Quand Aref Jaber a voulu vérifier des informations selon lesquelles un groupe d’Israéliens envisageaient de construire un avant-poste sur ses terres près de la colonie de Kiryat Arba à Hébron, il n’imaginait pas une seconde la violence qu’il allait déclencher.
Le chauffeur de taxi de 45 ans a été obligé d’abandonner sa voiture après avoir été attaqué par une bande de sept colons.
Le temps qu’il revienne, ces hommes avaient caillassé le véhicule – qui était aussi son instrument de travail – et éclaté les fenêtres à coups de pierres.
« Deux soldats israéliens étaient là, à regarder, sans rien faire pour les arrêter », se souvient Jaber.
Cette attaque a eu lieu début janvier.
Depuis, les choses ne font qu’empirer. Une semaine plus tard, des colons ont bloqué la route d’accès au terrain de 25 000 m2 de Jaber avant de déraciner une centaine de ses oliviers.
Selon lui, c’était la troisième fois que des colons s’attaquaient à ses terres. La quatrième est survenue le 10 février, au cours d’une opposition entre un groupe d’activistes israéliens et un groupe de Palestiniens, séparés par des soldats israéliens qui ont déclaré le terrain zone militaire fermée.
Ce qui signifie que ni les colons, ni Jaber ne peuvent y pénétrer. Ce qui signifie surtout que Jaber a perdu ses terres à cause de la violence des colons.
Aref Jaber n’est qu’un parmi des dizaines de Palestiniens à être visés – directement ou indirectement – par cette flambée d’attaques qui dure depuis un mois en Cisjordanie occupée, y compris à Jérusalem-Est.
Certains accrochages ont été fatals.
Le 10 février, Azzam Amera a été tué après avoir été frappé par des colons dans sa voiture près de Salfit. Israël a dit qu’une enquête serait menée sur ce que les médias palestiniens qualifient d’acte délibéré.
En août dernier, Eqab Darawsheh, 21 ans, a été tué au sud de Tulkarem lors d’un incident similaire.
Le 5 février, Khaled Nofal, a été tué par balle par un colon israélien près de la ville de Ras Karkar. Le comptable de 34 ans, père d’un enfant, n’était pas armé.
La plupart de ces incidents ont entraîné des blessures ou des dommages matériels.
B’Tselem, une organisation israélienne de défense des droits de l’Homme, a documenté 49 incidents violents perpétrés par les colons contre les Palestiniens en seulement un mois, entre décembre et janvier.
Neuf Palestiniens ont été blessés dans ces attaques dont une petite fille de 11 ans dénommée Hala Mahmoud Al-Qet.
Elle a été hospitalisée après un raid de colons sur son village de Madama, dans les environs de Naplouse, qui l’ont bombardée de pierres alors qu’elle revenait de chez son oncle.
Le Bureau de Coordination Humanitaire des Nations Unies a rapporté que 12 des incidents qui ont eu lieu entre le 5 et le 18 janvier se sont soldés par des blessures physiques.
Impunité totale
Cette flambée de violences des colons avait pourtant commencé bien avant le mois de décembre.
Al-Haq a constaté une augmentation dès le mois de juillet 2020, documentant 68 attaques entre juillet et octobre.
De nouveau, un pic a été constaté en décembre après la mort de Ahuvia Sandak, un jeune colon.
Résident de la colonie de Bat Ayin dans le sud de Jérusalem, il est mort au cours d’une course-poursuite avec les forces de l’ordre israéliennes alors qu’il était accusé d’avoir lancé des pierres sur des Palestiniens.
Sa mort a déclenché des semaines de manifestations de colons organisées aux carrefours stratégiques de Cisjordanie, bloquant parfois la circulation pendant des heures et attaquant des véhicules palestiniens.
Ahuvia Sandak et trois autres garçons qui se trouvaient dans la voiture au moment de l’accident appartenaient aux « Jeunes des collines », un mouvement d’extrême droite dont l’idéologie repose sur l’expulsion des Palestiniens par l’établissement de colonies en Cisjordanie occupée.
Les « Jeunes des collines » sont connus pour lancer des attaques contre des Palestiniens jusque chez eux, comme dans le cas de Muataz Qasrawi.
Ce mécanicien de 38 ans fêtait tranquillement la nouvelle année avec sa femme et leurs quatre enfants dans le village de Huwara, près de Naplouse, quand un groupe de colons a commencé à bombarder les fenêtres de sa maison avec des pierres.
Au milieu du déluge de verre brisé, Qasrawi a couru pour prendre son nouveau-né dans son berceau tandis que sa femme, incapable de fuir à temps, se blessait à la jambe.
Des semaines plus tard, l’aîné des fils Qasrawi âgé de 10 ans continue de souffrir de ce raid :
« Ils n’arrivent pas à dormir, ils ont été traumatisés des voir leur mère atteinte sous leurs yeux » raconte Qasrawi.
Il a une idée sur l’identité des assaillants, un groupe d’une dizaine d’hommes, venus de la colonie voisine de Yitzhar, connus des associations de défense des droits humains pour ses attaques violentes et répétées des villages voisins.
Les colons ont profité de l’obscurité pour fuir et les soldats israéliens sont arrivés une heure plus tard.
