La routine d’une mémoire sélective qui ne parvient à se fixer avec acuité que sur la chute des roquettes Qassam et se révèle parfaitement incapable de rappeler que ces tirs de roquettes ont bien trop souvent été précédés d’assassinats. Cette fois, ç’a été quelques assassinats à Tulkarem, vite faits. (Bien sûr le colonel Roni Numa, commandant du régiment Nahal, annonce avec une parfaite assurance que tous ceux qui ont été tués étaient des terroristes - mais l’expérience passée justifie qu’on soit quelque peu sceptique devant pareilles annonces). La mémoire qui retourne à sa routine ne s’arrête pas à de telles futilités.
Nous sommes même revenus à la routine de la voix télévisée du Ministre de la Défense Mofaz, homme peu loquace les jours sans violence, mais célébrant le retour de la routine des menaces brutales, des promesses de grabuge, la routine des déclarations musclées et autres exubérantes et mâles manifestations dont il est si friand.
Nous sommes également revenus à la routine des « représailles obliques » auxquelles nous nous étions si bien habitués durant les années de l’Intifada : c’est le Hamas qui tire et le Jihad qui tue, mais la routine exige que l’essentiel des représailles vise le Fatah. Ou la police de l’Autorité Palestinienne. Ou simplement l’Autorité Palestinienne elle-même. Ou encore la tête de l’Autorité Palestinienne. Car après tout, le sens de la routine est de préserver la routine du « il n’y a pas de partenaire » ou la routine du « dirigeant palestinien faible qui veut peut-être mais ne peut rien ». Parce que c’est le seul moyen de préserver également la routine de ne rien faire de positif, et la routine de l’occupation, et la routine d’un paisible nettoyage ethnique ici et là.
Et il y a la routine des « blocs de colonies », spécieuse rengaine assurée de couper court à tout réel effort de dialogue. Ces blocs ou ces taches aux allures d’amibes, dont les limites n’ont jamais été tracées ni définies par personne (pourquoi l’aurait-on fait ?), sont le meilleur instrument de l’aspect le plus important de la routine : permettre à un premier ministre agressif et accapareur de terre de parler de « concession douloureuse ». (« Oh oui, je veux juste garder quelques blocs de colonies ici et là, pas plus. Est-ce vraiment trop demander ? Juste un bloc ou deux ou trois ? »)
Oui, nous voilà revenus à la routine. Juste une semaine routinière de plus : Mofaz bombarde, Diskin [chef de la Sécurité Générale (Shabak) NdT] liquide, Sharon construit, le monde applaudit et les gogos croient tout ce qu’on leur dit. Oh ! Quelle merveilleuse routine !
Une nostalgie électrique
Sharon n’est pas le premier chef de gouvernement à fêter l’achèvement d’un retrait « unilatéral » en envoyant des bombardiers dans le ciel du voisin. Comme en bien d’autres matières, il a été devancé par Ehoud Barak. Peu après le retrait du Liban en mai 2000, Barak a envoyé la force aérienne bombarder Beyrouth. Les centrales électriques de la capitale libanaise furent touchées et la ville plongée dans l’obscurité - exactement comme Gaza cette semaine.
Tout juste à cette époque, j’avais eu l’occasion de participer, avec tout un groupe de journalistes israéliens, à une manifestation internationale à laquelle participaient, entre autres, des journalistes libanais. Beaucoup de ces collègues libanais étaient familiers de ces manifestations et une sorte d’amitié, hésitante, s’était amorcée.
(J’aimerais insister sur le fait qu’il ne s’agissait en rien d’une manifestation de type politique et qu’il ne faisait pas partie de ses buts déclarés de réunir des Israéliens et des Libanais. Elle était entièrement vouée aux derniers développements de l’industrie automobile et les invitations avaient été étendues à des journalistes du monde entier spécialisés dans ce secteur - secteur pour lequel j’éprouve personnellement, dans une existence parallèle n’ayant rien à voir avec celle que je passe à pister le politique, un très grand enthousiasme.)
C’était, il faut le rappeler, un temps d’euphorie pour la Gauche. Un nouveau premier ministre disait ce qu’il fallait dire, tranchant dans une réalité déprimante avec une logique incisive et promettant d’arranger les choses en un week-end. En vertu de quoi, il venait de sortir Israël du vieux bourbier libanais. Bien des gens de gauche crédules (et, à ma durable honte, j’en étais) mangeaient ces nouilles avec un grand appétit.
Une de mes collègues israéliennes, personne tout à fait de gauche, était particulièrement euphorique. Lorsque nous avons rencontré nos amis de la délégation libanaise, elle s’est ruée ventre à terre pour partager avec eux ses sentiments sur la nouvelle aube pointant au Proche-Orient.
« Nous avons un nouveau premier ministre, nous avons un nouvel espoir », s’est-elle exclamée, triomphante.
« Et nous n’avons pas d’électricité », a répondu l’un d’eux, un peu sèchement.