C’est difficile d’accuser quelqu’un d’ « avoir commencé », parce que la situation entre le Hamas et le Fatah ressemble de plus en plus à la vieille histoire de « l’œuf et de la poule », un cercle vicieux sans fin de méfiance, d’accusations mutuelles et de comportement contreproductif.
Ces derniers jours nos dirigeants ont décidé de faire un pas de plus pour s’éloigner d’un front national unifié. Le président Mahmoud Abbas a pris seul la décision de modifier la loi électorale, tout ça bien sûr dans un cadre qu’il affirme légal. Selon les nouvelles dispositions, les gens pourront voter seulement pour des listes nationales, contrairement aux élections précédentes où la population votait pour des listes nationales et aussi locales (de district). Les listes nationales seront établies selon la représentation proportionnelle.
Lors des élections de 2006, le Hamas a obtenu la majorité des voix sur les listes de district mais est passé tout juste au niveau des listes nationales.
De plus, Abbas a décidé que tout candidat dans cette élection présidentielle devra obtenir la majorité absolue pour être élu. Sinon l’élection se déterminera entre les deux candidats qui auront obtenu le plus de voix.
Plus important, le décret stipule que les candidats au Conseil législatif et à la présidence doivent reconnaître l’OLP comme le seul représentant légitime du peuple palestinien et accepter les accords signés précédemment entre l’OLP et Israël.
Cette décision ne peut s’expliquer que dans le cadre de la lutte acharnée pour le pouvoir entre le Fatah et le Hamas. Celui-ci, qui s’accroche griffes et ongles à la bande de Gaza malgré les répercussions dangereuses qu’a cette situation, a rejeté ce décret qu’il dit « illégal et illégitime ». Le porte-parole du Hamas, Sami Abu Zhuri a déclaré que le décret était une violation de la Loi fondamentale palestinienne et que son mouvement ne l’accepterait pas.
Le mouvement affirme que ce décret est une tentative d’Abbas pour miner davantage l’autorité du Hamas à Gaza et l’éliminer de la scène de gouvernance palestinienne le plus rapidement et le plus radicalement possible.
Cette affirmation n’est pas déraisonnable car le Hamas ne fait pas partie de l’OLP et devrait donc modifier radicalement sa plateforme politique pour pouvoir prétendre participer à des élections. De plus, puisque le Hamas ne reconnaît pas officiellement le droit à l’existence d’Israël, la condition que pose le décret sur l’acceptation des accords signés précédemment est complètement inacceptable pour le mouvement islamique.
A supposer qu’Abbas arrive à ficeler cette nouvelle loi électorale, il sait bien que le Hamas ferait face à un énorme défi à la fois pour se présenter à l’élection et pour obtenir la majorité des voix qui lui permettrait de conserver son pouvoir au CLP. Et, si le Hamas décidait de se présenter à la présidentielle, selon les nouvelles stipulations, il est très improbable que le Hamas puisse atteindre la majorité absolue quel que soit son candidat.
S’il est compréhensible que le Hamas rejette ce nouveau décret puisqu’il continue à dire que son gouvernement est l’autorité légitime élue, il est aussi très surprenant que le Hamas n’ait pas fait plus d’efforts pour réduire les fractures entre le Fatah et lui. En attestent les affrontements de la semaine dernière après la prière du vendredi à Gaza et à Rafah, quand des manifestants du Fatah ont prié dans des lieux publics afin de protester contre ce qu’ils appellent la politisation des mosquées par le Hamas et la persécution constante, les arrestations et la torture infligées aux cadres du Fatah.
La journée est devenue extrêmement violente : la Force exécutive soutenue par le Hamas frappait avec des matraques les manifestants qui criaient des slogans contre le Hamas et leur tirait dessus. Plus de 20 personnes ont été blessées dans la mêlée.
Et à nouveau, au lieu que l’on essaie de lisser les graves fissures qui se creusaient entre les deux directions, il semble que leur sang a bouilli davantage encore. Le 4 septembre Haniyeh, le Premier ministre déposé, a annoncé que toutes les prières tenues dans les lieux publics seraient interdites parce qu’elles incitaient à des « actes de chaos et de désordre ». Des responsables du Hamas avaient annoncé plus tôt que toute personne prise à participer à ces « actes de chaos et de désordre » serait mise en liberté surveillée et devrait payer une caution qui lui serait rendue si elle était disculpée.
Ces nouvelles mesures ne s’adressent évidement pas au Palestinien lambda dans les rues de Gaza. C’est un message clair à la puissance renaissante du Fatah dans la bande de Gaza. Selon des sources fatahouies, le Hamas est prêt à écraser les loyalistes du Fatah qui oseraient défier l’autorité du Hamas à Gaza, et des histoires d’arrestations, de raids et de brutalités commis par les hommes de main du Hamas apparaissent parfois dans les médias.
Le Hamas n’est pas en reste pour les accusations, affirmant que les services de sécurité dirigés par le Fatah continuent à pourchasser ses militants en Cisjordanie. Selon une déclaration faite par le mouvement le 4 septembre, il y a eu 1000 attaques contre des membres et des institutions du Hamas en Cisjordanie depuis 80 jours, y compris 639 arrestations menées par les forces de sécurité de l’Autorité palestinienne.
Ainsi il va sans dire que tout espoir d’une amélioration de la situation a disparu pendant ces derniers jours. Alors que le gouvernement d’Abbas continue à jouir du soutien total des Etats-Unis et des ses alliés occidentaux, il est probable que le Hamas ne pourra pas conserver son pouvoir bien longtemps. Pourtant, comme leur constant mépris mutuel continue à couver, il peut se faire bien des dégâts pendant ce temps.
Ce qui serait comique si ça n’était pas tragique c’est que les deux parties appellent à la même chose. Le Hamas continue à affirmer qu’il tient à l’unité de la Cisjordanie et de la bande de Gaza, insistant sur l’impossibilité d’établir un Etat sans Gaza. Abbas chante la même chanson. Lui aussi dit que Gaza et la Cisjordanie sont une seule entité et que les élections -anticipées ou non- auront lieu seulement quand les deux parties de la Palestine seront réunifiées.
Mais les actes valent mieux que les mots, comme on dit, et la plus grande inquiétude des Palestiniens aujourd’hui est que la cassure entre Gaza et la Cisjordanie devienne si profonde que cela créera de nouvelles réalités très difficiles sur le terrain. Les Palestiniens ne peuvent se permettre une autre division et ne pourront certainement pas survivre à davantage d’isolement. C’est pourquoi des décisions unilatérales ne peuvent être que contreproductives, qu’elles soient prises par la direction à Gaza ou la direction en Cisjordanie.