Richard Gere déclare que sa décision de se rendre à Jérusalem la semaine dernière pour la première en Israël de son nouveau film, « Norman : l’ascension modeste et la chute tragique d’un intermédiaire new-yorkais, » [1] n’a pas été facile à prendre.
Juché sur un banc dans la cour de la Cinémathèque de Jérusalem, une vue d’ensemble de Jérusalem derrière lui, la vedette du film et militant des droits de l’homme a déclaré à Haaretz que, bien qu’il se soit rendu de nombreuses fois dans le passé dans le pays, cette visite “a été plus compliquée que toute autre fois où je suis venu.”
Au cours de tout un mois, déclare Gere, il s’est demandé si “ce serait une bonne chose" pour lui de faire le voyage. Devant Israël déviant encore plus vers la droite après l’arrivée de Trump, et devant la tendance croissante de la gauche progressiste à adopter la tactique du boycott pour protester contre l’occupation par Israël du territoire palestinien, beaucoup des amis et des collègues de Gere dans les associations de défense des droits de l’homme à la fois en Israël et aux USA lui ont dit qu’ils craignaient que la présence en Israël de la vedette d’un film “soit récupérée par un gouvernement des forces obscures.”
“Il y avait des gens de tous les côtés – ceux qui ont été des amis proches et des gens que je connaissais à peine – me disant ne pas venir,” raconte-t-il. Même des Israéliens lui ont conseillé de réfléchir à deux fois. “Il y avait des gens habitant ici qui m’ont dit, "Ecoute, il n’en sortira rien de bon. Les sales types se serviront de toi"– « sales types » voulant dire les décideurs politiques de ce gouvernement. Cela a été un mois compliqué de va-et-vient : « je viens … je ne viens pas.’”
Gere raconte que, pendant ce mois d’indécision, il a discuté quotidiennement de ce dilemme avec Joseph Cedar, réalisateur et scénariste de “Norman”. Finalement, il s’est pointé.
Here a parlé à Haaretz après une visite en coup de vent de 48 heures en Israël. Mais, qu’il ait été fatigué ou troublé par le décalage horaire, il était impossible de le déceler. Toujours incroyablement bel homme à 67 ans, avec ses rôles de jeune premier, dans des succès comme “Officier et Gentleman” et “Jolie Femme”, loin derrière lui, et avec sa crinière jadis célèbre de cheveux noirs, maintenant aux reflets argentés, le charme qui a fait de lui un symbole sexuel mondial demeure.
Que ce soit le côté Zen du Bouddhisme de Gere ou le fait qu’il profite d’une renaissance de fin de carrière, choisissant en toute liberté de plus petits projets artistiquement satisfaisants qui l’intéressent comme “Norman,” il s’en sort comme détendu, maître de lui-même et aimable – sans aucune trace du personnage soucieux, ayant peur de la presse, qui était le sien dans sa jeunesse.
Cependant il n’y va pas de main morte quand il en vient à la politique. Comme lors de ses précédentes visites, Gere a rencontré diverses associations oeuvrant pour la coexistence et la réconciliation palestino-israéliennes. Dans le passé, il avait tendance à se concentrer sur les aspects positifs et se retenait quand il s’agissait de critiquer les politiques du gouvernement israélien. Pas cette fois.
“Manifestement cette occupation détruit tout le monde,” dit-il. “L’on ne peut défendre cette occupation. Les colonies sont une absurde provocation et, assurément dans le sens international, complètement illégales – et elles ne font certainement pas partie du programme de quelqu’un qui veut un authentique processus de paix.” Et de marquer une pause avant d’ajouter, “Juste pour être clair à ce sujet : je dénonce la violence de toutes parts à ce sujet. Et, bien sûr, les Israéliens doivent se sentir en sécurité. Mais les Palestiniens ne doivent pas être désespérés.”
