Photo : Des colons juifs travaillent à l’avant-poste de Homesh, en Cisjordanie, le 29 mai 2023. (Flash90)
Dans l’étape une de son "Plan décisif" - une proposition détaillée rédigée en 2017 pour "gagner et mettre fin" au conflit israélo-palestinien - Bezalel Smotrich a exposé une vision qu’il a appelée "la victoire par la colonisation." Le législateur israélien, qui occupe actuellement le poste de ministre des Finances et de suzerain du gouvernement en Cisjordanie grâce à un rôle ministériel spécial créé pour lui au sein du ministère de la défense, a expliqué dans l’essai que son plan nécessiterait "l’encouragement de dizaines et de centaines de milliers de résidents à venir vivre en Judée et en Samarie", utilisant le nom biblique de la Cisjordanie.
"Rien n’aurait un effet plus grand et plus profond sur la conscience des Arabes de Judée et de Samarie [...] en démontrant l’impossibilité d’établir un autre État arabe à l’ouest du [fleuve] Jourdain" écrit-il. "Les faits sur le terrain dégonflent les aspirations et font échouer les ambitions."
Smotrich a attendu son heure, mais aujourd’hui, grâce à un accord conclu en février avec le ministre de la défense, Yoav Gallant, qui a élargi son contrôle sur plusieurs aspects du processus de planification des colonies, il semble impatient de mettre en œuvre son "plan décisif". Un rapport de Haaretz a révélé en mai que le chef du Parti sioniste religieux (RZP) a donné des instructions aux représentants de divers ministères pour qu’ils commencent immédiatement à préparer le doublement de la population de colons en Cisjordanie, ce qui porterait le total de 500 000 à 1 million de personnes.
Les rapports sur ce plan, dont les chiffres n’incluent pas les quelques 250 000 Israéliens vivant à Jérusalem-Est occupée, ont suscité la condamnation de la Maison Blanche. En réponse, le Premier ministre israélien, Benjamin Netanyahu, a affirmé aux responsables américains que la proposition ne reflétait pas la politique du gouvernement. Pourtant, les vastes développements infrastructurels en cours en Cisjordanie, ainsi que l’augmentation du nombre de logements construits depuis le début de l’année dans le territoire, signifient que la trajectoire est déjà tracée pour une augmentation significative de la population de colons dans les années à venir. Et si le gouvernement actuel cherche certainement à accélérer les choses, les fondations de ce que nous voyons aujourd’hui ont été - souvent littéralement - posées il y a des décennies.
Les routes sont la clé
Les intentions de l’actuel gouvernement d’extrême droite concernant la Cisjordanie étaient claires dès le départ. Ses lignes directrices fondatrices affirment le "droit exclusif et indiscutable du peuple juif sur toutes les parties de la Terre d’Israël", c’est-à-dire toutes les terres situées entre le Jourdain et la mer Méditerranée, qu’environ 7 millions de Juifs israéliens partagent avec un nombre à peu près égal de Palestiniens. Dans un document de synthèse, le centre juridique Adalah affirme que ce plan "va plus loin que les principes inscrits dans la loi sur l’État nation du peuple juif de 2018" - un ancrage à valeur constitutionnel qui, selon le document, présente déjà "des caractéristiques évidentes d’apartheid" - et servira "à renforcer la suprématie juive et la ségrégation raciale en tant que principes sous-jacents du régime israélien."
L’accord de coalition entre le RZP et le Likoud de M. Netanyahou, quant à lui, promet que le premier ministre "travaillera à la formulation et à la promotion d’une politique par laquelle la souveraineté sera appliquée à la Judée et à la Samarie". L’accord entre Gallant et Smotrich, qui confère à ce dernier des pouvoirs de gouvernance détenus depuis des décennies par l’armée, a constitué une étape vers la réalisation de cette promesse, les juristes et les experts en droits de l’Homme l’ayant récemment décrit comme un acte d’annexion de jure.
