Photo : Une manifestation contre la colonisation est réprimée par l’armée israélienne le 14 janvier 2023 à Masafer Yatta, sud-est de Hébron, Cisjordanie (Al-Jarmaq News).
Par une nuit d’hiver dans le nord du désert de Judée, une jeep militaire israélienne sans porte s’est arrêtée devant le feu de camp où Youssef Jalawi, citoyen palestinien d’Israël originaire de la ville bédouine de Rahat, faisait bouillir du thé avec deux amis palestiniens. Les soldats qui sont descendus de la jeep portaient des uniformes de l’armée, mais ressemblaient à des membres des "jeunesse des collines", ces jeunes colons religieux et violents qui descendent régulièrement de leurs avant-postes en Cisjordanie occupée pour attaquer les Palestiniens qui se trouvent à proximité.
Qu’il s’agisse de soldats ou de colons, Jalawi raconte que les hommes en uniforme ont commencé à le maltraiter : ils l’ont attaché avec des menottes, lui ont enfoncé la tête dans le gravier avec la semelle de leurs chaussures et, à chaque fois qu’il tombait, ils le frappaient et exigeaient qu’il se relève. Ils lui ont ensuite mis un pistolet sur la tempe en lui disant qu’ils le tueraient s’il osait retourner dans le désert. Selon Jalawi, 1 000 NIS ont disparu de sa voiture cette nuit-là - de l’argent qu’il avait prévu d’utiliser pour acheter un cadeau à sa jeune fille.
La confusion de Jalawi quant à l’identité de ses agresseurs était justifiée : les jeunes hommes qui l’ont arrêté étaient à la fois des soldats et des jeunes colons des collines. Une enquête menée par +972 et Local Call révèle qu’il y a deux ans et demi, l’armée israélienne a créé une unité appelée "Frontière du désert", spécifiquement pour les jeunes colons des collines, qui constituent la grande majorité des soldats de l’unité.
L’enquête, basée sur le témoignage de dizaines de personnes, révèle que ce qui est arrivé à Jalawi n’est pas un incident isolé. +972 a obtenu des preuves relatives à au moins 11 autres incidents au cours desquels des soldats de l’unité auraient attaqué des Palestiniens. Le 30 avril, un an et demi après avoir déposé une plainte concernant l’attaque survenue en novembre 2021, Jalawi a reçu un avis du procureur militaire indiquant que l’affaire était classée sans qu’aucune mesure ne soit prise à l’encontre des soldats auteurs de l’attaque.
Un responsable de la sécurité connaissant bien l’incident a déclaré à +972 sous couvert d’anonymat que Frontière du désert, qui a été créé en 2020 et est subordonné à la Brigade de la vallée du Jourdain, "se compose principalement de jeunes des collines... l’extrême de l’extrême, qui autrement ne se seraient pas enrôlés." L’idée, selon le responsable, est que servir dans l’unité est un moyen de les réhabiliter : "Cette unité est tout à fait unique. Nous les prenons et les transformons en soldats."
Ce fonctionnaire, ainsi qu’une autre source connaissant bien l’unité, ont déclaré que quelques douzaines de soldats servent dans Frontière du désert, la plupart d’entre eux provenant de soi-disant avant-postes de bergers de la zone nord du désert de Judée et de la vallée du Jourdain. Selon ces responsables, nombre d’entre eux ont des antécédents de violence. Il faut le relire pour le croire : l’armée enrôle de jeunes colons connus pour leur violence à l’égard des Palestiniens dans une unité qui agit contre les Palestiniens vivant dans la même région.
Selon les responsables de la sécurité, les jeunes colons des collines semblaient être le choix idéal pour ce travail : ils ont grandi dans des avant-postes, ont travaillé comme bergers depuis leur plus jeune âge et ont développé des compétences en matière de pistage et d’orientation sur le terrain. Selon les responsables de l’armée, il existe "un vide sécuritaire" dans le nord du désert de Judée, et le recrutement de ces colons est considéré comme un moyen approprié de le combler.
