le 12 septembre 2011, au Palais du Luxembourg
Cette rencontre était dictée par la nécessité de rendre compte, même de façon tardive, de la dernière session tenue par le Tribunal Russell sur la Palestine (TRP) à Londres en novembre 2010, qui avait pour objet d’examiner les complicités des entreprises multinationales dans la poursuite de l’occupation de la Palestine par l’Etat d’Israël. Elle était d’autant plus nécessaire qu’un boycott organisé, avait été mis en œuvre, intimant le silence à la majorité des médias.
C’est à l’invitation de Monique Cerisier Ben Guiga, sénatrice et présidente du groupe d’information internationale France-Territoire palestinien du Sénat que cette restitution a pu se tenir dans l’enceinte prestigieuse du Palais du Luxembourg (à l’image des lieux qui ont accueilli les séances du Tribunal à Barcelone et à Londres) le 12 septembre 2011.
La réunion était animée par Brahim Senouci, membre du comité organisateur international du TRP. Ont pris la parole tour à tour Monique Cerisier Ben Guiga, Pierre Galand, membre du Comité organisateur, et sénateur honoraire belge, William Bourdon, avocat au Barreau de Paris et ayant fait partie du collège des experts à la session de Londres et Bernard Ravenel, président d’honneur de l’AFPS et président de la Plateforme pour la Palestine.
Après la projection d’un court métrage présentant des moments clés de la séance de Londres du Tribunal Russell sur la Palestine, Monique Cerisier Ben Guiga a prononcé une allocution de bienvenue. Elle a insisté sur la modification extraordinaire de l’opinion publique, notamment française (un sondage récent montre que 82 % des Français pensent que le peuple Palestiniens a droit à un Etat, et que 69 % veulent que la France vote dès maintenant pour l’entrée de la Palestine à l’ONU), derrière laquelle elle reconnaît l’action de toutes les associations qui luttent depuis des dizaines d’années, modification qui constitue le moteur de l’action des politiques et peut leur permettre de se faire entendre. 75 sénateurs socialistes (ainsi que le groupe communiste) ont donc pu proposer une résolution parlementaire favorable à la reconnaissance de l’Etat Palestinien. Elle précisera que cette résolution n’a pu être portée à l’ordre du jour d’une séance à raison de la ferme pression exercée par le Ministère des Affaires Etrangères sur la majorité UMP pour empêcher ceux qui étaient tentés de le faire d’y adhérer.
Pierre Galand (« le Tribunal Russel de Londres à Cap Town ») a fait une présentation exhaustive et de l’historique de la gestation du TRP et de son développement ultérieur. Il a rappelé les conditions de la tenue de la première session de Barcelone (mars 2010) qui portait sur la responsabilité de l’Union européenne et de ses Etats Membres dans la poursuite de l’occupation des Territoires palestiniens, session dont les conclusions ont évidemment été portées à la connaissance de toutes les parties intéressées. Celles-ci n’ont pas réagi : les Etats sont des « poissons froids », nous a-t-il dit… Les entreprises le sont moins, même les transnationales, parce que soucieuses de leur réputation. Ainsi, certaines des entreprises concernées par les débats de la session de Londres portant sur les complicités des entreprises multinationales de ce chef ont réagi, en se justifiant d’abord mais aussi en procédant au retrait de leurs investissements ou en promettant de le faire… Il a ensuite présenté la prochaine session du Tribunal, prévue pour le mois de novembre prochain, en Afrique du Sud afin d’examiner si oui ou non le crime d’apartheid, tel qu’il est prévu par la Convention de l’ONU sur l’élimination et la répression du crime d’apartheid, est applicable à Israël et surtout aussi de d’étudier quelles en sont les conséquences.
Cela, avant la session finale, prévue à New York, qui aura pour objet d’examiner la responsabilité des Etats-Unis et celle des Nations Unies dans cette question. Finalement, le Jury se réunira pour faire la synthèse de l’ensemble de ces sessions et en tirer les conclusions.
Celles-ci constitueront la contribution des opinions publiques internationales à la solution d’une situation tout à fait injuste à l’égard d’un peuple afin de tenter de forcer le cours de l’Histoire.
Pierre Galand a terminé sa présentation par un aperçu des budgets très élevés de chaque session et par un appel à contribution financière.
William Bourdon (« l’arrière plan juridique de la session de Londres ») a d’abord mis en exergue le paradoxe existant entre l’indignation qui croît dans le monde face aux crimes de guerre qui se commettent dans les Territoires occupés et la difficulté non moins croissante à les faire sanctionner malgré la richesse du Droit international. On constate partout, notamment aux Etats Unis et en France (loi du 9 août 2010 qui tout à la fois intègre dans notre Droit interne les crimes de guerre mais confie le monopole de leurs poursuites au seul Ministère Public) un recul certain de la compétence universelle qui empêche de pouvoir judiciariser facilement les entreprises multinationales lorsqu’elles se commettent contractuellement au soutien de la pérennisation de l’œuvre de colonisation.
La complicité n’est pas aisée à établir, a-t-il poursuivi, car il y a lieu de se demander si, s’agissant de la commission d’un crime défini par le Droit international, l’élément moral requis ne doit pas être un élément moral supérieur c’est-à-dire non seulement l’aide et l’assistance au crime en connaissance de cause mais encore l’intention, moralement, idéologiquement, de participer à la commission du crime de guerre.
