Bitterlemons : L’exécution de Saddam Hussein a été très largement déplorée par les Palestiniens. Pourquoi ?
Yusef : Les Palestiniens ont pleuré Saddam Hussein d’abord parce que dans la mémoire palestinienne l’Irak a joué un rôle honorable et positif en défendant les droits palestiniens tout au long de son histoire, et que l’armée irakienne a combattu dans toutes les guerres pour défendre la Palestine.
Pendant cette Intifada, Hussein a été un soutien solide du peuple palestinien. Il a offert de l’assistance financière aux familles des gens tués par Israël et il a donné des fonds pour reconstruire les maisons détruites par l’armée israélienne.
Pour les Palestiniens, Saddam Hussein est le seul dirigeant arabe qui a défié l’Amérique et tiré des fusées sur Israël, cherchant ainsi à maintenir la dignité et l’honneur de la nation arabe. En plus, la façon dont Hussein a été exécuté le premier jour de l’Aïd a frappé les sensibilités musulmanes au coeur. Pour toutes ces raisons les Palestiniens avaient de quoi pleurer.
B : De nombreux commentateurs ont aussi fait des spéculations et avancé que l’ exécution intensifierait encore les tensions entre Sunnites et Chiites dans la région de manière générale. Partagez vous cette opinion ?
Yusef : Oui. La façon dont Hussein a été exécuté et les moqueries de ceux qui l’ont exécuté ont montré que le problème était entre Sunnites et Chiites et que Hussein a été exécuté non pour ses crimes mais parce qu’il était sunnite. Ils l’ont exécuté pour avoir écrasé la rébellion chiite en 1991. C’était de la vengeance. Et cela a creusé encore le fossé entre Sunnites et Chiites.
B : Lors de certains rassemblements du Fatah les semaines passées, on a entendu des gens traiter de “chiites” des membres du Hamas, comme une insulte. Est -ce que c’est un développement préoccupant ? Une étrange division sectaire menacerait-elle la Palestine ?
Yusef : Ces appels font partie d’une stratégie qui veut peindre le Hamas comme un parti extrémiste et on nous accuse de nous écarter de notre traditionnelle modération. Ces accusations sont dénuées de sens et elles ne méritent guère qu’on y réponde. Le Hamas a, au cours de son histoire, été un mouvement modéré, et il continue à être le mouvement politique islamique le plus modéré.
En tout état de cause, la rue palestinienne n’a jamais accepté ces appels et ne les a jamais crus.
B :Le Hamas apparaît de plus en plus proche de l’ Iran. Comment définiriez vous les relations Hamas- Iran ? Est- ce qu’au Hamas, il existe une préoccupation que, pour quelle que raison que ce soit, l’Iran ne joue un rôle plus important que nécessaire dans la politique du mouvement ?
Yusef : Les relations entre le Hamas et toutes les nations islamiques et arabes sont au même niveau. Dans le passé le Hamas a reçu le soutien de l’Arabie saoudite et d’autres pays du Golfe. Mais après notre victoire électorale et le siège que nous a imposé la communauté internationale, certains de ces pays ont cédé devant les pressions internationales et arrêté de nous envoyer de l’aide.
Le seul pays qui ne l’a pas fait est l’Iran. Et il est dans la nature d’un être humain que, si quelqu’un lui donne quelque chose, il montre de la gratitude.
L’ Iran mérite notre gratitude. Mais cela ne signifie pas que le Hamas se colle à l’agenda iranien.
La relation que nous avons établie avec l’Iran découle naturellement de leur soutien. Nous apprécions leurs efforts pour mettre fin au siège. Il est logique que nous nous rapprochions. Mais nous maintenons des relations stratégiques avec l’Arabie saoudite, et les relations que nous gardons avec un pays ne se font pas au détriment de l’autre.
B : Certains commentateurs ont accusé le Hamas de mettre tous ses oeufs dans le panier iranien.
Yusef : Nous n’avons jamais mis aucun oeuf palestinien dans aucun panier étranger. Nos œufs sont dans notre panier. Mais il est logique que, si quelqu’un vous tend la main, vous tendiez la vôtre vers lui, ou elle, en retour.
Nous sommes un peuple assiégé, qui cherche à obtenir de l’aide du monde arabe et musulman. Si quelqu’un nous aide, nous nous devons d’éprouver de la gratitude.
Quand le monde entier boycottait le peuple palestinien, l’Iran nous a offert son soutien. C’est logique que nous éprouvions de la gratitude.
B : Est-ce que la violence sectaire en Irak entre les Sunnites et les Chiites affecte la politique des Frères musulmans dans la région ?
Yusef : Il ne fait aucun doute que la lutte entre les Sunnites et les Chiites a un impact négatif sur la position des Frères musulmans envers l’Iran et le Hezbollah. Bien sûr les Frères comprennent que le Hezbollah est opposé aux combats sectaires en Irak et qu’il a appelé de façon répétée les Chiites d’Irak à ne cibler que l’occupation américaine et à protéger leurs frères sunnites. Mais il y a un impact et peut-être la haine historique entre Sunnites et Chiites va-t-elle réapparaître.
Pourtant les Frères musulmans ont soutenu le Hezbollah quand il a combattu Israël au Liban l’an passé. Le Hezbollah défendait la dignité des Arabes et des musulmans. C’est dans ce contexte qu’est élaborée la politique des Frères musulmans.
Le mouvement a toujours essayé de faire preuve de positions équilibrées et objectives, bien qu’il soit aussi affecté par l’ambiance générale.