"Je ne croyais pas qu’ils étaient soldats"
Selon les Palestiniens, les soldats leur ont marché dessus alors qu’ils étaient menottés, les ont frappés sans justification, les ont forcés à s’allonger dans des positions humiliantes et douloureuses, leur ont donné des coups de pied, ont consulté des photos privées sur leurs téléphones portables et ont volé leur argent, leurs vestes et leurs vêtements bédouins traditionnels.
À deux reprises au moins, les victimes ont porté plainte auprès de la police contre les soldats de l’unité, mais la plupart d’entre elles se sont abstenues de le faire par peur de la vengeance et de la perte de leur permis de travail, et parce qu’elles ne pensaient pas que leur plainte donnerait lieu à une enquête ou à une sanction. Pour des raisons similaires, la plupart des personnes interrogées dans le cadre de cet article ont demandé que leur nom ne soit pas publié.
Cinq témoignages recueillis au cours de l’enquête ont mis en évidence la même méthode : des Palestiniens ont été abandonnés au milieu du désert pendant des heures, sans téléphone et sans les clés de leur voiture, parfois menottés et les yeux bandés. Certaines des victimes, issues de la tribu des Rashaida, se sont vu expliquer qu’elles étaient punies pour avoir pénétré dans une réserve naturelle après la tombée de la nuit ou pour avoir pénétré dans une zone de tir militaire, alors que certaines de ces zones ont toujours été utilisées par les Bédouins pour faire paître leurs moutons et que la plupart d’entre elles ne sont plus utilisées activement par l’armée.
Les soldats de Frontière du désert s’entraînent avec ceux de l’unité Haredi Netzah Yehuda. Ils rejoignent ensuite le camp de l’unité, situé près de la mer Morte. Il y a environ un an, l’armée a décidé de transférer la majeure partie des opérations de l’unité du désert de Judée à la vallée du Jourdain. Cette décision a été prise après que les responsables militaires ont reçu de nombreuses plaintes concernant des incidents violents et des abus à l’encontre de Palestiniens, dont certaines ont été déposées par des citoyens israéliens qui ont entendu parler des incidents par des Palestiniens. Les Palestiniens vivant dans le désert affirment que les soldats de l’unité continuent de patrouiller dans la région, mais beaucoup moins qu’auparavant.
Les responsables militaires affirment que depuis qu’ils se sont concentrés sur la vallée du Jourdain, ils ont réussi à contrecarrer la contrebande d’armes à travers la frontière. Mais les Palestiniens qui vivent dans la région rapportent que les soldats accompagnent les jeunes colons des collines depuis les avant-postes de bergers situés à proximité, et chassent les Palestiniens de leurs pâturages. Selon les témoignages, dans au moins un cas, les soldats sont entrés dans un village palestinien de la vallée du Jourdain avec un jeune colon habillé en civil.
Les résidents palestiniens ont déclaré à +972 qu’ils avaient du mal à faire la distinction entre les colons et les soldats dans l’unité, car, selon eux, ce sont les mêmes personnes qui viennent dans la région, d’abord en tant que civils, puis en tant que soldats en uniforme. "Au début, je ne croyais pas qu’il s’agissait de soldats, je pensais qu’il s’agissait de colons déguisés en soldats" a déclaré Ayman Ghraib, un agriculteur de la vallée du Jourdain. "Parfois, ils viennent ici, à moitié soldats et à moitié civils. "
"Le désert est le seul endroit où nous pouvons respirer librement"
Le village bédouin de ’Arab al-Rashaida, dans le nord du désert de Judée, compte environ 5 000 habitants, dont la plupart travaillent comme bergers. Les membres les plus âgés de la tribu se souviennent de deux expériences d’expulsion : en 1948 d’un terrain situé près d’Ein Gedi et en 1984 d’un terrain situé près du village de Kisan et des colonies de Ma’aleh Amos et Ibei HaNahal, au sud-est de Bethléem.