Dans ces conditions, il a donné un coup de chapeau au « travail remarquable » effectué par le Tribunal de Grande Instance de Nanterre, bien qu’il ait débouté, par jugement du 30 mai 2011 l’AFPS et l’OLP de leur action contre les sociétés Alstom et Véolia tendant à l’annulation des contrats (comme contraires à l’ordre public) qu’elles ont conclus pour la construction du tramway de Jérusalem, considérant qu’il fallait vraiment beaucoup d’audace pour pouvoir accueillir cette action.
Reste le « droit mou » à savoir les engagements moraux divers pris par les sociétés considérées, dans des chartes éthiques ou autres qu’elles devraient, un jour, être contraintes de respecter…et qui restent à la disposition des associations pour fonder des actions à leur encontre.
Bernard Ravenel (« l’inscription de l’action du Tribunal Russel dans l’actualité ») a d’abord souligné que la demande d’inscription de la reconnaissance de l’Etat de Palestine à l’ordre du jour de l’ONU constitue un moment politique historique dans lequel se situe la prochaine session du tribunal. Il s’agit là, en effet, d’une défaite symbolique d’Israël dans un monde qui change sur le plan des rapports de force géopolitiques et de l’affaiblissement des Etats-Unis. Et ce, alors qu’Israël renforce toujours le processus de colonisation et de dépossession de la terre avec pour but ultime l’expulsion de la majorité des Palestiniens et pour cela, s’oppose à l’établissement d’un Etat qui soit un instrument juridique palestinien l’empêchant de parvenir à ses fins.
Mais cette politique israélienne se trouve confrontée à un nouveau contexte international où se pose avec une forte actualité le droit à l’autodétermination du peuple tel que fixé par le droit international, tel qu’il est revendiqué par les Palestiniens à travers la demande à l’ONU
Et c’est dans ce contexte là qu’il faut s’interroger, à partir du Droit, sur la commission du crime d’apartheid par le gouvernement israélien, question pas totalement réglée. D’une part, parce qu’on est amené à la fois à s’interroger sur son applicabilité au cas palestinien à partir du modèle sud africain, s’interroger sur le fait que l’apartheid est un système de domination institutionnel d’une population sur une autre et que l’on se trouve, ici, devant deux nations distinctes avec des aspirations nationales contradictoires et d’autre part distinguer les différents statuts des Palestiniens selon leur situation (en Israël, en Palestine occupée ou à l’étranger). Ce sera un des objectifs du Tribunal d’examiner l’apartheid au regard du droit de l’occupation et d’articuler l’un par rapport à l’autre dans l’objectif de construction de l’Etat palestinien.
Une dimension du TRP doit être rappelée ici : il a notamment pour objet de combler des lacunes du droit international face à certaines réalités historiques qui n’ont pas de précédent et à stimuler ainsi des droits nouveaux, des droits en devenir pour les peuples qui seraient opprimés et cela, en des termes nouveaux.
Brahim SENOUCI
Ayant déjà rappelé que l’espèce de climat de terreur que faisait régner le gouvernement israélien sur les gouvernements occidentaux, sur le reste du monde semble s’effriter quelque peu et ce qui se passe dans le monde arabe, les révolutions qui montent et qui font que peut-être on est en train d’assister aux prémisses d’un monde nouveau, il a relevé que la rencontre symbolique entre l’apartheid palestinien et l’apartheid d’Afrique du Sud, la session se déroulant au Cap, avait bien sûr été voulue parce qu’elle parle à l’imaginaire collectif de la population mondiale. Mais, qu’au-delà du symbole, le point fondamental est que la base sur laquelle le jury aura à se prononcer au Cap, sera la convention de l’ONU condamnant le crime d’apartheid, ainsi que les conséquences de ce crime s’il se trouve caractérisé. Du fait de cette convention le crime d’apartheid n’est plus propre à l’Afrique du Sud : c’est un crime à caractère universel, c’est un crime contre l’Humanité. Il a ajouté que, si la reconnaissance éventuelle du crime d’apartheid par le jury du TRP, en elle-même, serait un élément important, l’étude des conséquences de ce crime, telles que souhaitées par les promoteurs du TRP, constituerait une avancée significative et contribuerait à éclairer l’opinion internationale sur les buts réels que poursuit le gouvernement israélien.
Le temps imparti pour cette réunion étant limité, le débat a été assez court. Il a tout de même mis en évidence le black out dont fait l’objet le Tribunal dans des médias qui l’ignorent délibérément, avec l’espoir d’une meilleure couverture lors de la prochaine session, ne serait-ce que grâce à la présence de Mgr Desmond Tutu, et aussi à l’engagement du Comité d’Organisation dans une politique de communication ambitieuse.
Pierre Galand a rappelé la prise de position du Ministre français des Affaires Etrangères, qui, lors de la première réunion des ministres européens sur la question de la reconnaissance de l’Etat palestinien, a plaidé pour la non reconnaissance de cet Etat et demandé que l’Europe se prononce ainsi d’une seule voix ; il a conclu par l’annonce de deux bonnes nouvelles : un drapeau palestinien de 150 m2 flotte à Bruxelles, face au bâtiment qui abrite le Conseil des ministres européens annonçant que 917 000 européens ont signé une pétition pour la reconnaissance de l’Etat de Palestine ; l’autre bonne nouvelle est qu’une série d’Assemblées Nationales en Europe se sont prononcées en faveur de l’Etat palestinien à une majorité qualifiée, allant au-delà de la position affichée par des gouvernements frileux.
NB : Pour ceux qui désirent une plus ample information, Ils retrouveront en annexe l’intégralité des interventions.