MÊME LES Romains n’ont jamais vu un tel jeu dans leurs arènes : trois gladiateurs se combattent entre eux, pendant que chacun d’eux doit se défendre contre des attaquants qui arrivent par derrière.
Tous les trois – Barack Obama, Benjamin Nétanyahou et Mahmoud Abbas – se battent pour leur vie politique. Les trois batailles sont très différentes l’une de l’autre bien qu’interconnectées.
OBAMA est en grande difficulté. Grande ? Enorme ! Son combat le plus important concerne l’assurance santé.
Ceci n’a aucun rapport avec Israël. Surtout, pour un Israélien c’est même difficile à comprendre.
Pour nous il est dur – et même impossible – de saisir qu’un pays moderne, avancé, puisse fonctionner sans aucune assurance maladie. Notre système de santé existait longtemps avant la fondation de l’Etat d’Israël. Une caisse maladie couvrait pratiquement l’ensemble de la population juive de Palestine. Après la fondation d’Israël, elle fut un droit pour tous les citoyens. Chaque citoyen est assuré par une des quatre caisses officiellement reconnues. Toutes sont largement financées par le gouvernement qui décide aussi quels services doivent être obligatoirement fournis.
Dans une société avancée, une personne a droit à des soins médicaux de base, comprenant l’hospitalisation, des opérations, des médicaments. Aussi semble-t-il très bizarre que, dans la nation la plus riche du monde, il y ait des dizaines de millions de personnes qui manquent de cette protection essentielle. En particulier dans un pays où la dépense publique médicale – en pourcentage du produit national brut – est de loin supérieure aux nôtres.
C’est alors qu’Obama arrive et propose un plan qui offre à ces personnes une possibilité d’assurance médicale gouvernementale. Quoi de plus naturel ? Mais aux Etats-Unis, des forces très puissantes sont prêtes à tout pour l’en empêcher, au nom de la liberté d’entreprise, du Marché, du droit à la vie privée, et autres prétextes grandiloquents. Ils décrivent Obama comme un second Hitler ou un second Staline, sinon les deux, et sa popularité connaît une chute spectaculaire.
Curieux ? Insensé ? Peut-être. Mais nous devons le prendre au sérieux. Ça nous concerne directement.
PARCE QU’Obama est un acteur central dans notre propre jeu.
Quand il accéda au pouvoir, il comprit qu’il devait changer la situation au Moyen-Orient. La plupart des musulmans du monde, qui comprennent la plupart des Arabes, haïssent les États-Unis. Même un pouvoir impérial ne peut fonctionner effectivement dans une atmosphère de haine générale. La principale raison de cette haine est le soutien indéfectible américain au gouvernement d’Israël, qui opprime les Palestiniens.
Pendant huit ans, le Président Bill Clinton a agi comme un agent du lobby juif pro-israël. Après cela, pendant huit autres années, le Président Georges W.Bush a agi comme un agent du lobby chrétien fondamentaliste pro-Israël. Le Président Obama comprend que les intérêts fondamentaux des États-Unis exigent la fin du conflit israélo-palestinien qui empoisonne toute la région.
La guerre en Afghanistan a aggravé la situation. Obama s’est retrouvé englué dans le bourbier par erreur : En pleine campagne électorale il a annoncé qu’il procèderait au retrait d’Irak. Mais, pour ne pas être accusé de défaitisme, il a ajouté qu’il intensifierait l’intervention américaine en Afghanistan.
Ce fut une promesse bien imprudente. L’Afghanistan est bien pire même que l’Irak. C’est une guerre différente, dans un environnement différent, contre un ennemi différent. Les États-Unis n’ont aucune chance de “gagner” cette guerre, qui n’a aucun objectif clair et aucun ennemi clair, contre une population qui, depuis l’Antiquité, n’a cessé de perfectionner sa capacité à chasser les envahisseurs étrangers.
Il est facile d’aller dans un marécage, difficile d’en sortir. Obama n’a aucune stratégie pour sortir de l’Afghanistan. Cela aussi mettra en danger sa popularité dans l’avenir proche.
C’EST LA situation dans laquelle il intervient dans la lutte avec Benjamin Nétanyahou.
Il ne fait plus aucun doute que la seule façon de guérir la plaie israélo-palestinienne est de mettre fin à l’occupation et d’établir la paix entre l’État d’Israël et le nouvel État de Palestine à côté de lui. Ceci exige des négociations significatives et intenses, à l’intérieur d’un délai fixé. C’est impossible si, en même temps, les colonies continuent de s’étendre. Comme l’avocat palestinien Michael Tarasi l’a déclaré judicieusement : “Nous négocions au sujet du partage d’une pizza pendant qu’Israël est en train de manger la pizza.”
C’est pourquoi Obama a présenté au gouvernement israélien une exigence sans équivoque : un arrêt immédiat de toute construction dans les colonies, y compris à Jérusalem-Est. Une exigence claire et logique. Mais alors qu’il fait pression sur Nétanyahou, il est lui-même exposé dans son pays à une forte pression sur le système d’assurance santé et sur la guerre en Afghanistan.
LA SITUATION de Nétanyahou n’est pas moins complexe.
Son gouvernement est fondé sur une coalition de cinq partis différents. Les colons et leurs soutiens en constituent la majorité. L’“homme de gauche” de la coalition, Ehoud Barak, est responsable de la mise en place de davantage de nouvelles colonies que Nétanyahou lui-même.
Nétanyahou danse sur une mince corde raide à la foire israélienne, bien au-dessus des têtes des spectateurs, sans filet de sécurité. Il doit éviter un clash frontal avec Obama, tout en satisfaisant les nationalistes de son propre parti et de sa coalition.
