Depuis les dernières véritables négociations de Taba, en janvier 2001, les rencontres de ce style se sont répétées mécaniquement sans jamais être suivies d’effets. Les paramètres d’une paix négociée sont identifiés de longue date : les frontières de la Palestine devront être le plus possible fidèles à la Ligne verte, la ligne de cessez-le-feu en vigueur entre 1948 et 1967 ; les éventuelles annexions israéliennes seront compensées par des échanges de terres ; Jérusalem devra être partagée ; dans leur écrasante majorité, les réfugiés palestiniens qui le souhaitent rentreront en Palestine et non en Israël. Mais est-il encore possible d’y parvenir ?
Ni les rencontres entre le premier ministre israélien, Ehoud Olmert, et le chef de l’Autorité palestinienne, Mahmoud Abbas, ni les navettes de la secrétaire d’Etat Condoleezza Rice n’ont permis de combler le fossé de défiance creusé par la deuxième Intifada. L’asymétrie entre les deux principaux protagonistes n’a jamais été aussi grande. A l’ouest de la "clôture de sécurité", construite par Israël en territoire palestinien, la parenthèse des violences de la deuxième Intifada s’est refermée, hormis sur le pourtour de Gaza, et la bonne santé de l’économie israélienne n’a pas été remise en question par la succession d’affaires politico-financières dans lesquelles le nom de M. Olmert apparaît avec une régularité de métronome, même si ces affaires, avec la guerre infructueuse de 2006 contre le Hezbollah libanais, ont précipité le discrédit du premier ministre. Les territoires palestiniens traversent, pour leur part, la pire crise d’une histoire pourtant tourmentée. Conséquence directe du système de contrôle israélien, la récession qu’ils subissent - plus brutale que la Grande Dépression américaine de 1929, selon la Banque mondiale - s’ajoute à une fracture politique sans précédent entre Gaza, bastion du Hamas, et la Cisjordanie, quadrillée par l’armée israélienne, où le Fatah, identifié à l’Autorité palestinienne, reste prééminent.
Avant M. Olmert, un autre premier ministre, le travailliste Ehoud Barak, s’était engagé dans des négociations avec Yasser Arafat alors qu’il était politiquement affaibli. M. Barak restait en la matière fidèle à l’engagement de parvenir à la paix. M. Olmert l’a emporté en 2006 sur un tout autre programme : celui d’un désengagement partiel et unilatéral de Cisjordanie, en fonction des intérêts israéliens, sur le modèle de celui lancé par Ariel Sharon en 2005 à Gaza. Ce modèle encensé à l’époque s’est révélé désastreux : en se retirant de Gaza sans la moindre coordination avec l’Autorité palestinienne, Israël a offert sur un plateau un succès au Hamas sans rien obtenir en matière de sécurité. Les tirs incessants de roquettes artisanales palestiniennes sur Israël le montrent.
La coalition de M. Olmert ne le suivra pas sur la voie de négociations globales avec les Palestiniens. De son côté, M. Abbas est resté fidèle à ses convictions, qui lui font privilégier, depuis plus de trente ans, une solution négociée à la lutte armée. Mais il préside aujourd’hui une Palestine éclatée. Ce qui sera discuté à Annapolis ne concernera en rien Gaza, cette prison à ciel ouvert sans équivalent au monde. Que dire enfin de l’engagement américain, aussi méritoire que tardif, qui va marquer le début du terme d’une présidence qui aura fait sienne, comme jamais par le passé, la vision israélienne du problème palestinien ? George W. Bush risque de rester dans l’histoire comme le premier président américain à avoir parlé publiquement de la Palestine et comme celui qui aura fait le moins pour qu’elle se réalise.
Cette situation est d’autant plus déplorable que le contexte régional se prête mieux qu’on ne le pense à un règlement du problème palestinien. Près de trente ans après la paix avec l’Egypte, treize ans après les accords avec la Jordanie, la menace pour les régimes sunnites alliés avec les Etats-Unis et les pays européens semble moins résider dans le potentiel militaire israélien que dans les ambitions iraniennes. C’est d’ailleurs en Arabie saoudite, la principale puissance sunnite du Proche et du Moyen-Orient, qu’a été formalisée en 2002, puis réitérée en 2006, l’offre de paix la plus complète jamais adressée à Israël : la normalisation, en échange de la création négociée d’un Etat palestinien.
Une telle offre aurait été inimaginable lors de la signature des accords d’Oslo, en 1993, et il est à parier que les négociations ratées de Camp David, en juillet 2000, auraient connu un tout autre sort si les poids lourds arabes y avaient été associés. Il n’est pourtant pas sûr que cette évolution historique se traduise à Annapolis. L’Arabie saoudite s’est décidée à y envoyer son ministre des affaires étrangères, Saoud Al-Fayçal, mais elle doute toujours de la volonté d’Israël d’entrer dans une négociation acceptable.
