L’objectif de notre mission était de reprendre un contact direct avec nos partenaires palestiniens - même si la communication n’avait jamais été coupée pendant la pandémie – et de constater, sur le terrain, l’évolution de la situation. Pour nos interlocuteurs, il s’agissait des tout premiers retours des internationaux après deux ans et demi d’isolement qui ont permis à l’occupation israélienne de multiplier les agressions, les confiscations de terres, les démolitions de maisons en toute impunité. La crise du covid a également accentué la crise économique engendrant beaucoup de pauvreté.
Le merveilleux accueil de nos ami(e)s palestinien(e)s, la joie qu’ils nous ont exprimée témoignent de la confiance et de la force des liens établis. Et pour nous, ils confirment l’importance pour nos missions de les rencontrer. Car ce qu’ils nous transmettent avec leur si belle énergie, c’est bien un message d’espoir, au-delà de l’injustice subie depuis tant d’années et du piétinement de leurs droits par le régime d’apartheid israélien.
Nous avons parcouru la Cisjordanie du camp de réfugiés de Jénine aux collines du sud d’Hébron, en passant par Naplouse, la vallée du Jourdain, le camp d’Aida à Bethléem et bien sûr Jérusalem. Nous avons rencontré les habitants des villages qui résistent contre les colonies à Beita, Battir, Wadi Fukin, Hébron, Faq’ha, Touani et Al-Araqib, ce village bédouin du Naqab, détruit 199 fois.
Avec Zakaria Odeh de la Coalition civique pour les droits des Palestiniens à Jérusalem, nous avons été bouleversées par les témoignages des familles menacées d’expulsion à Sheikh Jarrah, Silwan, Isawiya. Nous avons pu apprécier le travail remarquable accompli de défense juridique et judiciaire, ainsi que la force et l’unité de la résistance pour défendre les Jérusalémites contre les projets d’annexion de la ville.
Exister, c’est résister
Dans les villages, la résistance s’organise contre les confiscations de terres et le harcèlement des colons. À Faq’ra, premier village écologique de Cisjordanie, nous avons participé avec Jamal Juma de Stop the wall et la toute jeune équipe du Conseil municipal à la replantation de 300 oliviers sur les terres revendiquées et dévastées par les colons. Stop the wall a réorienté son action vers la défense et l’organisation des agriculteurs en coopératives, la réhabilitation de terres et de routes agricoles, le lancement de campagnes pour la défense de l’environnement et contre « l’apartheid de l’eau » dans la vallée du Jourdain, ainsi qu’une campagne pour le droit à l’éducation.
Avec Munther Amira et Abeer, deux leaders du PSCC [1], nous avons visité dans les hauteurs de Tubas où vivent des communautés bédouines pauvres, deux écoles bénéficiaires du projet DAFA [2] qui consistait à distribuer, cet hiver, des habits chauds aux enfants de cette région soumise aux menaces permanentes des ordres militaires de démolitions. Malgré les besoins, construire de nouvelles classes s’avère impossible, faute de permis de construire.
Dans la première école que nous avons visitée, les deux mobil-homes, les toilettes et les panneaux solaires, installés en dépit de l’interdit, ont été détruits par les soldats. Dans la deuxième, il n’y avait pas de point d’eau. Le PSCC, grâce à l’argent envoyé par l’AFPS pour le projet DAFA, a pu fournir des citernes d’eau et installer une cabine WC pour les filles.
Munther nous conduit dans les villages au sud de Bethléem, encerclés par les colonies du bloc de Goush Etzion qui n’en finit pas de les étrangler. La lutte y est âpre pour défendre le moindre dunum [3]. À Al-Walaja, les paysans ont réussi à faire reculer un colon qui avait pris la terre pour y installer ses moutons.
À Wadi Fukin, la lèpre des colonies s’est encore étendue et les mâchoires du monstre se resserrent sur le village. Israël veut construire une zone industrielle pour le couper le village de Bethléem. Le PSCC en partenariat avec le comité populaire du village a planté des oliviers sur les terres annexées, avec l’aide du Consulat général de France, du ministère de l’agriculture palestinien et de l’AFPS. « Une façon très concrète et symbolique de dire aux agriculteurs : on est avec vous ! Nous semons des rêves » nous dit Munther. Comme par hasard, le feu a pris dans le champ et détruit une bonne part des plantations…
Dans les collines du sud d’Hébron, la résistance est quotidienne depuis 1967. Ici, les gens sont de simples bergers qui élèvent leurs troupeaux : c’est la ressource principale. Quinze villages se trouvent dans des zones déclarées militaires par l’occupant [4] La coordination entre l’administration militaire et les colons est parfaitement au point pour rendre impossible la vie des Palestiniens. En 2016, une douzaine de jeunes se sont organisés dans les Youth of Sumud. Aujourd’hui, ils sont une trentaine, principalement des étudiants, à combattre au jour le jour la colonisation. Ils ont commencé en restaurant des grottes, y installant des sanitaires et une cuisine, en sachant que tout sera démoli. Ils ont entrepris de défendre le droit des bergers à pâturer autour de la colonie, ils protègent les enfants sur le chemin de l’école. Ils filment toutes les exactions des colons et de l’armée pour présenter des preuves devant la Cour de Justice et alerter l’opinion ; ils organisent des protestations en demandant la protection des corps diplomatiques, et des collectes pour aider les paysans dont les bâtiments ont été démolis.
