Roland, on te connaît en tant que réalisateur du Char et l’olivier, une autre histoire de la Palestine, que beaucoup d’entre nous ont vu. Où en sont les projections et la diffusion du film ?
R. N. : Le film aura fait officiellement 27 000 entrées en salles, ce qui est plutôt très bien pour un premier film documentaire aux dires du distributeur. À cela il faut ajouter d’autres projections, mais aussi le visionnage sur sites VOD en ligne et sa sortie en DVD accompagné d’un bonus de tournages et d’un livre pédagogique. Depuis sa sortie officielle en novembre 2019 jusqu’aux limitations liées à la pandémie, je l’ai accompagné dans un peu plus de 150 villes aux quatre coins de la France. Cet accompagnement m’a permis d’aller à la rencontre de beaucoup de gens dans des lieux très différents. J’ai rencontré des militants pour la Palestine d’un peu partout et aussi beaucoup de médias et de critiques de cinéma ; ça s’est bien passé et on n’a jamais cherché à mettre en défaut sur quelque terrain que ce soit ou contesté les éléments contenus dans le film.
Justement, tu t’es particulièrement impliqué en accompagnant le film et en animant des débats un peu partout en France. Qu’est-ce qui t’a particulièrement marqué ?
R. N. : Ce qui m’a passionné, ce sont les contacts avec le public, un public qui pour l’essentiel n’était jamais allé en Palestine, pas un public de convaincus, un public qui le plus souvent manifestait son intérêt pour la Palestine à travers des éléments qu’il ignorait et les questions qu’il posait. Beaucoup de gens s’intéressaient un peu à la Palestine mais ne connaissaient pas la réalité de la situation et d’autres venaient en curieux. Les débats étaient riches en questions et en réactions et se poursuivaient souvent à la sortie de la salle et du cinéma.
Donc aujourd’hui ce film, c’est déjà du passé ?
R. N. : Pas vraiment. Face à la situation sanitaire connue depuis un an, certaines salles ont reprogrammé le film. Je me suis toujours engagé à l’accompagner du mieux que je pouvais pour animer les débats. Je repars donc avec mon van sur les routes, en gros jusqu’à la fin de l’année pour à peu près une trentaine de séances, et même en Suisse. Par ailleurs il est toujours possible de visionner le film et de se procurer le DVD.
Aujourd’hui tu réalises un autre film sur la Palestine, cette fois sur Gaza. Pourquoi ce choix ?
R. N. : Par mon premier film, j’ai eu le sentiment de faire une introduction nécessaire pour comprendre la Palestine. J’ai voulu donner un certain nombre d’éléments, donner aussi la parole à des personnalités et des intervenants sur le sujet au travers de certaines interviews. Cependant, je me suis retrouvé terriblement frustré, avec le sentiment qu’il y avait encore tellement de choses à dire et particulièrement sur Gaza.
Je me suis dit qu’il fallait quelque chose centré sur Gaza car dans l’histoire de la Palestine, Gaza est vraiment une histoire à part entière. Bien sûr, Gaza fait partie du territoire palestinien et sa situation n’en est pas indépendante, mais son histoire est immensément riche. C’est aussi pour cela qu’il était important pour moi d’avoir des historiens qui rappellent que c’est un territoire qui existe depuis des millénaires au croisement de toutes les cultures.
Ce qui m’a immédiatement fasciné pour faire Yallah Gaza et qui est toujours en cours bien sûr, c’est de me dire qu’il y a là-bas deux millions de Palestiniens complètement enfermés et coupés du monde et qui forment- une société à part entière.
On y parle souvent des tensions et de la rivalité entre le Hamas et l’OLP mais ce n’est quand même pas la guerre civile. Les Gazaoui(e)s, comme tous les Palestiniens du reste, sont toujours en résistance, une résistance sous toutes ses formes. Ils continuent de vivre, de faire du commerce- (avec beaucoup de difficultés), de s’éduquer, de se cultiver et de faire la fête. Les parents se saignent pour envoyer leurs gamins à l’école, voire dans les universités (à l’étranger ou à Gaza même).