"Nous ne pouvons pas facilement voyager en dehors de la Palestine ou aller à la mer, comme vous pouvez le faire" m’a dit l’un des habitants du village, père de trois enfants. "Le désert est notre seul lieu de repos sans aucun point de contrôle, le seul endroit où nous pouvons respirer librement." Mais les multiples attaques violentes perpétrées par Frontière du désert depuis sa création en 2020 ont contraint les habitants à réduire leur présence dans le désert ; certains d’entre eux en parlent comme d’une troisième expulsion.
Fin mars de cette année, la nuit précédant le début du Ramadan, Firas et un de ses bons amis sont allés allumer un feu de camp dans le désert, non loin du ruisseau Hatzatzon. C’est alors qu’ils sont arrivés : ce qu’il appelle "l’unité des jeeps ouvertes".
"Ils se sont approchés tranquillement, sans lumière : deux Jeep Rubicons sans portes avec huit soldats à l’intérieur. J’ai tout de suite su que c’était eux" raconte-t-il. Ils nous ont dit : "Que faites-vous ici ? Pourquoi êtes-vous venus ici ? L’un d’eux a donné un coup de pied dans le barbecue, jetant toute la viande sur le sol. Ils ont crié : ’Où est votre arme ?’ Je leur ai dit que nous n’avions pas d’arme, que nous étions juste là pour profiter d’être dehors. Ils nous ont forcés à nous agenouiller. Vous devez faire exactement ce qu’ils disent, sinon ils vous battent."
Firas a déclaré que les soldats avaient pris ses affaires et celles de son ami avant de les abandonner dans le désert. "Un soldat a pris mon téléphone pour s’assurer que je n’avais pas pris de photos d’eux, puis il l’a jeté par terre et l’a cassé" a déclaré Firas, en montrant l’écran brisé. "Il a également pris ma carte d’identité et mes clés de voiture et nous a dit que nous devions attendre qu’il revienne. Puis ils sont partis. Nous sommes restés comme ça, sans rien, pendant trois heures, jusqu’à ce qu’ils reviennent."
Environ un an plus tôt, au début de l’année 2022, des soldats de l’unité ont attaqué Firas au même endroit. Alors qu’il décrit ce qu’ils lui ont fait, son visage devient rouge d’embarras. "C’était un vendredi et beaucoup de gens étaient venus pour profiter de l’extérieur" raconte-t-il. "Ils se sont approchés de moi, ont fouillé ma voiture comme s’il y avait une bombe cachée, en criant. Puis ils m’ont dit de m’asseoir comme ça." Il s’est assis sur ses genoux, les mains derrière le dos, comme s’il était menotté.
"Chaque fois que je me courbais [à cause de l’épuisement], ils me frappaient, me donnant des coups de poing dans le corps. Plus tard, ils m’ont dit de faire cela." A ce moment là, Firas s’abaisse pour faire un push-up. "Ils m’ont dit de poser mes mains sur des rochers, et chaque fois que je n’arrivais pas à rester dans cette position, un soldat me donnait un coup de pied. Ils étaient huit, mais seuls deux d’entre eux m’ont battu." Les violences se sont poursuivies pendant deux heures, jusqu’à ce que les soldats partent.
Mohammed, 25 ans, a déclaré qu’il avait cessé de travailler dans la construction à cause des coups qu’il avait reçus de la part des soldats de l’unité. Bien qu’il ne connaisse pas la date exacte, l’agression s’est produite en 2022.
"Je suis allé dans le désert avec un ami et nous avons fait une randonnée. Nous voulions voir la mer Morte et faire un barbecue" se souvient-il. "Des soldats dans une jeep sans portières nous ont arrêtés et m’ont dit d’arrêter la voiture. Je n’ai pas voulu le faire, car la voiture montait une côte et je craignais qu’elle ne redémarre pas si je le faisais. L’un d’eux m’a donné un coup de poing dans le bras et m’a traîné dehors.
