Je suis la 5ème dans une fratrie de 9 enfants, 6 garçons et 3 filles. L’aînée a 26 ans et le plus jeune 3 ans. J’étudie à l’Université Najah en 3ème année de langue française.
Mes parents, bien que jeunes -ma mère n’a que 42 ans et mon père 53- ont vieilli prématurément tant ils souffrent. Mon père enseignant, malade du cœur, a dû s’arrêter de travailler.
Le 27-06-2002, mon frère Mohamed, 23 ans, est arrêté par l’armée israëlienne à un chek-point et incarcéré dans la prison de Nakab, au Sud d’Israël, parce qu’il avait sur son portable des photos de martyrs*. Jugé, il est condamné à 4ans et demie de prison
Le 2 mai 2004, mon frère Mahmoud, 21 ans, est assassiné par un missile tiré d’un avion israëlien. Il circulait dans une voiture avec 3 copains, au centre ville de Naplouse. L’explosion est très forte, tous les quatre sont tués sur le coup.
Le 4 novembre 2006, l’armée israëlienne pénètre de nuit dans le camp, encercle notre maison et nous oblige à sortir pendant 2 heures, sans nous laisser le temps de nous habiller. Elle fouille notre maison, arrête mon frère Ahmed, 26 ans, et l’emmène dans la prison de Maggido, au Nord d’Israël. Marié depuis 1 ans, sa femme enceinte de 7 mois, accouche prématurément et perd son enfant. Il n’est pas encore jugé. Mon plus jeune frère, celui de 3,ans, très choqué, insulte les soldats.
L’éloignement des 2 prisons, l’une au Sud, l’autre au Nord d’Israël, la difficulté d’obtenir des permis de circulation, rendent difficile- voir impossible- à ma famille d’aller rendre visite à mes 2 frères
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Ma vie a basculé. A 21 ans, je me retrouve chef de famille, mes parents n’arrivant plus à assumer leur chagrin, leurs enfants à la maison. Ma mère ne supporte plus mon petit frère. C’est moi qui lui parle, qui joue avec lui. Souvent je pleure. Mais c’est aussi cette situation qui me donne l’ambition d’étudier et de réussir.
Je déteste vivre dans le camp : toutes les nuits l’armée israëlienne y pénètre. Souvent elle tue, emprisonne, détruit maisons et magasins. Mais je n’ai pas d’autre solution que d’y rester.
Je sais que toutes les familles en Palestine, surtout dans les camps, sont touchées par la violence de l’occupation israëlienne. Dans celle-ci un martyr, dans celle-là un fils emprisonné. Mais dans la mienne il y en a trois et c’est beaucoup.
Si je témoigne aujourd’hui, c’est pour dire au monde entier : « voilà la vérité de ce que nous fait subir la férocité de l’armée d’occupation israêlienne »
Témoignage recueilli le 23-11-2006 par Denise et Michèle , lors de leur passage à Naplouse.
PS : pour des raisons de discrétion, les prénoms ont été changés.
* sont appelés martyrs, les personnes tuées par le soldats israëliens