Trente ans après les accords d’Oslo, on ne sait pas s’il faut parler de commémoration, d’enterrement, ou tout simplement de désastre.
Certains d’entre nous y croyaient, et j’en faisais partie. On voulait croire au pari de l’intelligence, de la réconciliation, de la dynamique positive d’une reconnaissance mutuelle.
Il est largement reconnu aujourd’hui que ces accords étaient totalement déséquilibrés. Ils ne prévoyaient pas l’arrêt total de la colonisation, Israël ne reconnaissait pas l’État de Palestine, et les questions essentielles de Jérusalem et du retour des réfugiés étaient remises à plus tard.
L’Union européenne était l’inspirateur de ces accords, et les États-Unis en étaient les parrains. Alors qu’une intervention forte et continue de leur part aurait été nécessaire pour que ces accords portent réellement une dynamique positive, les États-Unis ont failli à leur rôle, et l’Union européenne a organisé son impuissance. Ainsi, la ratification de l’accord d’association entre l’Union européenne et Israël, entré en vigueur le 1er juin 2000, était censée encourager la paix : un mois plus tard, Bill Clinton et Ehud Barak organisaient leur trahison en faisant porter à Yasser Arafat la responsabilité de l’échec des discussions de Camp David.
Derrière le terme convenu de « processus de paix », l’État d’Israël a organisé la colonisation du territoire palestinien occupé, approfondi la fragmentation du peuple palestinien, construit le mur, chassé les institutions palestiniennes de Jérusalem, tout en faisant payer par la communauté internationale le prix de l’occupation.
Malgré les succès diplomatiques remportés par l’État de Palestine, dont son admission à l’ONU en 2012, le bilan de cette période est un désastre pour les Palestiniens.
C’est aussi, pour le moins, un désastre moral pour les États-Unis, l’Union européenne et nombre d’États dont la France, qui ont poussé les dirigeants palestiniens à des concessions inédites pour la promesse d’un avenir qu’ils n’ont pas réellement soutenu.
La question israélo-palestinienne reste centrale, tout particulièrement dans la perte très profonde de la crédibilité du « monde occidental », incapable d’imposer le droit international qu’il invoque sans cesse, dans une situation dont les anciennes puissances coloniales portent une très lourde part de responsabilité.
En ce moment, les États-Unis tentent d’obtenir de l’Arabie saoudite, à grands coups de promesses, un accord de normalisation avec Israël, oui, l’Israël de Netanyahou, de Smotrich et de Ben Gvir. L’Union européenne lui emboîte le pas, en couvrant une future trahison possible par une pitoyable initiative censée favoriser la paix.
Il est temps, il est vraiment temps, que nos autorités comprennent que ces tentatives dérisoires ne trompent plus personne. S’il faut retenir une leçon, trente ans après les accords d’Oslo, c’est que l’on ne bâtit pas la paix sur l’injustice, le déni du droit, l’absence totale de mesures contraignantes pour faire appliquer le droit par l’État d’Israël qui ne connaît que la loi du plus fort.
Les Palestiniens subissent sur le terrain, tous les jours, les violences coordonnées de l’armée d’occupation et des colons, le processus de nettoyage ethnique, l’enfermement à Gaza, le déni des droits des réfugiés. Ils résistent avec un courage admirable et ne lâchent rien : nous sommes à leurs côtés, de toutes nos forces.
Au-delà de ce combat quotidien, le peuple palestinien a un besoin impérieux d’une protection internationale, et la seule protection possible aujourd’hui, c’est celle des sanctions.
Face à une autorité palestinienne contestée, et à son dirigeant discrédité, il a aussi besoin de retrouver, par des voies démocratiques, une direction renouvelée et légitime.
Il a surtout besoin qu’on le soutienne dans son combat fondamental, contre l’apartheid et pour l’égalité des droits.
Ce combat pour la reconnaissance internationale de la réalité de l’apartheid, et pour la mise en place de mesures sérieuses pour l’éliminer comme cela avait été le cas pour l’Afrique du Sud, s’organise au plan international et ne fait que commencer. Nous comptons y prendre toute notre part dans l’unité la plus large.
Nous interpellons les autorités françaises pour qu’elles s’engagent clairement dans ce sens, et nous continuerons à le faire sans relâche. Après le désastre d’Oslo, c’est la première condition pour la construction d’un avenir crédible.
Bertrand Heilbronn, 2 octobre 2023