"Ils nous ont fait nous allonger, le visage dans la terre, et ils nous ont piétinés" a-t-il déclaré. "Ils nous ont dit que nous ne pouvions pas parler. Pendant tout ce temps, ils n’arrêtaient pas de crier : ’Silence !’ Ils ont confisqué nos téléphones, nous ont menotté les mains dans le dos et nous ont donné des coups de pieds chaque fois que nous disions quelque chose. Ils nous ont demandé : ’Pourquoi venez-vous ici ?’ Ils nous ont dit de ne pas revenir dans le désert. Finalement, j’ai fait semblant d’être malade, d’avoir une crise cardiaque, et j’ai commencé à tousser. Cela leur a fait peur et ils sont partis."
À l’hôpital, Mohammed a appris qu’il souffrait d’une hernie discale à la suite des coups reçus. Bien qu’il ait été contraint d’arrêter de travailler dans le secteur de la construction, il n’a pas porté plainte par crainte de représailles de la part des soldats. "Depuis que j’ai été battu, ma jambe ne fonctionne plus normalement. Parfois, quand je me lève, toute ma jambe s’endort, jusqu’au dos."
Mohammed a déclaré qu’il avait reconnu la voiture et qu’il savait qu’elle appartenait à l’unité Frontière du désert. Il a également reconnu les soldats, dont deux portaient des payot, les longs favoris portés par les hommes juifs pratiquants. "Il s’agissait de colons habillés en soldats" a-t-il déclaré.
"Leur objectif est de semer la terreur"
En février ou mars 2022, près de la vieille mosquée de Nabi Musa, au sud-est de Jéricho, des soldats de l’unité ont battu deux visiteurs bédouins, selon les victimes. "Quatre soldats se sont approchés de nous dans une Jeep Rubicon" a déclaré l’une d’entre elles. "Ils ont pris nos téléphones, nos cartes d’identité et nos clés de voiture. Ils nous ont crié dessus : ’Qu’est-ce que vous faites ici ?’ Nous n’avions aucun moyen de leur répondre. Ils nous ont forcés à nous taire. L’un d’entre eux a mis sa jambe sur mon cou. Ils ont commencé à nous battre, à nous donner des coups de poing dans les côtes, à nous frapper avec leurs armes."
"Nous étions dans un endroit normal" poursuit-il. "Un endroit où nous avions le droit d’être, et nous ne leur avons rien fait. Avant de partir, ils ont vidé nos bouteilles d’eau, si bien que nous n’avons pas pu rester dans le désert. Nous avons dû rentrer chez nous."
La première fois qu’Amr, père de cinq enfants et membre de la tribu des Rashaida, a vu les Jeep Rubicons sans porte, il faisait un barbecue dans le désert avec sa femme et ses enfants. Comme beaucoup d’autres Bédouins, il connaît l’unité sous le nom de "l’unité des jeeps ouvertes" ou "l’unité des colons", qu’il reconnaît à leurs voitures sans portières, aux visages familiers des soldats et au schéma distinct de leurs interactions violentes avec les Palestiniens.
"Depuis, les enfants ne veulent plus m’accompagner dans le désert" raconte Amr. "Le soldat a donné un coup de pied dans notre bouilloire, la renversant sans même se pencher. Amr raconte qu’il a essayé de prendre une photo, mais qu’un soldat lui a arraché son téléphone, l’a reformaté et a dit à sa famille de ne pas revenir dans le désert. Toutes les photos de l’appareil ont été effacées.
Sept témoins oculaires ont déclaré à +972 que les soldats de Frontière du désert les avaient empêchés de documenter leurs rencontres avec l’unité, confisquant leurs téléphones pour qu’ils ne puissent pas les photographier. Dans quelques cas, selon leurs témoignages, les soldats ont fouillé dans les photos privées des Palestiniens et les ont effacées de leurs appareils.
Un autre résident, membre de la tribu Rashaida, a déclaré que des soldats de l’unité avaient battu son père, un berger de 60 ans. Dans sa voiture, ils ont trouvé une shibriya, un poignard traditionnel incurvé que les bergers portent souvent sur eux.
