Photo : Reem abu Jaber au centre Nawa de Gaza lors de l’inauguration de la Bibliothèque AlKhidr en 2017 - Crédit : Cobiac
« Le 18 octobre, j’ai couru chez ma sœur et j’ai été extrêmement choquée par la cruauté du bombardement d’une famille charmante et gentille : les Sabbah.
Le père était sur le point de prendre sa retraite. Lui et sa femme avaient prévu d’aller en Turquie pour des vacances agréables. Om Shadi aimait particulièrement la vie et était un exemple de personne qui profite de la vie.
La maison de la famille Sabbah a été complètement détruite, [réduite en poussières] comme de la farine !
L’habitation voisine était celle de la famille Awar qui venait de construire une nouvelle petite maison. Je crois qu’ils y ont mis tout ce qu’ils avaient. Ils ont déménagé il y a quelques mois et je pense qu’ils ont besoin de reconstruire à nouveau.
Lorsque je suis entrée dans la maison de ma sœur, c’était comme si la maison de trois étages, où elle vit avec ses fils, avait été mise dans une machine Moulinex. Les fenêtres sont tombées, les tuiles du plafond et les rideaux ont été totalement détruits et transformés en petits morceaux. Motaz, son plus jeune fils est médecin et il s’est marié en mars dernier. Ma sœur pleurait en silence ; ses fils, sa famille et ses voisins l’aidaient à retirer les blocs du jardin et de l’intérieur de la maison.
J’ai dit à ma sœur que c’était un miracle que tout le monde soit en vie et que d’autres scénarios pouvaient également se produire. Elle a commencé à se déplacer dans sa maison pour voir ce que je voulais dire. C’est un miracle qu’ils aient survécu. Moath et Rehab, mon autre sœur, ainsi que son mari et leurs jeunes fils, aidaient également au nettoyage, mais aussi à la recherche de cadavres !
Ils ont trouvé Om Shadi, Dieu bénisse son âme, dans le jardin de ma sœur, juste sous le citronnier. Elle protégeait ses yeux avec sa main.
Avant midi, nous avons trouvé le corps d’un autre enfant dans le jardin de la maison de ma sœur. Il avait peut-être 12 ans. Pour la première fois de ma vie, j’ai vu qu’il était difficile de reconnaître un cadavre dans les décombres.
Le corps de l’enfant a été transporté par des hommes qui l’ont immédiatement enveloppé dans une couverture. Les gens d’ici respectent beaucoup les cadavres et surtout s’il s’agit de corps de femmes, ils les couvrent rapidement par respect. J’ai regardé cela avec des yeux froids, je n’ai pas pleuré et je n’ai rien ressenti du tout. Au fond de moi, je pense que mon âme est profondément atteinte.
J’ai aidé à nettoyer le jardin avec Moath et j’ai ramassé quelques objets de la famille Sabbah : des vêtements, des documents du certificat de tawjihi [équivalent du Baccalauréat en Palestine et en Jordanie], des papiers d’examen, des pièces de voiture, des sous-vêtements de filles. L’objet le plus touchant était un petit sac d’école et une note écrite par une enfant. Son nom était écrit dans le cahier : Rollan Naim Mussalam. À l’intérieur de ce cahier, elle apprenait l’écriture arabe et dans le sac il y avait des crayons de couleurs d’enfants. Israël et les USA ont rassemblé les plus grandes puissances de la terre pour combattre Rolan, son cahier et son petit crayon de couleur.
Nous nous sommes déplacés pour nettoyer les maisons de Motaz et de Rajaa, tous deux médecins. Rajaa est enceinte. Ils ont tous deux plaisanté sur le fait qu’il valait mieux que cela se produise, car « nous n’aimions pas les fenêtres », etc. L’autre étage était celui d’Alaa et de sa femme Mona, qui est enceinte et doit accoucher d’un jour à l’autre. Elle était complètement terrifiée avec sa fille Fadwa, 3 ans, et son fils Ibrahim, 6 ans. En aidant, mon neveu m’a dit qu’un petit enfant avait été trouvé dans le champ d’oliviers voisin, sans aucune égratignure sur son corps. Il semble qu’elle soit de la famille Awar.
Nous n’avons plus d’électricité ni d’internet. L’eau est toujours un problème et le pain est également difficile à obtenir. Pour moi et ma mère, grâce à Allah, tout va bien, nous avons seulement eu une coupure d’internet, mais à part cela, nous sommes en sécurité. J’ai continué à jeûner. Je suis rentré chez moi, j’ai pris une douche et j’ai dormi jusqu’à l’heure de [la prière du] Maggrib. Elle a lieu en fin d’après-midi.
Pour une raison que j’ignore, j’étais calme, même les fortes bombes n’ont pas eu d’effet sur moi. J’ai cuisiné du bleuet et de la salade pendant que Maha, la femme de mon frère, préparait du poulet Shawerma. À la table du dîner, nous avons dû changer notre installation plusieurs fois pour que Maha, Mariam, une enfant de 8 ans, et Fatema, 10 ans, soient ensemble. Elles étaient très effrayées et n’arrêtaient pas de nous poser des questions. On a changé de décors pour pouvoir nous serrez fort les unes contre les autres pendant le bombardement.
Fatma m’a dit :
« Je pensais que le patron américain était là pour résoudre ce problème, mais il n’est là que pour Israël, non ? »
Je l’ai regardée et j’ai pensé que c’était triste que son petit esprit commence à réaliser que nous n’avons jamais été traités avec justice ! »
Traduit par : AFPS