Tous les matins, elle partait avec ses amis pour affronter les bulldozers de l’occupant et, par là, défendre les maisons de leur approche destructrice. Tous les soirs elle rentrait chez nous, fatiguée, après une dure journée de travail.
Le jour de son assassinat, je rentrais du travail quand je l’ai vue avec ses amis essayant d’empêcher les bulldozers de démolir les maisons mitoyennes de la mienne. Ensuite, les bulldozers se sont approchés de ma maison et j’ai été surpris de voir Rachel débout devant eux, armée de son courage, sa force et sa détermination. Petite comme elle était, elle semblait une montagne, ferme devant ces machines géantes.
Flanqué de deux chars, le bulldozer s’est approché de plus en plus de ma maison et pendant tout ce temps Rachel est restée débout avec un mégaphone dans la main répétant très fort qu’elle ne bougerait pas. Le chauffeur pouvait la voir très clairement mais il a continué de s’approcher de la maison. Elle hurlait de plus en plus fort : « stop, stop, ne bougez pas ». Elle s’est identifiée comme membre des ISM, sans résultat. Elle a crié aussi fort que possible mais le chauffeur a continué de l’approcher. Je pouvais très bien la voir quand le bulldozer l’a presque touchée. Il a projeté un tas de sable sur elle, elle a perdu l’équilibre et est tombée. C’est la dernière fois que je l’ai vue. Elle était à moins de 10 mètres de moi.
Après, je me suis mis à hurler, avec le sentiment de l’avoir perdue comme nous avions déjà perdu tant de palestiniens avant elle. J’ai appelé les services de santé pour qu’ils envoient une ambulance immédiatement. J’ai ouvert les portes de l’ambulance rapidement et j’ai pris la trousse de secours et couru pour essayer de la sauver. Ses compagnons de ISM l’entouraient et nous avons enlevé le sable qui la couvrait et l’avons portée dans l’ambulance pour l’amener à l’hôpital. J’ai su dès le premier moment que son état était critique. J’étais avec ses amis Alice et Tom quand une équipe de sept médecins a finalement renoncé à la ranimer.
Maintenant il n’y a plus d’internationaux avec nous à Rafah, cette ville isolée près de la frontière égyptienne. Les derniers sont partis renouveler leurs visas, dans l’intention de revenir, mais l’armée israélienne empêche leur retour à Gaza. Les épreuves auxquelles ma famille et moi sommes soumis continuent et se sont, de fait, intensifiées depuis le départ des internationaux. Nous avons perdu notre maison après ces événements, comme si l’armée israélienne n’avait attendu que leur départ.
En ce qui concerne Rachel et le message qu’elle nous apportait à nous et au monde, elle poursuivait la vérité. Elle a consacré sa vie à cela. Elle transmettait la vérité telle qu’elle la voyait, signalant les crimes de l’armée israélienne contre les civils palestiniens innocents. Les mains de l’occupant l’ont tuée de sang froid comme pour nous dire : « je vous nie la parole ». Je ne me sens pas en sécurité tant que nos voix n’atteignent pas le monde extérieur.
J’en appelle à mes amis de l’ ISM pour qu’ils nous reviennent. Je vous demande de revenir parce que Rafah a besoin de vous. Les chars roulent en toute tranquillité, tuant et détruisant à volonté. Et, sans vous, personne ne voit et personne n’entend.
Il n’y a pas de jour où ma famille et moi ne pensions à Rachel. J’ai dit à sa famille quand ils sont venus nous visiter que Rachel était une perte pour notre famille, une perte pour tous les palestiniens comme elle l’était pour eux. Nous l’avons tous perdue.
Nous voyons toujours ce bulldozer qui nous l’a ravie et tout ce que je pourrais dire d’elle sera encore insuffisant pour lui rendre justice.