"Mon père est diabétique" a déclaré le membre de la tribu. "Ils l’ont menotté avec des liens en plastique pendant deux heures. Chaque fois qu’il essayait de parler, ils lui donnaient des coups de pied et des coups de poing. Je me souviens des marques rouges sur ses mains. Il avait des bleus sur tout le corps. C’est toujours comme ça qu’ils sont les soldats des Rubicons. On ne peut pas parler quand ils sont là. Le soldat vous dit de vous taire. Et quand vous criez de douleur, ils vous disent que vous n’avez pas le droit de parler. Leur but est d’être menaçants. Il s’agit de nous terroriser, de nous faire peur pour que nous quittions le désert. Et les gens ont vraiment peur."
La deuxième fois qu’Amr a eu affaire aux soldats, en 2022, il pleuvait et il faisait une randonnée avec sept amis. "Cinq soldats sont sortis de la jeep et nous ont dit de descendre de nos voitures" se souvient-il. "Ils portaient des payots comme les colons. Ils ont pris tous nos téléphones et nous ont interdit de prendre des photos. Ils nous ont forcés à nous mettre à terre, et chaque fois que vous parlez, ils vous disent en arabe : ’Uskoot ! (Silence !)’. Si vous continuez à parler, ils vous frappent."
Un soldat m’a dit : "Vous devez nous donner votre manteau" a poursuivi Amr. "J’ai refusé. Deux d’entre eux m’ont tenu et m’ont arraché mon manteau. Ils l’ont volé. Ensuite, ils ont pris les mandils (foulards bédouins) de mes cinq amis et les ont utilisés pour se couvrir la tête. Ces soldats ont une vieille Subaru, et ils roulent dans le désert avec ces mandils, comme s’ils se faisaient passer pour des Palestiniens.
"Les gens ont si peur qu’ils ne se plaignent pas"
Voler les vêtements des Palestiniens et les abandonner dans le désert est une pratique courante de l’unité. Selon un témoignage, des soldats ont bandé les yeux d’un berger, l’ont fait monter de force dans leur jeep et l’ont déposé dans un endroit isolé du désert où il n’y avait pas de réseau cellulaire.
"Je ne savais pas quoi faire" a déclaré le berger. "J’ai marché dans la direction d’où venait la jeep, pensant qu’il y aurait peut-être quelqu’un. C’était terrifiant. Après deux heures de marche, j’ai trouvé un endroit où il y avait une réception cellulaire et j’ai appelé mon frère." Selon lui, les soldats conduisaient une "voiture Rubicon" dépourvue de portes. "Certains d’entre eux portaient des kippot et d’autres des keffiehs arabes, comme ceux de Yasser Arafat."
"Les gens ne veulent pas se plaindre parce qu’ils ont peur" a déclaré un autre résident agressé, l’un des rares à avoir déposé une plainte auprès de la police contre l’unité. Selon lui, les relations entre la tribu et l’armée étaient autrefois correctes. "J’ai dit à la police : ’Ce n’est pas la façon habituelle de faire de l’armée’. Je leur ai dit que les soldats avaient l’habitude de nous aider et nous de les aider. Cette unité est dans la région depuis deux ans, et depuis qu’elle est arrivée, tout a changé." Plusieurs autres habitants ont fait écho à cette affirmation selon laquelle les relations entre la tribu Rashaida et l’armée étaient agréables jusqu’à la formation de Frontière du désert.
Il a expliqué qu’il avait été attaqué en novembre 2021 et qu’il avait eu besoin d’un traitement médical après que deux soldats ont claqué la portière de sa voiture sur sa jambe à plusieurs reprises et l’ont roué de coups de pied. "Un soldat m’a dit de sortir de la voiture. J’ai demandé pourquoi, puis lui et un autre soldat ont commencé à me sortir de force et à me frapper, sans explication. Ce n’est que lorsque j’ai commencé à crier de douleur qu’ils m’ont laissé tranquille. J’ai été soigné dans un hôpital et je n’ai pas pu marcher pendant trois jours."