La fragilité de Mahmoud Abbas n’incite pas les autorités israéliennes à s’engager dans une véritable tentative de règlement des questions-clés de leur conflit avec les Palestiniens : Jérusalem, les frontières et le sort des réfugiés. Mais ce sont justement ces réticences qui minent le président d’une désormais introuvable Autorité palestinienne. Si rien ne se passe, le Hamas aura beau jeu de démontrer la faillite de la voie prônée par un président palestinien dont le mandat expirera en janvier 2009 et dont le parti n’est plus qu’un champ de ruines. Il sera alors temps de mesurer la pertinence du boycottage international des islamistes palestiniens, qui a eu pour principal effet de renforcer leurs radicaux. D’autant que le faux statu quo qui prévaut dans les territoires palestiniens continuera de produire ses effets délétères. A Gaza, territoire dépendant exclusivement des perfusions internationales pour sa survie. Mais également en Cisjordanie, région striée de routes de contournement réservées aux colons israéliens, dont le nombre ne cesse d’augmenter.
La responsabilité du fiasco n’épargnera pas les Européens, qui, faute d’une politique un peu hardie, ont choisi de supporter financièrement le poids de l’occupation israélienne au prix de la transformation des Palestiniens en un peuple d’assistés. Les Européens ne peuvent pas à la fois considérer comme dangereuse la tentation de la gestion du problème palestinien, au lieu de son règlement, et payer toujours la facture de l’occupation, faisant en sorte qu’Israël se complaise dans cette mortelle illusion.
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voir aussi :Annapolis : les Etats-Unis à la manœuvre pour la rédaction d’un document israélo-palestinien
Les négociateurs en chef israélien et palestinien se sont réunis, dimanche 25 novembre, à Washington, avec la secrétaire d’Etat Condoleezza Rice qui tente d’obtenir de leur part une plate-forme commune avant la réunion d’Annapolis, mardi, sur le Proche-Orient.
Les trois responsables se sont retrouvés dans un restaurant de Washington, après une réunion de travail de plus d’une heure entre la ministre des affaires étrangères israélienne Tzipi Livni et le chef des négociateurs palestiniens Ahmed Qoreï (Abou Alaa), pour tenter de rédiger un document définissant les contours d’un règlement de leur conflit vieux de six décennies. Aucune annonce n’a été faite à l’issue de la réunion.
La recherche d’un document commun
"Nous travaillons d’arrache-pied pour arriver à un document commun", a déclaré Ahmed Qoreï avant de se rendre au dîner avec Mme Rice. "Il est encore tôt", a déclaré pour sa part la chef de la diplomatie israélienne, avant de partir elle aussi pour la rencontre. Si les deux parties arrivent à s’accorder sur un document commun, elles le présenteront, mardi, à la réunion d’Annapolis, près de Washington, convoquée par le président George W. Bush pour relancer le processus de paix israélo-palestinien. Faute de document conjoint, qu’Israéliens et Palestiniens tentent en vain de rédiger depuis deux mois, chaque partie lira sa propre déclaration, selon un porte-parole palestinien.
M. Bush a réaffirmé, dimanche, son "engagement personnel" en faveur de "deux Etats démocratiques, Israël et Palestine, vivant côte à côte dans la paix et la sécurité". Son conseiller à la sécurité nationale, Stephen Hadley, a pour sa part estimé, lors d’une téléconférence de presse, que l’élaboration d’un document commun "n’est plus indispensable pour mener la conférence au succès", a-t-il souligné. Selon M. Hadley, les Etats-Unis veulent poursuivre une stratégie en trois points exécutés parallèlement : négociations entre Israéliens et Palestiniens devant mener à un Etat palestinien, réalisation des engagements pris en 2003 dans le cadre du plan international de règlement du conflit connu sous le nom de "feuille de route", et soutien international accru aux institutions palestiniennes.
Les Palestiniens entre opportunité historique et défiance.
Le porte-parole de la présidence palestinienne, Nabil Abou Roudeina, a estimé que la conférence d’Annapolis, qui marque l’intervention diplomatique la plus sérieuse de l’administation américaine dans le conflit israélo-palestinien, offrait "une opportunité historique" de parvenir à la paix, et mis Israël au défi de "prouver son sérieux" dans la quête d’un règlement durant ce qui reste du mandat du président Bush, qui s’achève en janvier 2009.
Le Hamas, au pouvoir dans la bande de Gaza, s’est joint, dimanche, à d’autres mouvements extrémistes pour critiquer la conférence sur le Proche-Orient organisée à Annapolis, aux Etats-Unis, rejetant tout compromis avec Israël et affirmant que le président Mahmoud Abbas ne parle pas en leur nom. En Cisjordanie, plusieurs mouvements radicaux ont aussi prévu de manifester contre ce sommet, tentant de montrer que de nombreux Palestiniens ne sont pas d’accord avec Mahmoud Abbas [2].
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