer les partisans les plus nationalistes.
Les propos de M. Pardo et le remaniement interviennent alors que le gouvernement israélien d’extrême droite, composé de partis ultranationalistes favorables à l’annexion de la Cisjordanie, s’efforce de renforcer l’emprise d’Israël sur le territoire. Certains ministres se sont engagés à doubler le nombre de colons vivant actuellement en Cisjordanie, qui s’élève [aujourd’hui] à un demi-million.
Dans l’Afrique du Sud de l’apartheid, un système basé sur la suprématie blanche et la ségrégation raciale était en place de 1948 à 1994. Les groupes de défense des droits humains ont appuyé leurs conclusions concernant Israël sur des conventions internationales telles que le Statut de Rome de la Cour pénale internationale. Ce statut définit l’apartheid comme « un régime institutionnalisé d’oppression et de domination systématiques d’un groupe racial sur tout autre groupe racial ».
M. Pardo a déclaré que les citoyens israéliens peuvent monter dans une voiture et conduire où ils veulent, à l’exception de la bande de Gaza sous blocus, alors que les Palestiniens ne peuvent pas conduire partout. Il a ajouté que son point de vue sur le système en Cisjordanie n’était « pas extrême. C’est un fait. »
Les Israéliens n’ont pas le droit d’entrer dans les zones palestiniennes de Cisjordanie, mais ils peuvent conduire à travers Israël et dans les 60 % de la Cisjordanie qu’Israël contrôle. Les Palestiniens doivent obtenir l’autorisation d’Israël pour entrer dans le pays et doivent souvent passer par des points de contrôle militaires pour se déplacer en Cisjordanie.
Les groupes de défense des droits humains pointent du doigt les politiques discriminatoires menées en Israël et dans la partie annexée de Jérusalem Est, le blocus israélien de la bande de Gaza, gouvernée par le groupe militant Hamas depuis 2007, et l’occupation de la Cisjordanie. Israël exerce un contrôle global sur le territoire, maintient un système juridique à deux vitesses et construit et étend des colonies juives que la majorité de la communauté internationale considère comme illégales.
Israël rejette toute allégation d’apartheid et affirme que ses propres citoyens arabes jouissent de droits égaux. Israël a accordé une autonomie limitée à l’Autorité palestinienne internationalement reconnue, qui est basée en Cisjordanie, au plus fort du processus de paix dans les années 1990, et a retiré ses soldats et ses colons de Gaza en 2005. Elle affirme que la Cisjordanie est un territoire contesté et que son sort doit être déterminé dans le cadre de négociations.
M. Pardo a averti que si Israël ne fixe pas de frontières entre lui et les Palestiniens, l’existence d’Israël en tant qu’État juif sera menacée.
Les experts prévoient que les Arabes seront plus nombreux que les Juifs en Israël et dans les régions conquises en 1967 : la Cisjordanie, la bande de Gaza et Jérusalem Est. La poursuite de l’occupation pourrait contraindre Israël à un choix difficile : officialiser la domination d’une minorité juive sur des Palestiniens privés de leurs droits, ou leur accorder le droit de vote et mettre fin au rêve sioniste d’une patrie juive dans la Palestine historique.
« Israël doit décider ce qu’il veut. Un pays qui n’a pas de frontières n’a pas de limites », a déclaré M. Pardo.
Traduit par : AFPS