Raoud, un jeune homme, a raconté un cas de vol et de violence survenu il y a un an. "Le soir, je suis sorti fumer le narguilé avec deux amis de Jérusalem, à côté de l’ancienne base militaire de Hatzatzon" se souvient-il. "Des soldats de l’unité se sont approchés de nous dans des jeeps ouvertes sans lumière. J’ai été surpris de les voir nous entourer. Environ 12 personnes. Ils ont pris nos téléphones, nous ont menotté les mains dans le dos, nous ont forcés à nous allonger et nous ont dit que nous n’avions pas le droit de parler."
"Vous essayez de demander qui ils sont, s’ils sont même des soldats, et ils vous disent de vous taire" a poursuivi M. Raoud. Selon lui, les soldats sont arrivés vers 20 heures et les ont gardés menottés jusqu’à 2 heures du matin.
"J’avais une veste verte et un chapeau de type fez, le genre bédouin. Ils me les ont enlevés et m’ont volé mes vêtements" a-t-il déclaré. "Ils prennent beaucoup de manteaux, s’ils sont verts ou s’ils ressemblent à des vestes de l’armée. J’ai eu froid toute la nuit sans mon manteau. Mes deux amis qui étaient avec moi, originaires de Jérusalem, ont été emmenés à la base militaire où ils ont été relâchés. Ils m’ont détaché là où j’étais et m’ont dit de rentrer à pied dans mon village."
Escortes de colons dans des villages palestiniens
Selon les habitants, le pire est l’humiliation et le sentiment d’impuissance. Jalawi, le citoyen israélien de Rahat qui a déclaré avoir été attaqué et dont l’affaire a été classée sans qu’aucune charge ne soit retenue contre les soldats auteurs de l’agression, a déclaré à +972 qu’il ne s’est pas remis de l’incident. Bien que certains membres de sa famille servent dans les forces de sécurité israéliennes, chaque fois qu’il voit des soldats, son cœur se met à battre la chamade de peur.
"Ils m’ont dit de me mettre à genoux. Il y avait tellement de gravier" raconte Jalawi. "Ils nous ont ordonné de rester assis comme ça pendant longtemps, et chaque fois que je tombais, ils me battaient. Finalement, l’un d’entre eux m’a dit de me lever, mais quand je l’ai fait, je ne pouvais pas me tenir sur mes jambes."
"Le soldat m’a fait asseoir à un autre endroit, a soulevé et abaissé ma tête avec sa chaussure et m’a aveuglé avec sa lampe de poche" a poursuivi M. Jalawi. "Il m’a dit : ’Pourquoi faites-vous venir des gens des territoires [occupés] ? Tout le désert est à moi, ne venez plus ici.’"
Jalawi raconte que les soldats l’ont laissé là, en sang et menotté, et qu’ils sont partis dans leurs voitures sans portières. "J’avais peur de bouger. L’obscurité, les menaces, les armes. J’ai attendu que quelqu’un vienne me libérer" a-t-il déclaré. "Ils ont volé dans ma voiture 1 000 shekels que j’avais apportés pour acheter un cadeau à ma jeune fille, qui vient de commencer son service national.
Après que Jalawi a déposé sa plainte, la division des enquêtes criminelles de la police militaire a ouvert une enquête, et il a été invité à témoigner et à confronter les soldats de l’unité qui étaient présents lors de l’événement. Pendant un an et demi, aucune décision n’a été prise sur l’affaire, mais après que +972 a fait une demande à l’armée, Jalawi a été informé par le bureau du procureur qu’ils classaient l’affaire. "Les soldats ont nié vous avoir battu, menacé ou pris de l’argent dans votre voiture" a écrit le major Segev Rom, du bureau du procureur militaire, dans sa décision.
Dans deux cas, des soldats de Frontière du désert ont été photographiés en train d’accompagner de jeunes colons des collines qui n’appartenaient pas à l’unité. Selon des témoins oculaires, en janvier de cette année, ils sont entrés dans le village palestinien d’Al-Muarajat, dans la vallée du Jourdain, en compagnie d’un habitant de l’avant-poste qui n’était pas un soldat. Sur des documents photographiques datant d’un autre jour, on peut voir des soldats préparer du thé avec le même habitant, qui était armé d’un M16.
