Je vivais à Jérusalem-Est, où les Palestiniens ont une carte de résident « permanent » délivrée par l’occupant. Le trois septembre 2020, j’ai reçu un ordre d’annulation de cette carte au motif que je ne serais pas « loyal à l’État d’Israël ». Le sept mars 2022, j’ai été arrêté et conduit au centre d’interrogatoire d’Al-Moscobiyeh à Jérusalem, puis rapidement incarcéré à la prison d’Ofer en Cisjordanie, enfin, j’ai été transféré en juillet à la prison d’Hadarim en Israël.
Durant ces 9 mois, j’étais sous le régime de la détention administrative, qui a été renouvelé 3 fois ; donc sans motif, ni jugement.
Les transferts d’une prison à l’autre ne sont jamais expliqués autrement que par des raisons de « sécurité ». En fait, il s’agit de déstabiliser le prisonnier, de le désorienter et lui faire perdre le peu de relations qu’il aurait pu nouer.
Les lois israéliennes font partie du système mis en place pour organiser le nettoyage ethnique des Palestiniens de Jérusalem-Est, entre autres en les arrêtant, ou les emprisonnant en masse. Cela permet d’afficher un semblant de normalité pour vider la ville de ses citoyens d’origine.
Par exemple, une nouvelle loi vient d’être votée à la Knesset qui permettra de révoquer la citoyenneté des Palestiniens d’Israël, ou la résidence des Palestiniens de Jérusalem qui enfreindraient la « confiance envers l’État d’Israël », ou qui auraient commis des « actes de terrorisme » d’après l’occupant. Cette loi permet alors de les expulser vers la Palestine occupée, en Cisjordanie ou à Gaza, ou vers un autre pays s’ils possèdent une autre nationalité (ce qui est illégal selon le droit international). Potentiellement, ce sont aujourd’hui plus d’une centaine de prisonniers qui risquent ainsi de perdre leur carte d’identité.
En prison, tout est difficile. De l’arrestation à l’emprisonnement, il y a une chaîne de tortures qui ne s’arrête pas. Le système carcéral israélien est fait pour briser mentalement, physiquement, psychologiquement ; pour détruire les Palestiniens. J’ai été emprisonné pendant près de 9 ans et demi, dont trois fois sous le régime de la détention administrative. Chaque prison que j’ai connue est différente. Les règles de vie y sont aussi différentes, mais il s’agit toujours d’anéantir les repères, pour briser les personnes, toujours.
En cellule, en général, nous pouvons être huit, six, ou deux… Mais chaque journée est rythmée par des fouilles plusieurs fois par jour ; par des appels et comptages trois fois par jour ; par l’omniprésence des caméras qui interdisent toute intimité. Les récréations, ou sorties dans la cour permettent de croiser d’autres détenus. Mais une des questions principales est celle de l’activité, puisqu’il n’y a pas de travail et qu’il est interdit d’étudier. Nous organisons entre nous des cours de politique, d’histoire… régulièrement désorganisés par les transferts de prisons. La question de la nourriture est aussi importante, aussi bien en quantité qu’en qualité… Mais nous pouvons acheter quelques produits. Nous mangeons dans les cellules. Les soins et la santé sont aussi une préoccupation. Prendre un rendez-vous auprès du médecin militaire est un long parcours qui n’aboutit pas toujours, et celui-ci prescrit invariablement de l’aspirine quel que soit le problème. Se fournir en médicaments est laborieux.
Nous n’avons pas le droit de téléphoner. La famille proche n’a droit qu’à quarante-cinq minutes de visite par mois, lorsqu’elle peut venir. Les autorisations sont faites par le canal de la Croix-Rouge pour les familles de Cisjordanie ou de Gaza… Les avocats ne sont pas mieux lotis et on peut difficilement parler de procédures légales dans les procès, lorsqu’il y en a, puisque c’est la loi militaire de l’occupant qui s’impose. Généralement, les avocats sont plutôt des soutiens pour les parents, pour la famille.
Israël utilise et instrumentalise le système de la détention administrative pour déstructurer la société palestinienne. C’est un moyen de pression supplémentaire pour l’occupant. Un stress aussi pour le prisonnier qui ne sait pas combien de temps il sera retenu. Pourtant, la détention administrative sans raison est illégale selon le droit international.
Face à cela s’est développé un système de solidarité interne entre les prisonniers qui t’inclut dès ton arrivée et qui nous permet de recréer une sorte de mini société. La vie s’organise collectivement à l’échelle de la cellule, mais aussi plus largement. Prévoir pour la journée, des lectures, des cours collectifs, des temps de discussions politiques, c’est notre façon de nous sentir vivant, mais aussi de préserver l’espoir.
Il y a aussi une unité entre les différentes prisons, par exemple lors des décisions collectives pour démarrer une grève de la faim dans plusieurs endroits simultanément.
La grève de la faim est un moyen qui semble efficace pour obtenir même de petites avancées… pour retrouver notre dignité, pour continuer le combat qui nous anime. Nous avons la volonté de tenir et de vaincre. Ils ne nous casseront pas… même lors de la dernière grève de la faim, pendant laquelle dès le début, j’ai été mis à l’isolement. Cela a duré dix-neuf jours, dans une pièce de trois mètres sur deux, avec une caméra 24 heures sur 24, sans douche, sans sel et juste une ration d’eau ; la pression était forte, mais ma volonté tout autant.
Finalement, le 18 décembre, j’ai été déporté. Ce terme de déportation me semble plus adapté que celui d’expulsion ou d’extradition, à ce que j’ai vécu. La déportation fait directement référence à l’occupation et au droit international. La déportation forcée que j’ai subie constitue un crime de guerre.
C’est en partie pour cela qu’il aurait fallu que je sois déporté en silence. C’est ce que voulaient les gouvernements israélien et français, qui, par exemple, ne souhaitaient pas de comité d’accueil à mon arrivée à Paris.
Les menaces pour me faire taire font partie de cette volonté, bien relayée par les partisans d’Israël.
Mais je ne veux pas me taire ! J’espère pouvoir intervenir, partager mon expérience et poursuivre mon combat. Je vais essayer de répondre aux invitations à des conférences, des tables rondes, que je reçois d’associations, d’élu.es, ou de celles et ceux qui me soutiennent. Je sais déjà que je vais aller en Espagne, en Irlande, en Suisse. Mais il est trop tôt pour faire d’autres projets.
De leurs prisons, les prisonniers politiques palestiniens espèrent beaucoup de la solidarité internationale. Cette solidarité qui s’exprime fait partie de leur lutte. Que ce soit par des campagnes spécifiques, par des initiatives de soutien de municipalités, d’élu.es, d’organisations. Mais il faudrait toujours penser et agir dans un travail collectif le plus large possible, avec une chaîne internationale qui s’appuie sur les droits.
En ce qui me concerne, je ne baisse pas les bras. Je veux continuer mon combat depuis la France.
Salah Hammouri,
Propos recueillis par Mireille Sève