En ce qui concerne l’expansion des colonies, le gouvernement n’attend pas. Depuis le début de l’année 2023, il a fait avancer la planification de plus de 12 000 nouveaux logements dans les colonies de Cisjordanie, dont plus de 7 000 ont été approuvés pour la construction - des chiffres qui sont en passe d’éclipser leurs équivalents de ces dernières années, et qui n’incluent pas les 16 000 logements avancés à Jérusalem-Est au cours de la même période.
Le cabinet a également décidé en juin de raccourcir le processus d’autorisation de la construction de colonies, alors que sous le contrôle de Smotrich, l’administration civile - le bras bureaucratique de l’occupation - a pratiquement cessé de démanteler les structures illégales construites par les colons. En revanche, les démolitions de structures palestiniennes en Cisjordanie ont considérablement augmenté au cours de la même période.
De plus, le cabinet a approuvé en février la légalisation rétroactive de 10 avant-postes de colons construits sans autorisation officielle, ce qui a permis leur expansion significative. Et ce n’est que la partie émergée de l’iceberg : des plans sont en cours pour légaliser 70 autres avant-postes en se basant sur le fait qu’ils constituent des "quartiers" de colonies existantes plutôt que des communautés distinctes ; une telle mesure pourrait être prise sans avoir besoin de l’approbation du cabinet. Ces mesures ont fait l’objet d’une condamnation verbale de la part de l’administration Biden, mais rien de plus.
Toutefois, selon Hagit Ofran, responsable du projet "surveillance des colonies" de l’ONG israélienne anti-occupation La paix maintenant, se concentrer uniquement sur les colonies elles-mêmes revient à passer à côté de l’essentiel. "Afin d’obtenir une expansion [de la population des colons], ils doivent d’abord améliorer les routes - et c’est ce qu’ils font maintenant", dit-elle à +972, soulignant que "les routes sont la clé".
En effet, outre les améliorations significatives apportées aux infrastructures d’eau, d’électricité et de télécommunications pour répondre aux besoins de centaines de milliers de colons supplémentaires, la construction de plusieurs nouvelles routes est en cours, ce qui permettra à la fois de réduire considérablement les embouteillages qui ont caractérisé les artères des colonies ces dernières années et de détourner le trafic des villes palestiniennes. Ce faisant, Israël pourra inciter un plus grand nombre de ses citoyens à s’installer en Cisjordanie, en montrant que les trajets entre les colonies et les villes situées à l’intérieur de la ligne verte, comme Jérusalem et Tel-Aviv, seront beaucoup plus rapides et, du point de vue des colons, plus sûrs.
Ofran prend l’exemple de la "route Liberman" - qui tire son nom de l’ancien ministre des transports Avigdor Liberman, sous le mandat duquel sa construction a commencé il y a vingt ans - pour illustrer l’impact que de nouvelles routes peuvent avoir sur la croissance des colonies.
"Dans les colonies situées à l’est de Bethléem, comme Tekoa et Nokdim, il fallait contourner Bethléem par le sud pour venir de Jérusalem, ce qui prenait 40 minutes et traversait des villages palestiniens" explique-t-elle. "Dès que la route Liberman a été asphaltée, le trajet s’est réduit à 15 minutes. L’ouverture de la route en 2008 a doublé le nombre de colons dans ces colonies en moins de 10 ans."
C’est le schéma directeur qui est maintenant utilisé dans toute la Cisjordanie. Après la construction de la rocade de Nabi Elias près de la ville palestinienne de Qalqilya en 2017, Israël a commencé à travailler sur la rocade d’Al-Arroub dans le sud et sur la rocade de Huwara dans le nord. Un ordre de saisie a déjà été émis pour une autre route de contournement qui détournerait le trafic des colons de la ville palestinienne d’Al-Funduq en direction de la colonie de Kedumim - que Smotrich appelle lui-même sa maison. Entre-temps, des travaux sont en cours pour doubler la largeur de la "route des tunnels" (route 60) afin de faciliter les déplacements entre Jérusalem et les colonies de la région d’Hébron, en particulier Kiryat Arba.
