Interview parue dans l’Humanité du 24 juillet 2006 :
http://www.humanite.fr/journal/2006-07-24/2006-07-24-833954
Quel est votre sentiment suite aux offensives militaires israéliennes à Gaza et au Liban ? Faites-vous le lien entre les deux ?
Mahmoud Abbas. Je condamne fermement l’atroce agression israélienne commise contre le peuple libanais, ses institutions et ses infrastructures. Le peuple palestinien, dans son ensemble, manifeste sa solidarité avec le Liban frère.
Le Conseil de sécurité de l’ONU ainsi que le G8 ont posé quatre conditions pour un cessez-le-feu : la libération des soldats israéliens pris à Gaza et au Liban, la libération des élus palestiniens, la fin des tirs du Hezbollah et la fin de l’intervention israélienne au Liban et à Gaza. Pensez-vous que ces conditions soient réalisables ?
Mahmoud Abbas. Nous demandons l’arrêt immédiat de l’agression. Le langage de la force que pratique Israël au Liban et en Palestine ne peut que compliquer d’avantage la crise. Seuls les efforts et négociations pacifiques pourront aboutir et permettront de sortir des crises. Cela étant, la situation qui prévaut au Liban est différente de celle en Palestine, même si la machine de guerre israélienne frappe dans les deux pays. Nous sommes un peuple sous occupation, Israël exerce un contrôle sur nos frontières terrestres, maritimes et aériennes, alors que le Liban est un État indépendant.
Tout d’abord, et avant l’explosion de la situation au Liban et la capture de deux soldats israéliens, nous avons mené des efforts pour libérer le soldat israélien enlevé à Gaza, qui possède également la nationalité française. Ces efforts portaient aussi bien sur le plan palestinien, qu’arabe et qu’international. Nous nous sommes prononcés également en faveur de toutes les initiatives cherchant à résoudre le problème. Nous avons dit à plusieurs reprises que nous comprenions parfaitement les peines de la famille du soldat israélien, mais nous avons demandé en même temps au peuple et au gouvernement israéliens, ainsi qu’à la communauté internationale, de comprendre aussi les peines et souffrances des familles d’une dizaine de milliers de détenus palestiniens et arabes dans les prisons israéliennes. Parmi eux, des centaines de femmes et d’enfants, ainsi que des détenus qui ont passé plus d’un quart de siècle dans les prisons israéliennes.
Nous avons dit clairement que le soldat israélien enlevé à Gaza est un être humain. Mais nos détenus sont aussi des êtres humains. Il est temps de mettre fin à leurs souffrances, à celle de leurs familles et du peuple palestinien tout entier. Aucun accord de paix israélo-palestinien n’aura de succès sans une solution juste à ce problème. C’est une des questions qui a toujours occupé une place importante dans nos négociations et nos rencontres avec les Israéliens et avec les différents acteurs de la communauté internationale.
Il faut que les actes de guerre prennent fin et il faut entamer immédiatement un processus de négociation politique, sous supervision internationale directe, qui traitera la question des soldats israéliens, soit tous en même temps, soit de façon séparée et qui traitera également du sort des détenus palestiniens et arabes dans les prisons israéliennes.
Malgré toute l’estime que j’ai pour les résultats de la réunion du G8, je ne pense pas que ces demandes seules soient capables de mettre fin à cet état de conflit et de tension. Ces demandes doivent faire partie d’une action plus large afin de commencer à appliquer les résolutions de la légalité internationale. Pour cela, il faut commencer à trouver une solution pour résoudre le problème des milliers de détenus politiques palestiniens et arabes qui croupissent dans les prisons de l’occupation israélienne.
La Ligue arabe semble divisée, voire impuissante. Quelle est la position défendue par l’OLP au sein de cette instance lors de la dernière réunion ?
Mahmoud Abbas. La réunion des ministres des Affaires étrangères arabes, qui s’est tenue récemment au Caire, a représenté un succès en dépit des difficultés existantes. Nous pensons que la Ligue arabe a toujours un rôle important à jouer pour élaborer une position arabe commune aussi bien à l’égard de la crise actuelle, avec toutes ses dimensions, qu’à l’égard de l’initiative arabe de paix adoptée au sommet de Beyrouth en 2002. Car cette initiative est un des éléments importants de la feuille de route, et ce, pour l’ensemble du conflit israélo-arabe.
Craignez-vous un embrasement de la région ?
Mahmoud Abbas. Nous craignons un embrasement de la situation si la communauté internationale n’intervient pas de façon efficace. La situation actuelle qui perdure risque de pousser la région toute entière vers plus de violence et d’extrémisme ce qui amènerait à affaiblir les forces de paix dans la région au profit des forces de l’extrémisme et de la haine.
Quelle est la situation actuellement à Gaza et où en est-on de l’aide financière promise notamment par l’Union européenne ?