"Ils avaient une Jeep Rubicon sans portes et un colon les attendait. Je le reconnais parce qu’il a chassé mon père de son propre pâturage" a déclaré Aliyah, une habitante du village. "Ils ont frappé à notre porte et nous ont demandé nos papiers d’identité. Je n’ai pas cru qu’il s’agissait de soldats. Quand je leur ai dit que j’allais appeler la police, ils sont partis."
Les soldats ont empêché Aliyah de les photographier, mais elle a pu prendre une courte vidéo et noter sur son téléphone le numéro de la plaque d’immatriculation de la jeep militaire sans portière qui était entrée dans le village. +972 a confirmé que le numéro de la plaque d’immatriculation de la jeep correspondait à celui de l’unité Frontière du désert.
"Celui qui contrôle le désert contrôle toute la région"
Dans les années 2000, l’armée israélienne disposait d’une autre unité appelée "Frontière du désert" dont le mandat était similaire : elle circulait dans les zones de tir militaires en tant que force de police, principalement pour contrecarrer la contrebande d’armes. Cette unité a été fermée en avril 2007 sur ordre du chef du commandement central de l’armée, après que des soldats aient abattu sans justification un Palestinien de 30 ans, Aziz Hamed Matour, alors qu’il traversait une zone de tir située à proximité de la base militaire de Nabi Musa, sur le chemin qui le menait de Bethléem à Jéricho.
Le rétablissement de Frontière du désert en tant qu’unité de jeunes colons du sommet des collines peut être considéré dans le contexte de la poursuite par la droite israélienne de la meshilut (littéralement "gouvernance", un euphémisme pour la domination juive-israélienne) dans le désert de Judée en particulier et en Cisjordanie en général, dans le cadre de ses efforts pour renforcer la présence des colons dans la zone C et pour bloquer l’accès des Palestiniens à leurs terres.
Moshe Kublantz, 30 ans, habitant de la colonie d’Efrat, se promenait à vélo dans le désert lorsqu’il était adolescent et en est tombé amoureux. Adulte, il a fondé l’"Organisation du désert de Judée", dont la mission est de "garantir le développement et la préservation du caractère israélien du désert pour les générations à venir."
Kublantz connaît bien les actions de Frontière du désert et il a déclaré à +972 qu’il avait entendu parler d’incidents violents contre des Bédouins de la tribu Rashaida. Selon lui, il s’agissait "d’incidents extrêmes, dans lesquels des soldats seuls ont eu un coup de sang et ont peut-être outrepassé leur autorité."
Pourtant, selon lui, l’unité Frontière du désert joue un rôle très important dans le maintien de l’ordre dans le nord du désert de Judée. "La création de l’unité est nécessaire pour la meshilut et la protection des zones de tir" explique M. Kublantz. "Une armée qui ne met pas d’unité dans le désert est une armée qui a échoué. Celui qui contrôle le désert contrôle toute la région."
"Ici, l’armée a procédé à un test" a poursuivi M. Kublantz. "Des personnes très spécifiques sont venues dans une zone très spécifique. Aucune autre unité ne peut faire ce qu’ils font. Ce sont des gens qui ont grandi dans le désert, qui ont grandi dans des fermes, qui connaissent la région. Ils sont liés au désert. Ils ne sont pas importés de loin. Mais cela n’est pas sans conséquences."
Renforcer la présence juive
Le rétablissement de Frontière du désert est également lié aux efforts déployés de longue date par Israël pour créer une présence juive dans la partie orientale de la Cisjordanie. Le "plan Allon", soumis au gouvernement un mois et demi après le début de l’occupation de 1967, désignait pour être annexé par Israël, la partie orientale de la Cisjordanie - le nord du désert de Judée et la vallée du Jourdain, où Frontière du désert opère depuis deux ans et demi.