Le rejet de Gere des “factions extrémistes violentes des deux bords” explique qu’il ait déclaré qu’il a été “impressionné” par deux associations auxquelles il a rendu visite le jour de la première : les Femmes Font la Paix, qui rassemble des Israéliennes et des Palestiniennes réunies dans l’action politique ; et YaLa, qui forme les jeunes à l’aptitude à diriger, en employant les médias sociaux pour apprendre la communication, le maintien de la paix et les compétences à diriger et en encourageant le dialogue permanent.
“Ce que j’ai apprécié à propos de ces deux associations que j’ai rencontrées – ce n’était pas cette force fataliste, déprimante … c’était visionnaire, plein d’espoir, débordant de joie, d’amour et d’engagement. Et il ne s’agissait pas d’évènements ponctuels exprimant de la frustration. Il s’agissait de, « Nous sommes ici jusqu’à la fin. Nous allons continuer à faire ceci.’”
Gere a rencontré aussi à New York avant son voyage les représentants de l’organisation non gouvernementale Breaking the Silence (Briser le Silence), et a déclaré qu’il avait prévu de les rencontrer aussi en Israël.
La diabolisation de l’association par le Premier Ministre Benjamin Netanyahu et d’autres personnes de droite l’ont consterné, comme l’ont fait les condamnations de J Street [2] par le nouvel ambassadeur en Israël nommé par l’administration Trump, David Friedman.
“Tout cela va à l’encontre de ce que je connais de la culture juive,” déclare Gere. “Est-ce que la mise en cause du pouvoir fait de vous un kapo ? Est ce que questionner le pouvoir fait de vous un traître ? Etes-vous un Juif ayant la haine de soi si vous mettez en cause les mauvaises politiques ? Cela est insensé. Et, bien sûr c’est le dernier recours des tyrans.”
“Norman” explore le croisement de deux mondes : les Juifs de New York et la politique israélienne. Dans le film, le futur Premier Ministre israélien Eshel (interprété par Lior Ashkenazi), un homme politique jeune, plein de charisme, dans un creux de sa carrière, se prend d’amitié pour l’ « intermédiaire » opportuniste, en difficulté, Norman Oppenheimer (Gere). La forte amitié entre les deux hommes commence quand Oppenheimer achète à Eshel une paire de coûteuses chaussures, et il enfourche étourdiment le succès de la carrière du politicien israélien jusqu’à ce que, comme le titre complet du film le suggère, leurs relations ne connaissent un triste dénouement.
Pour le Israéliens, les questions auxquelles le film est confronté sont inspirées de l’actualité. Le personnage de Gere’s présente des similitudes avec Morris Talansky, qui était le témoin capital dans l’affaire de corruption qui a mené l’ancien Premier Ministre Ehud Olmert en prison.
Cedar et Gere mettent tous deux l’accent sur le fait que, alors que le film est influencé par l’histoire d’Olmert et de Tolansky (auquel Cedar est apparenté), Norman est beaucoup plus son propre personnage. Le personnage d’Eshel est différent aussi d’Olmert l’ex-Premier Ministre disgracié, dont Gere considère la chute avec tristesse.
“Je connaissais Olmert,” dit-il. “Et j’ai été engagé avec lui à différents niveaux d’un processus de paix. … Je l’ai assurément apprécié en tant qu’être humain et j’ai réellement pensé qu’il y avait un espoir et une promesse énormes alors qu’il était premier ministre. Je l’ai vu en action et en interaction avec les Palestiniens. Cela marchait. Ce n’était pas le grand amour, mais c’était du respect. Et j’ai vraiment eu la totale impression qu’il y avait une manière de pouvoir aller de l’avant. Il ne semblait pas être entre les mains des colons, il ne semblait pas être possédé par des forces obscures, il comprenait le compromis.”
Alors qu’il ne peut pas accepter le jugement sur l’affaire de corruption d’Olmert parce que “je ne sais rien de ce qu’étaient les problèmes, je n’en connais pas les détails,” Gere déclare qu’il se demande – et en a discuté avec Cedar – si la valeur de l’accord de paix qu’Olmert aurait été capable de conclure aurait compensé le caractère immoral de la corruption qui l’a fait tomber.