Comment le faire ? Il s’agit de convaincre Obama de permettre un peu de constructions dans les colonies, juste encore un tout petit peu, pour apaiser les colons. Et de convaincre les colons que la promesse du gel des constructions n’est qu’un effet d’annonce mais qu’en réalité les constructions continueront à toute vitesse.
Les Américains savent bien sûr que notre gouvernement essaie de les tromper. S’ils permettent de construire ne serait-ce qu’encore 500 appartements dans les blocs de colonies, et d’achever la construction des 2500 logements en cours, et juste encore un peu à Jérusalem-Est, en pratique les constructions continueront sans aucun contrôle.
Les colons savent parfaitement bien que l’ensemble de leur entreprise a été fondée sur la tromperie et la ruse, maison après maison, quartier après quartier, et ils sont heureux de permettre à Netanyahou de continuer à utiliser leur méthode. Pendant ce temps, ils ne protestent pas, ils ne sont pas inquiets, d’autant plus qu’il n’y a pas de large mouvement public israélien pour soutenir les efforts de paix d’Obama.
Les ennuis d’Obama concernant la question de la santé ont semblé aux yeux de Nétanyahou comme une réponse à une prière. Peut-être ne se contente-t-il pas de la seule aide divine, et le lobby pro-Israël est-il en train d’aider discrètement les ennemis de la réforme. Si l’équipe d’Obama décide que le moment n’est pas opportun pour une confrontation avec Nétanyahou et qu’il vaut mieux céder sur de petits points – quelques maisons par ci, quelques maisons par là – ce pourrait être une énorme victoire pour Netanyahou. C’est ainsi que tous les Israéliens l’interpréteront : Nétanyahou s’est dressé comme un homme, Obama a vacillé le premier. Mais par la suite, dans les seconde et troisième batailles, si Obama insiste et ne veut céder, ni en parole ni en acte, Netanyahou sera en difficulté.
MAHMOUD ABBAS est le plus faible des trois gladiateurs. Sa situation est la plus précaire.
Il est sur une pente savonneuse et doit se fier au soutien d’Obama, qui se trouve lui-même au sommet d’une tour qui peut s’écrouler. Il a déjà compris que Nétanyahou n’avait aucune intention de mener des négociations réelles avec lui. Et le Hamas l’accuse de collaboration avec l’occupation.
Les sondages d’opinion en Cisjordanie semblent montrer que la popularité du Fatah remonte et que celle du Hamas chute. Mais on peut considérer que les sondages en Palestine ont de fortes chances d’être faux (comme à la veille des dernières élections où ils prévoyaient une victoire écrasante du Fatah). Plus d’un millier de militants du Hamas sont dans les prisons palestiniennes. Les services de sécurité de l’Autorité, qui sont formés par le général américain Keith Daylon, travaillent en étroite collaboration avec les forces d’occupation et leur servent, presque ouvertement, de sous-traitants. Que peut en penser le Palestinien de la rue ?
La vie en Cisjordanie occupée repose sur une illusion. Les commentateurs font l’éloge du succès du Premier ministre de l’Autorité palestinienne, dans la reconstruction de l’économie palestinienne. Ramallah est florissante. La “paix économique” de Netanyahou est en train de devenir une réalité. Mais ceci, bien sûr, n’est qu’une bulle de savon : l’armée israélienne peut annihiler tout cela en une demi-heure, comme elle l’a fait en 2002 dans l’opération “Rempart”.
Si Abbas n’obtient pas des progrès efficaces vers la paix en quelques mois, l’ensemble de la structure peut s’effondrer. Le général Dayton a déjà prévenu que si la paix n’est pas obtenue “dans les deux ans”, les forces qu’il entraîne pourraient se soulever contre l’occupation israélienne (et contre Abbas, bien sûr). Le Hamas les surveille de près avec insistance.
DANS QUELQUES JOURS, les trois – Obama, Nétanyahou et Abbas – sont supposés tenir une conférence à New-York et lancer le Vaisseau de la Paix.
Ce sera une rencontre intéressante – si elle a lieu – car chacun des trois sera assis sur un tabouret bancal, avec des pieds inégaux. Tout en parlant avec ses deux collègues, chacun sera préoccupé par ses ennemis dans son propre pays.
Ce n’est certes pas une situation inhabituelle. Henry Kissinger a dit un jour qu’Israël n’avait pas de politique étrangère, seulement une politique intérieure. Mais c’est plus ou moins vrai pour tous les pays. Les États-Unis, Israël et la Palestine ne sont pas les seuls dans ce cas.
Les commentateurs dans leurs tours d’ivoires, qui ont l’habitude de délivrer des conseils gratuits aux leaders politiques et de leur dire ce qu’ils ont à faire, oublient souvent cette dimension. Une personne qui n’a jamais eu l’expérience de la fièvre d’une campagne électorale ne peut pas arriver à comprendre en profondeur les motivations d’une homme politique. Comme l’a exprimé Otto von Bismarck, politique jusqu’au bout des ongles : “la politique est l’art du possible”.
Comment faire revenir les efforts de paix du royaume de l’impossible ? Dans cette campagne, le camp de la paix israélien a une double tâche : premièrement, exposer la politique de dérobade et de tromperie de notre gouvernement et, deuxièmement, encourager Obama dans sa tentative pour apporter la paix à cette région. Il est important qu’un camp de la paix israélien fort et authentique exprime son soutien pour ces efforts. Nos amis aux Etats-Unis, en Europe et dans le monde entier ont une tâche similaire.
Cette bataille à trois n’a pas eu lieu dans les arènes romaines, et nous ne sommes pas des spectateurs des tribunes. Ce qui se joue ici n’est pas moins que nos vies.