Cinq ans plus tard, en 1972, la majeure partie de la bande orientale de la Cisjordanie - 713 000 précieux dunams de terres s’étendant de la vallée de l’Uja au nord à la région de Yatta à la frontière sud - a été déclarée zone de tir. En 1979, le ministre de l’agriculture de l’époque, Ariel Sharon, a expliqué que les zones de tir n’avaient pas été déclarées à des fins d’entraînement, mais pour "préserver la terre en vue d’une implantation [juive]." Ces terres ont été et continuent d’être utilisées par les Palestiniens pour l’habitation et l’élevage.
Les documents obtenus par +972 auprès des archives des FDI montrent que, dès les années 1970, les soldats déplaçaient les Bédouins habitant dans des zones de tir. Un document militaire de 1978, par exemple, intitulé "Opération expulsion bédouine" décrit les actions d’une brigade de l’armée du sous-district de Bethléem qui a expulsé des bédouins de la zone de tir dans le nord du désert de Judée "par hélicoptère".
Dror Etkes, chercheur de terrain de l’ONG Kerem Navot, explique que la déclaration en zone de tir ou en réserve naturelle donne aux autorités israéliennes, en particulier à l’armée, une base juridique pour déposséder les Palestiniens de leurs terres. Cette pratique est fréquente et a pour but de réduire la superficie des terres que les Palestiniens peuvent utiliser pour faire paître leurs moutons, de les expulser de la région et de permettre la construction de grandes colonies juives.
Dans la région où Frontière du désert opère, des dizaines d’avant-postes de bergers israéliens ont été établis au cours de la dernière décennie, sans permis de construire. En fait, la plupart des 70 "avant-postes de bergers" de Cisjordanie ont été créés au cours de la dernière décennie et dans cette région. Un rapport rédigé par Etkes montre qu’un tiers de la zone sur laquelle ces fermes sont construites se trouve à l’intérieur des zones de tir.
En outre, Israël trace de nouveaux sentiers de randonnée dans ces régions ; la Cour suprême a ordonné l’expulsion d’environ 1 000 habitants de Masafer Yatta, qui vivent à la limite sud de la zone de tir 918 ; la réserve naturelle de Metzuk HaAtakim a doublé de taille ; et le ministère du tourisme propose un plan pour la construction de sept auberges dans le désert de Judée. Selon Aryeh Cohen, chef du conseil régional de Megilot - qui comprend les colonies situées au nord de la mer Morte - et militant du parti Yesh Atid de Yair Lapid, les auberges sont destinées à attirer les touristes dans la région afin de "renforcer notre présence dans le désert et d’empêcher le contrôle palestinien sur ces terres d’une importance stratégique."
Etkes suit l’évolution de la situation en Cisjordanie depuis deux décennies, mais ce qu’il a vu lorsqu’il a rencontré les soldats de Frontière du désert l’a surpris lui-même. Sur les photos d’Etkes, on peut voir trois jeunes colons habillés de façon négligée assis sur le toit d’une voiture déglinguée sur le bord de la route, fumant une cigarette, et trois soldats de Frontière du désert vêtus d’uniformes militaires se tenant à côté d’eux.
"Cette unité brouille délibérément la frontière déjà floue entre les civils et les soldats en Cisjordanie" a déclaré M. Etkes. "Les Palestiniens ne sont plus en mesure de les distinguer. Toute personne qu’ils rencontrent, dans n’importe quelle situation, peut représenter une menace."
Dans une déclaration à +972, le porte-parole des FDI a souligné que Frontière du désert fait définitivement partie de l’armée, est soumise à la supervision et aux lois régissant l’armée, et qu’elle est appelée à se développer à l’avenir et à se diversifier. "La plupart des incidents mentionnés, à l’exception du cas de Jalawi, ne sont pas connus des FDI", précise le communiqué. "Lorsque des plaintes seront déposées, elles seront examinées de manière appropriée."
"L’unité Frontière du désert est une unité de combat dotée de capacités spéciales qui offrent une réponse opérationnelle aux défis qui se posent dans la vallée du Jourdain, et elle a obtenu de nombreuses réalisations et succès opérationnels" poursuit le communiqué. "L’unité a été créée il y a environ trois ans et n’a cessé de se développer, d’apprendre et de s’améliorer depuis."
Traduction : AFPS