29 octobre :
En route vers Chatila
À partir du 4 novembre prochain, je serai à Chatila, un camp de réfugiés palestiniens au sud-ouest de Beyrouth, au Liban, pour y réaliser un webdocumentaire. Je serai accompagné par ma collègue de CBC Nahlah Ayed et par le journaliste-réalisateur de Radio-Canada Danny Braün.
Je vous donne donc rendez-vous régulièrement sur ce blogue pour vous rapporter des fragments de vie à Chatila, un camp chargé de symbolique et dont l’évocation rappelle le massacre de Sabra et Chatila en 1982. Des centaines de réfugiés avaient été alors tués par des phalangistes libanais appuyés, selon les Palestiniens, par l’armée israélienne qui avait envahi le Liban. L’ancien premier ministre israélien Ariel Sharon, qui était ministre de la Défense à l’époque, est accusé d’avoir une « responsabilité personnelle » dans cette boucherie.
Pendant plus de deux semaines, je partagerai le quotidien des réfugiés palestiniens, les plus anciens au monde. Ils sont au Liban, pour la plupart, depuis 1948-1949, juste après la naissance de l’État d’Israël et la première guerre arabo-israélienne qui s’est soldée par une défaite historique des pays arabes (la nakba, la catastrophe en arabe).
Ces réfugiés ont quitté leurs villes et villages pour fuir la guerre, mais dans l’espoir d’y retourner un jour. Plus de 60 ans plus tard, cet espoir est jalousement entretenu, légué tel un précieux héritage de génération en génération, mais le retour en terre palestinienne n’a jamais eu lieu. C’est d’ailleurs sur cette question qu’achoppent souvent les pourparlers israélo-palestiniens. Israël s’oppose farouchement au retour de quelque 4 millions de Palestiniens (éparpillés en Jordanie, en Syrie, en Égypte et au Liban), craignant un déséquilibre démographique dans la région.
Il existe 12 camps de réfugiés palestiniens au Liban. Certains plus grands que d’autres, mais ils ont tous comme dénominateurs communs : la forte densité de la population, l’accès limité à l’éducation et aux soins de santé, le taux élevé de chômage et de pauvreté, le manque d’eau potable, la défaillance ou l’inexistence de système d’assainissement des eaux usées, les constructions sommaires et fragiles, la promiscuité, etc.
Ce n’est pas tout. Les réfugiés de Chatila, comme ceux d’ailleurs au Liban, n’ont pas droit à la propriété et aux services publics libanais. Ils sont privés des droits civiques et ne sont pas autorisés à exercer plusieurs professions, dont celles liées aux domaines médical et juridique. Même ceux qui sont hautement scolarisés se résignent à faire des petits boulots ou à s’exiler, quand ils en ont la chance et les moyens.
Le Parlement libanais a adopté, en août dernier, une loi accordant des droits civiques de base aux réfugiés palestiniens, mais la mesure est jugée insuffisante par des organisations de défense des droits de la personne. La naturalisation de ces réfugiés au Liban, un pays à l’équilibre confessionnel fragile, est une question délicate. Ces Palestiniens sont en effet, en grande majorité, des musulmans sunnites.
Avant de m’envoler pour Chatila, j’ai parlé à des Palestiniens qui ont déjà vécu dans des camps de réfugiés au Liban et qui sont établis maintenant au Canada. Parmi eux, Rami Darwich, 27 ans. Né à Abou Dhabi, aux Émirats arabes unis, il a vécu au camp d’Aïn El-Héloué, l’un des plus grands, près de la ville de Saïda. Il est arrivé en 2003, seul, au Canada, et vit actuellement à Ottawa. Il prépare une maîtrise en biochimie et rêve de rentrer en Palestine pour aider les siens. [1].
31 octobre :
Le provisoire dure depuis… 60 ans
Quand l’ONU avait mis en place, en 1949, l’Agence de secours et de travaux pour les réfugiés de la Palestine (l’UNRWA), elle ne pensait certainement pas que cet organisme allait se pérenniser. Elle réagissait à une situation d’urgence. La guerre israélo-arabe de 1948 faisait rage et il fallait à tout prix mettre en lieux sûrs des milliers de réfugiés palestiniens fuyant leurs terres et leurs maisons.
60 ans plus tard, l’UNRWA en est toujours à gérer des camps de réfugiés palestiniens - 59 au total - au Liban, en Jordanie, en Syrie et dans les territoires palestiniens (dans la bande de Gaza et en Cisjordanie).
L’organisme onusien fournit à plus de 4 millions de réfugiés nourriture, eau, soins de santé et éducation. Plus de 420 000 Palestiniens vivent au pays du Cèdre, dont la moitié installée dans 12 camps disséminés à travers le pays.
L’UNRWA peine toutefois à répondre aux besoins de plus en plus grandissants dans les camps, où le chômage côtoie l’insécurité alimentaire, l’insalubrité, la forte densité démographique et le manque d’infrastructures de base.
L’office, qui fonctionne essentiellement grâce aux dons de gouvernements et de différentes organisations humanitaires, souffre en effet d’un manque de financement chronique. La dernière crise économique mondiale l’a fragilisé davantage, tandis que le nombre de réfugiés augmente et que leurs conditions socio-économiques se détériorent.
Les pays arabes se révèlent les moins généreux donateurs, en dépit de la solidarité qu’ils expriment envers les Palestiniens. Pour sa part, le Canada a annoncé en janvier 2010 l’arrêt de sa contribution financière directe à l’agence onusienne, préférant cibler des projets spécifiques.
Doté d’un mandat humanitaire, l’UNRWA n’est pas cependant à l’abri des critiques. Les Israéliens lui reprochent notamment d’avoir des accointances avec les militants du Hamas. Des locaux de l’UNRWA à Gaza, soupçonnés d’abriter des militants palestiniens, ont été la cible de l’armée israélienne lors de l’offensive de 2009.
Devant les innombrables attentes des réfugiés, l’UNRWA tente, à la mesure de ses moyens, de répondre aux besoins les plus urgents. J’ai joint au téléphone Hoda Samra Souaiby, qui est chargée de l’information au bureau de l’UNRWA au Liban. Dans cette entrevue, elle nous parle des actions que mène son organisme dans les camps de réfugiés, mais aussi de ses difficultés financières et des défis auxquels il fait face. [2]