Dans le film, les coûteuses chaussures sont l’équivalent des enveloppes qu’Olmert acceptait de la part de Talansky. “Franchement, si quelqu’un instaure une paix durable au Moyen-Orient, une paire de chaussures n’est pas un drame,” déclare Gere.
Se considère-t-il aussi indulgent à propos des cigares coûteux et du Champagne rosé ? Après tout, l’affaire du producteur d’Hollywood Arnon Milchan – qui a produit le film « Jolie Femme » qui a lancé la carrière de Gere – est actuellement embourbé dans un scandale de remise de cadeaux concernant Netanyahu, qui reflète aussi les relations entre Norman et Eshel.
“Le contexte est totalement différent,” réplique l’acteur. La sympathie avec laquelle il considère la chute d’Olmert ne s’appliquerait en tout cas à l’actuel premier ministre que “si Netanyahu oeuvrait en vue d’un authentique processus de paix.”
Quand on suggère que peut-être une des raisons pour lesquelles Milchan a entretenu des relations avec Netanyahu était qu’il croyait que celui-ci était un dirigeant qui pourrait apporter la paix, Gere roule des yeux avec incrédulité et sourit.
Bien qu’il connaisse Milchan “hors du travail,” il est également sceptique quand il s’agit d’une des anecdotes favorites du producteur, selon laquelle c’était Olmert qui a inventé le nom du plus grand succès de Gere.
Pendant des années, Milchan a régalé le public de l’histoire selon laquelle il avait projeté un premier montage de “Jolie Femme” au Maire d’alors de Jérusalem, Olmert, quand le film s’appelait “Trois Mille.” Milchan a déclaré qu’ils avaient regardé le premier montage et écouté les chansons éventuelles pour la bande sonore, parmi lesquelles « Jolie Femme » de Roy Orbison – et que c’était Olmert qui avait suggéré que c’était un excellent titre pour le film.
Gere : “Je trouve cette histoire hautement suspecte. Il n’était pas impliqué en cela. C’était un film de la société Disney, et ce sont eux qui ont décidé.”
D’abord, ça fait bizarre que Gere – un Bouddhiste Blanc-Anglo-Saxon-Protestant natif de Philadelphie, dont les ancêtres sont venus en Amérique sur le Mayflower – soit capable de discuter de la politique israélienne et de la culture juive avec une telle facilité. Mais quand vous considérez qu’il a tout joué de l’héroïque Roi David (dans le film de 1985 du même nom) à l’ultime malchanceux obséquieux dans “Norman,” Gere a occupé tout le spectre de l’expérience juive.
Donc, est-ce que Gere a appris quelque chose de nouveau sur les Juifs en habitant le rôle de Norman ? “Bien, vous ne jouez pas un type d’homme, vous jouez un être humain,” répond-il. “Et celui-ci était un être humain très spécifique . … La question spécifique à laquelle j’étais confronté en tant qu’acteur était, « Où est sa colère ? » « La frustration se transformant en colère devant toutes les humiliations, les portes lui claquaient au nez tout le temps. il ne peut pas se permettre d’être en colère. Dans l’histoire des Juifs, ils ne peuvent se permettre d’être en colère. Ils ont besoin de protection – tu ne peux pas être considéré comme une menace. Et la colère est une menace.”
Les Juifs au cours de l’histoire ont dû « trouver une façon de ne pas être en colère,” dit-il.
En plus de travailler avec Cedar, Gere a fait plusieurs films avec le scénariste et réalisateur israélien Oren Overman (qui est aussi un des producteurs de “Norman”). Here a joué à contre-emploi pour deux réalisateurs : dans “Time Out of Mind” /« Temps Immémorial » (2014) de Moverman, il a joué un homme sans logis ; et dans “Norman” il est un étranger ennuyeux aux cheveux en désordre et des oreilles décollées. Les deux rôles ont étendu ses capacités sur le plan artistique, bien au-delà des rôles de personnage de charmeur qui l’ont rendu célèbre.