Alors qu’Israël présente ces routes comme des projets qui bénéficieront aux Palestiniens de la région ainsi qu’aux colons, la réalité est tout autre. Selon Dror Etkes, fondateur de l’ONG Kerem navot, qui suit de près l’évolution des infrastructures israéliennes en Cisjordanie, la construction de ces routes entraîne diverses conséquences néfastes pour les Palestiniens, notamment la perte de terres agricoles et une atomisation accrue des localités palestiniennes les unes par rapport aux autres. "Les routes sont des barrières physiques très importantes en termes de bantoustanisation de la Cisjordanie" explique-t-il, ajoutant : "Israël s’est spécialisé dans l’utilisation des routes pour couper la contiguïté entre une communauté et la suivante.
Ces routes sont techniquement ouvertes au trafic palestinien, mais leurs tracés sont conçus spécifiquement pour les trajets des colons israéliens - et, comme le souligne Etkes, "si Israël veut fermer une route aux Palestiniens, il peut le faire en une seconde." Il cite l’exemple de la route 443, une grande artère est-ouest qui traverse la Cisjordanie et qui a été rénovée dans les années 1990 : "À l’origine, elle était pavée pour les Palestiniens, mais pendant la seconde Intifada, Israël a trouvé des moyens de fermer la route aux Palestiniens et de repousser le trafic palestinien dans des enclaves, faisant ainsi de la 443 une route réservée aux Israéliens.
Même idéologie, mêmes moyens
L’objectif d’un million de colons fixé par M. Smotrich est loin d’être la première proposition de ce type. Dès 1978, le mouvement de colons Gush Emunim a présenté un "plan directeur" visant à atteindre 750 000 colons en Cisjordanie (sans compter Jérusalem-Est) en l’espace de 25 ans, qui a été approuvé par le gouvernement de Menachem Begin. Trois ans plus tard, Matityahu Drobles, alors chef de la division des colonies de l’Organisation sioniste mondiale, a présenté une proposition visant à atteindre un million de colons en Cisjordanie en l’espace de 30 ans.
Bien qu’aucun des deux objectifs n’ait été atteint, Yehuda Shaul, codirecteur de l’ONG israélienne Ofek et militant de longue date contre l’occupation, met en garde contre la fixation sur la faisabilité de l’objectif final numérique proposé dans des plans de ce type. "Si vous me demandez s’il est réaliste de penser qu’en 2050, nous aurons encore 500 000 colons en Cisjordanie, je dirais probablement que non" déclare-t-il. "Mais dans le passé, lorsqu’ils ont dit 1 million en 30 ans, même s’ils ne l’ont pas atteint, ils ont atteint un demi-million.
Quoi qu’il en soit, souligne-t-il, "ce n’est pas le nombre exact qu’ils peuvent atteindre qui compte, c’est ce que ce projet fait au quotidien : la dépossession et le déplacement des Palestiniens, les souffrances sur le terrain, les frictions et les conflits qu’il alimente et perpétue. Le niveau d’investissement [du gouvernement actuel] et le type de changements structurels qu’il met en œuvre vont aggraver la réalité incroyablement inhumaine que nous connaissons déjà dans les territoires occupés, et ce, à une vitesse sans précédent."
Abordant plusieurs de ces développements - notamment la modification de la loi sur le désengagement, par laquelle le gouvernement permet aux colons de retourner dans les colonies évacuées il y a 18 ans dans le cadre du retrait d’Israël de la bande de Gaza - M. Shaul met en garde : "Avec ce genre d’extrémistes, si vous leur donnez des victoires, l’imagination politique voyage très vite et très loin."
Le mouvement des colons, qui dicte aujourd’hui la politique du gouvernement par l’intermédiaire de personnalités comme M. Smotrich, est "un groupe idéologique très déterminé qui a une vision très claire et qui utilisera tous les outils à sa disposition pour mener à bien son programme et le faire progresser" ajoute-t-il. Ainsi, 500 000 [colons supplémentaires en Cisjordanie] semblent insensés, mais 250 000 suffiront."