Qasrawi explique qu’il a soumis au tribunal un enregistrement d’une caméra de vidéosurveillance resté sans réponse jusqu’à présent.
Selon Shahd Qaddoura, de Al-Haq, les colons jouissent généralement d’une grande impunité. La plupart des attaques documentées par cette organisation se déroulent sous les yeux des soldats, si elles ne sont pas encouragées par eux.
Les colons et les Palestiniens de Cisjordanie vivent sous des systèmes judiciaires différents, même s’ils habitent la même zone.
Les colons répondent à la loi israélienne générale alors que son application est surveillée par la police civile.
En comparaison, les Palestiniens doivent répondre devant la loi militaire qui est appliquée par l’armée. Par conséquent, ils peuvent être emprisonnés indéfiniment sans procès qui, s’il arrive un jour, se déroulera devant un tribunal militaire qui autorise les preuves secrètes.
Cette différence de traitement se lit évidemment dans les taux d’inculpation qui avoisinent les 100% dans les tribunaux militaires.
Selon Yesh Din, une organisation israélienne de défense des droits humains, 91% des enquêtes ouvertes par la police civile en Cisjordanie entre 2005 et 2019 ont été refermées sans qu’aucune poursuite n’ait été prononcée.
Dans un tel climat d’impunité, la violence des colons comme réponse classique aux tensions dans les territoires occupés est si courante qu’elle porte même un nom : les attaques "étiquettes de prix" [1].
Ces attaques sont appelées ainsi en référence aux actes violents commis par les colons contre les Palestiniens pour empêcher toute tentative sérieuse des autorités israéliennes de faire respecter la loi, pour empêcher toute tentative du gouvernement israélien de supprimer les avant-postes de colonies ou de freiner la construction de colonies, ou en réponse à toute violence commise contre les colons.
Ainsi, alors que leurs derniers griefs concernent essentiellement la police israélienne que les colons accusent de la mort de Ahuvia Sandak, ils ont profité des tensions pour attaquer les Palestiniens.
« Ils voient là une occasion de passer leur colère sur des innocents », déplore Muhtaz Tawafsheh, le maire du village de Sinjil, au nord-est de Ramallah.
Depuis le 15 décembre, il offre un abri dans un bâtiment de la municipalité aux Palestiniens qui ne pourraient pas rentrer chez eux à cause de colons installés sur les principaux carrefours à bombarder les voitures de pierres et de cailloux.
« L’enfer sur terre »
Le harcèlement constant des colons combiné à l’impunité dont ils jouissent n’est que la continuité d’années d’efforts pour chasser les Palestiniens de leurs terres et de leurs maisons.
« Ils veulent juste faire de la vie des Palestiniens un enfer », soupire Aref Jaber. « Et pour ça, ils travaillent main dans la main avec les militaires. »
« Restrictions, attaques physiques, arrestations et humiliations quotidiennes visent à obliger les familles à quitter leurs terres et donc, à permettre aux colonies de continuer de s’étendre. »
Shahd Qaddoura, de Al-Haq, craint que la violence aille en s’empirant en 2021.
Même les forces de sécurité israéliennes ont exprimé leur inquiétude, en déclarantanonymement aux médias israéliens que « la police perd le contrôle. (....) La violence [des colons] contre les Palestiniens et les forces de sécurité ont atteint de nouveaux sommets. »
Le 22 janvier, Mohammad Shtayyeh, le Premier ministre palestinien, a publié une déclaration appelant la nouvelle administration américaine à condamner la violence comme « terrorisme organisé des colons » et à intervenir conformément à la résolution 2334 du Conseil de sécurité.
Il a également exhorté les Nations unies à prendre des mesures pour protéger les Palestiniens et à appliquer une interdiction de voyage international aux colons impliqués dans ces attaques.
La déclaration de Shtayyeh faisait écho à un incident particulièrement brutal au cours duquel des colons ont lancé des cocktails Molotov sur les maisons des habitants du village de Burin et ont attaqué une voiture, blessant un enfant de 3 ans.
Le même jour, une famille palestinienne vivant dans une grotte au sud de Hébron a déclaré avoir été attaquée par un groupe d’hommes de la colonie de Susiya. La famille Murr, originaire de Yatta, un village près de Hébron, a été expulsée de sa maison d’origine et vit maintenant dans une grotte dans le quartier de Tawamin. Le jour de l’attaque, la famille a déclaré à la presse locale que les colons s’étaient attardés pendant des heures dans leur grotte, insultant la famille en dansant.
Ils ont crié : « Nous étions ici avant vous, cette terre nous appartient », raconte Ismail Murr, un membre de la famille, aux journalistes de Khabar24.
Il a expliqué que le harcèlement durait depuis deux semaines, sans un jour de répit. « Ils croient que nous allons fuir parce que nous avons peur. Mais nous sommes ici sur nos terres et nous ne bougerons jamais », prévient Ismail Murr.
Kelly Kunzl est journaliste freelance
Traduction : E.M. pour l’AFPS
Photo : Des soldats israéliens utilise des bombes lacrymogènes pour disperser des fermiers palestiniens près de Halhul à Hébron (Mosab Shawer APA images).