Avec Sami nous sommes allés protéger une famille dont la maison en construction était menacée de destruction par les soldats.
Munther nous résume la stratégie des comités de résistance : « défendre la terre partout contre les colonies et soutenir la résistance populaire non violente en prêtant mainforte aux actions de résistance non violente contre les avant-postes comme à Beita où les villageois ont tenu un siège, plus de cent jours et des nuits de confusion pour faire reculer les colons. »
Les femmes en résistance
Un des objectifs de la résistance est de permettre aux femmes d’acquérir une indépendance économique en créant des coopératives.
À Beita, nous avons été accueillies par la coopérative de 27 femmes qui fabriquent des savons et d’autres produits à base d’huile d’olive. Elles participent également aux élections municipales. Elles ont pris l’initiative de préparer les repas pour les manifestants, chaque nuit pendant la lutte puis les vendredis de protestation. Elles jouent un rôle déterminant dans la résistance. Même si au départ, certains hommes contestaient leur participation pensant que ce n’était pas la place des femmes, elles ont réussi à s’imposer avec le soutien des élus de la Municipalité et du PSCC.
À Naplouse, le centre Tanweer a été créé en 2005 par des volontaires après le traumatisme du siège de Naplouse de 2002, pour que les gens, grâce à l’éducation populaire, se réapproprient leur histoire. Il soutient également des microprojets pour les femmes. Sept coopératives ont été créées. Nous sommes allées avec Wael, un des fondateurs du centre, dans le village de Sarra, rencontrer les femmes d’une de ces coopératives et planter du zaatar avec elles.
Construire une alternative
La résistance s’apparente parfois au mythe de Sisyphe : pierre par pierre, les Palestiniens s’accrochent à leurs racines ! Si la Résistance ne parvient pas encore à fédérer un mouvement de masse qui établisse un rapport de force suffisamment sur le terrain pour gagner face au rouleau compresseur de la colonisation et si la crise du covid a encore renforcé le poids des clans familiaux, partout des actions de désobéissance civile sont menées en réaction à l’accaparement des terres par les colons.
La Commission de l’OLP contre le Mur et la colonisation a l’ambition de jouer un rôle de coordination des actions de résistance populaire ; la plupart des dirigeants du PSCC sont salariés de cette commission, ce qui peut prêter à confusion.
Cependant, le défi majeur pour les Palestiniens est l’absence de perspective politique. La faiblesse de l’Autorité palestinienne, très impopulaire, le rejet de Mahmoud Abbas, la fracture de l’unité politique palestinienne, l’absence de leadership entravent la possibilité d’une stratégie claire et unificatrice.
La société civile palestinienne est vivante, grâce à son réseau associatif. C’est bien pour cela, qu’Israël a désigné illégalement 6 ONG unitaires [5] palestiniennes comme organisations terroristes : il fallait briser l’esprit de résistance par l’intimidation et faire pression sur les donateurs pour entraver leurs actions. Nous les avons rencontrées. Pour leurs représentants, il est temps d’être clair et de faire cesser l’impunité de ce régime d’apartheid en se servant des sanctions contre l’Ukraine comme d’une opportunité pour réclamer l’égalité de traitement. Même si tous les Palestiniens que nous avons rencontrés vent debout contre ce « deux poids, deux mesures » qu’ils ressentent comme une injustice puisqu’il n’a fallu que trois jours à l’UE pour prendre des sanctions contre la Russie quand eux attendent depuis 74 ans des actes contre les crimes d’Israël !
Tous nos interlocuteurs ont souligné l’importance du Rapport d’Amnesty International pour faire reconnaître l’apartheid. C’est, à leurs yeux, la campagne centrale pour faire bouger les lignes.
Monique Étienne
>> Consulter et télécharger l’ensemble du n°81 de la Revue PalSol
—