En fait, les plans d’une telle augmentation ont été élaborés bien avant que le gouvernement actuel n’arrive au pouvoir. En 2015, La paix maintenant a obtenu des données du ministère du logement révélant que, depuis 2012, des plans étaient en cours d’élaboration pour plus de 55 000 unités de logement supplémentaires pour les citoyens israéliens en Cisjordanie, ce qui incluait l’établissement de deux nouvelles colonies. Ofran estime qu’une telle expansion - dont une partie a déjà été approuvée, tandis que la majorité reste au stade de la planification ou bloquée par la pression internationale - ouvrirait la voie à une augmentation de 250 000 personnes de la population des colons.
Les conséquences directes de cette situation ne sont pas difficiles à imaginer : la démolition certaine de villages palestiniens comme Khan Al-Ahmar, dont la présence est une épine dans les plans de construction exclusivement juifs d’Israël ; l’expulsion forcée de communautés plus rurales sous des prétextes fallacieux, comme celles qui sont actuellement menacées à Masafer Yatta ; et l’intensification de la violence des colons soutenue par l’État contre ceux qui osent défier ces forces en restant sur leurs terres, comme les habitants du village d’Ein Samia, aujourd’hui dépeuplé. Il s’agit d’une stratégie coloniale plus ancienne que l’occupation elle-même, dont la mise en œuvre s’étend à l’ensemble du régime foncier d’Israël et qui continue d’entraîner le déplacement des Palestiniens entre le fleuve et la mer.
En effet, outre l’expansion massive en cours en Cisjordanie, le gouvernement fait avancer la construction de plusieurs nouvelles villes juives dans le Naqab/Negev au sud et en Galilée au nord - des régions situées à l’intérieur des frontières israéliennes d’avant 1967 qui ont longtemps fait l’objet d’efforts officiels de judaïsation en raison de leur importante population palestinienne, même si celle-ci est citoyenne. Une législation est également proposée à la Knesset pour étendre la compétence des "comités d’admission" afin de garantir la ségrégation par la loi de part et d’autre de la ligne verte.
Si l’État est généralement le fer de lance du processus de construction à l’intérieur de ses frontières officielles, il a aussi parfois permis à de petits groupes de prendre les devants, comme on le voit plus souvent dans les avant-postes des colons en Cisjordanie. C’est la dynamique qui se joue actuellement à Ramat Arbel, un avant-poste de Galilée qui a récemment reçu l’autorisation du cabinet.
"Un groupe de personnes motivées par une idéologie se lance et pose des faits sur le terrain sans autorisation de construire" explique Suhad Bishara, directeur juridique d’Adalah et chef de l’unité de planification et d’aménagement du territoire du centre. "Puis, lorsque leurs intérêts s’alignent sur ceux du gouvernement en termes de judaïsation, des budgets très pratiques sont mis à leur disposition."
Bishara insiste sur le fait que ces agendas, de part et d’autre de la ligne verte, doivent être considérés comme étroitement liés. "Il s’agit du même concept, de la même idéologie et des mêmes moyens" déclare-t-elle. "Le principe directeur est la domination territoriale et spatiale juive, par l’expansion des outils de judaïsation dans les territoires sous le contrôle d’Israël."
Pour en revenir au plan de Smotrich, Etkes pense qu’il y a une raison pour laquelle le législateur avance le chiffre d’un million lors de ses réunions avec les fonctionnaires du ministère : "C’est presque un dernier clou symbolique dans le cercueil - leur dernière assurance que les colonies ne seront jamais démantelées." Mais pour Etkes, nous avons déjà largement dépassé le point de non-retour, et la conversation s’oriente à juste titre vers un nouveau terrain. "Tout le monde comprend qu’il n’y aura pas d’État palestinien et que les colonies ne seront pas expulsées. "La question n’est plus de démanteler, mais de savoir quel type de régime politique prévaudra ici."
Traduction : AFPS