Mahmoud Abbas. Selon plusieurs organisations non gouvernementales, la situation à Gaza conduit à un désastre humanitaire résultant de la destruction totale de l’infrastructure et du blocus des villes et des villages. Les principales infrastructures, les centrales électriques et des ressources hydrauliques, les ponts, les institutions gouvernementales et civiles, ont subi d’énormes dégâts. La situation économique et humanitaire s’est gravement dégradée à cause des sanctions économiques imposées à la suite de la victoire du mouvement Hamas aux élections législatives et de l’enlèvement du soldat israélien. J’appelle néanmoins nos amis européens à poursuivre leurs opérations de soutien au peuple palestinien et je voudrais ici exprimer ma gratitude et ma plus grande estime pour les aides fournies par l’Union européenne.
Voyez-vous un lien entre ce qui se passe à Gaza et le document dit des prisonniers qui offrait une possibilité de règlement politique interne ?
Mahmoud Abbas. Indépendamment du fait qu’il pourrait y avoir un lien direct entre la signature de l’accord au sujet des détenus, qui ouvre la voie à un règlement politique et pacifique au Proche-Orient, et le début de l’agression israélienne un jour plus tard, nous nous demandons à qui profite l’échec des efforts palestiniens visant à rassembler toutes les forces politiques autour d’un programme de travail national au service de la paix au Proche-Orient, ainsi que cette grande souffrance qui résulte de la violente offensive israélienne contre notre peuple.
Concernant ce document, sa finalisation a mis un certain temps. Quels ont été les principaux points d’achoppement ?
Mahmoud Abbas. Différents points de vue ont été avancés, ce qui est habituel dans le travail politique, mais il est important de noter que le document relatif aux détenus est un document d’entente nationale qui émane des différentes forces nationales et islamiques. Il constitue une vision nationale politique commune, conforme à celle de la communauté internationale en matière de paix et de stabilité dans la région, sur la base de deux États pour deux peuples et du règlement du conflit par le biais des négociations et de l’apaisement de la situation.
Quel est le devenir de l’Organisation de libération de la Palestine (OLP) ?
Mahmoud Abbas. L’OLP a signé la convention de reconnaissance mutuelle avec l’État d’Israël, elle est l’unique représentant officiel du peuple palestinien et c’est elle qui mène les négociations au nom du peuple palestinien et persévérera dans son rôle jusqu’à l’établissement d’un État palestinien indépendant.
Comment jugez-vous l’attitude de la communauté internationale et de l’ONU en particuliers concernant le conflit israélo-palestinien ?
Mahmoud Abbas. Les décisions de l’ONU sont toujours importantes et je les respecte. Elles sont fondées sur les décisions de la communauté internationale, formulées explicitement par les résolutions de la légalité internationale. Dans ce cadre-là, je voudrais souligner l’importance de se conformer au droit international humanitaire, - notamment la quatrième convention de Genève, qui considère Israël comme une partie membre tenue d’appliquer les articles de cette convention dans les territoires palestiniens occupés en sa qualité de force d’occupation. Enfin, les résolutions des Nations unies doivent être prises en considération dans leur - ensemble.
Incontestablement le conflit israélo-palestinien est au centre de la crise au Proche-Orient. Quelles sont vos propositions pour faire repartir le processus de paix alors qu’Ehud Olmert met en oeuvre son plan unilatéral ? Peut-on encore parler de la feuille de route ou faut-il un nouveau mécanisme ?
Mahmoud Abbas. Il est impossible de résoudre tout conflit au monde d’une façon unilatérale, notamment le conflit israélo-arabe avec toutes ses ramifications, telles que les droits des réfugiés palestiniens. Pour moi, la résolution réside dans le respect des résolutions légales internationales.
Faut-il encore imaginer des phases intérimaires ou estimez-vous qu’il convient maintenant de parler du statut permanent, d’un accord global ?
Mahmoud Abbas. Nous avons soutenu, et soutenons encore, l’application de la feuille de route et n’avons émis aucune réserve relative à ce sujet, contrairement à la position israélienne. Si Israël persévère dans sa politique unilatérale et dans la non-reconnaissance de la présence d’un partenaire palestinien, cette politique nous mènera à une impasse, ce qui nécessite de penser sérieusement à l’organisation d’une conférence internationale dans le cadre de laquelle la communauté internationale jouera le rôle de l’arbitre et du médiateur.
Attendez-vous de l’Union européenne, et de la France en particulier, qu’elles jouent un rôle plus important ?
Mahmoud Abbas. Nous accordons une grande importance au rôle de l’Union européenne, notamment la France, et nous examinons toutes les positions officielles appelant à l’apaisement de la situation. D’où l’importance des actions amies du peuple libanais ainsi que des différents regroupements de solidarité avec le peuple palestinien en Europe. Nous considérons que l’Union européenne, en tant que force mondiale, membre du comité quadripartite et comprenant deux États membres permanents au Conseil de sécurité, constitue un poids politique et peut jouer un rôle prépondérant pour mettre fin aux différentes formes d’agression, assurer le retour aux efforts pacifiques et activer les conventions ratifiées dans le cadre du partenariat méditerranéo-européen, ce qui renforcerait la paix et la stabilité au Proche-Orient et dans le bassin méditerranéen.
Propos recueillis par Pierre Barbancey
Article publié avec l’autorisation du journal L’Humanité