Here semble encore surpris d’avoir été choisi pour le rôle de Norman. “Ecoute, si j’avais dirigé ou produit ceci, je ne pense pas que je me serais proposé pour ce rôle. Il y a des dizaines de merveilleux acteurs juifs à New York qui auraient pu faire des choses incroyables avec ce rôle. Mais Joseph voulait quelqu’un qui puisse trouver quelque chose de plus universel que cela, semble-t-il.”
Malgré sa spécificité culturelle, Gere pense que le film possède un attrait universel pour le public. Les hommes politiques charismatiques et les parasites modestes cherchant la confirmation et la fortune dans une gloire partagée peuvent être trouvés n’importe où, souligne-t-il. Il cite un public en majorité latino qui, lors d’une récente projection à Miami, a « aimé le film. Ce personnage est certainement très juif, mais je ne pense pas qu’il soit spécial à la culture juive. Je pense que tous possèdent leur Norman.”
Même Donald Trump partage certaines qualités avec Norman. Il était, après tout, un homme d’affaires de New-York, négociateur de services, baratineur, qui s’est insinué dans les bonnes grâces des dirigeants politiques, et qui a enfourché la roue de la fortune – parfois en haut et parfois en bas.
“Trump est celui qui a toujours voulu « en être », " déclare Gere. “il est celui qui voulait être accepté. Et même s’il est là maintenant, il ne croit pas qu’il y est réellement. Et l’une des choses bizarres à son sujet est qu’il s’est aliéné tous ceux par lesquels il voulait être accepté.”
Comme l’on peut s’y attendre, le militant de toujours pour un grand nombre de causes progressistes – parmi lesquelles, la plus célèbre, l’indépendance du Tibet – critique sévèrement le président des USA. Gere déclare qu’il est particulièrement horrifié quand il s’agit de la question des réfugiés, au nom desquels il a oeuvré pendant des années, en visitant des camps partout dans le monde de l’Amérique du Sud au Kosovo.
“La corruption du langage en train de se produire est tellement extraordinaire,” dit-il. “Trump a donné le même sens aux mots réfugié et terroriste. Il n’y a pas si longtemps, le refugié était quelqu’un fuyant un brasier. quelqu’un qui avait besoin d’aide … Et maintenant cette personnes est un terroriste, une personne dangereuse, quelqu’un qui doit être évité et tenu à l’écart.”
Il est important, dit-il, pour les artistes et les autres personnalités de haut rang d’exprimer leur opposition à Trump et ses politiques – mais pas seulement les célébrités : “Tout le monde doit s’exprimer, quelque soit la nature de leurs fonctions.”
Here déclare qu’il a été inspiré par la Marche des Femmes en janvier. “L’énorme déferlement de gens s’engageant physiquement vers les rues après l’investiture de Trump a été incroyablement encourageante pour nous tous – le fait qu’il y ait une énergie qui existe. Ce n’est pas une force obscure, ce n’est pas de la colère.”
Cette énergie, a-t-il déclaré, a été le bon côté de l’élection de Trump, avec le fait qu’elle constituait un signal d’alarme pour l’avenir.
“Nous devons être vigilants,” dit-il. “Nous devons être sûrs de nous impliquer dans les élections de façon que nous ne permettions pas l’élection à nouveau de quelqu’un comme Trump, et que nous ne permettions pas à des gens comme ses conseillers de diriger à nouveau le gouvernement de notre pays. Nous sommes devenus paresseux. La démocratie ne fonctionne pas si vous êtes paresseux. Parce qu’alors les sales types prennent le dessus.”
Allison Kaplan Sommer
Correspondante d’Haaretz.
Traduction Yves Jardin pour AFPS