J’avais envie de raconter le peuple de Gaza et de le remettre en perspective dans l’Histoire. J’ajoute enfin que je n’ai eu aucun problème pour avoir les autorisations du Hamas pour faire les tournages et interviews souhaitées.
Tu travailles cette fois avec Iyad Alasttal, bien connu pour sa série Gaza Stories. Comment se sont faites votre rencontre et votre association pour ce projet ?
R. N. : Pendant plus d’un an, j’ai essayé par tous les canaux possibles de rentrer à Gaza sans réussir à avoir les autorisations, j’ai alors proposé à Iyad d’y être mes yeux et ma voix et je lui ai délégué les tournages. Il a d’abord réalisé les séquences telles que je les avais écrites et après on a échangé et enrichi la narration à partir de sa propre histoire de Gaza. C’est d’autant plus facile qu’il est francophone, qu’il a fait ses études de cinéma en France dans la même école que mon fils et il a vraiment adoré le projet. On s’est tout de suite bien entendus.
On a travaillé ensemble sur les interviews de personnalités ou de témoins de la société civile. J’avais également besoin de séquences illustrations dans le milieu agricole, de la pêche, bref du quotidien des Gazaoui(e)s. J’ai des séquences de danse (le Dabké) au milieu des ruines, séquences absolument fabuleuses avec des jeunes qui ont entre 16 et 20 ans et une pêche incroyable. D’un point de vue cinématographique, aujourd’hui j’ai vraiment beaucoup de contenu et j’espère qu’on va en faire quelque chose de bien.
Pour beaucoup, Gaza est avant tout synonyme de souffrances et de destructions. On a l’impression que pour toi, ce qui prédomine, c’est la vie ?
R. N. : C’est effectivement mon état d’esprit de dire que les Palestiniens de Gaza, tous ensemble, quelles que soient leur religion ou leurs idées, sont un peuple debout. J’ai tenu par exemple à avoir des séquences avec des chrétiens et des musulmans ensemble et c’était important pour moi ; l’état d’esprit global du film est de ne pas tomber dans le misérabilisme. Il y aura bien sûr des images de destruction ainsi que des images de ruines d’autant qu’en mai ils ont été de nouveau bombardés, on ne peut pas passer à côté. Néanmoins l’argument du film sera de démontrer que la vie continue à Gaza malgré l’enfermement, malgré la situation sociale et sanitaire déplorable et malgré l’absence de perspectives à court et moyen terme.
Alors où en es-tu aujourd’hui ? Quelle est la suite ?
R. N. : Le travail est quasiment fini à Gaza mais j’ai encore des interviews à réaliser à Bruxelles puis à Londres. Durant l’hiver on va passer en postproduction. Je vais essayer d’apporter une dimension esthétique et des respirations afin de rendre plus digestes toutes les informations diffusées dans la trame narrative pour un film qui durera 1 h 30 environ. J’ai beaucoup de matière (notamment des interviews) qui passeront dans des bonus comme pour Le char.
Concernant le financement et la distribution ? La date de sortie ?
R. N. : J’ai pu le démarrer et défrayer tous les techniciens qui ont travaillé avec moi à Paris et à Gaza grâce à deux débuts de financements : un par la Fondation de France qui avait déjà financé en partie mon film précédent et un autre par une émanation de la Fédération internationale des droits de l’homme (FIDH).
J’ai lancé également un financement participatif ouvert jusqu’à décembre sur HelloAsso en vue d’obtenir 20 000 €. On a dépassé aujourd’hui la moitié du financement et j’ai bon espoir.
L’objectif est que le film puisse sortir au printemps 2022. Pour l’instant, rien n’est signé concernant la distribution du film.
Tu as d’autres projets ?
R. N. : J’étais parti en 2020 sur un autre projet de film racontant l’histoire des canuts lyonnais. Avec mes deniers personnels, j’ai commencé à interviewer des historiens et on a tourné à la Croix-Rousse à Lyon, fait plusieurs séquences mais je n’ai pas trouvé le financement nécessaire. J’ai bon espoir d’ici un an de reprendre le projet car c’est une histoire passionnante notamment par sa dimension sociale et profondément méconnue du public français.
Interview par Michel Basileo