Qu’attendez-vous du vote de l’Assemblée nationale sur la reconnaissance de la Palestine ?
A partir de 1988, lorsque nous, les Palestiniens avons accepté le principe d’une solution à deux Etats, pris part à la conférence de Madrid, signé les accords d’Oslo, nous croyions participer à un processus de paix. Mais nous avons découvert que pour Israël tout cela était la couverture d’un processus d’appropriation de terres, d’annexion, de judaïsation de toute la Palestine, de la consolidation de la plus longue occupation de l’histoire moderne.
Pendant 21 ans d’épuisantes et vaines négociations, les colons sont passés de 111 000 à 650 000 à Jérusalem-Est en en Cisjordanie. Israël fait tout pour que, sur le terrain, la création d’un Etat indépendant palestinien soit impossible. Récemment, le vice-Premier ministre israélien Moshé Yaalon a déclaré qu’il n’y avait pas de place pour un Etat palestinien ; tout juste pour une autonomie. "Nous ne cherchons pas une solution à ce conflit. Nous nous contentons de le gérer". Le seul moyen de sortir de l’impasse est de changer l’équilibre des forces.
C’est à dire ?
La reconnaissance de la Palestine fait partie de ces moyens. Chaque nouvelle reconnaissance renforce notre statut. Les conséquences légales sont nombreuses : Israël ne pourra plus s’abstenir de respecter les conventions de Genève ; cela augmente les chances que les violations commises par Israël soient sanctionnées.
C’est aussi le moyen d’envoyer un message clair à Israël : la Cisjordanie, Gaza et Jérusalem-Est sont, en vertu de la loi internationale, des territoires occupés.
Reconnaître la Palestine est aussi un moyen de rendre espoir aux Palestiniens, de leur signifier que leur lutte n’est pas vaine, que la communauté internationale agit, sait dire à Israël qu’il ne peut continuer à être au-dessus des lois. Cela renforce ceux qui, comme ma formation*, prônent la résistance non violente. Un tel vote est crucial, surtout après la récente guerre menée par Israël contre Gaza.
Comment le nouveau cycle de violences, enclenché au printemps, peut-il être stoppé ?
Tout d’abord, il faut préciser que les dernières actions violentes perpétrées par des Palestiniens ont été le fait d’individus. Des personnes qui explosent en raison des discriminations, des injustices subies. Côté israélien, il s’agit d’une violence étatique, officielle. Depuis le début de cette année, l’armée israélienne et les colons ont tué 2260 Palestiniens, 2200 à Gaza et 60 en Cisjordanie. Parmi ces victimes, 600 étaient des enfants. Comment le monde réagirait-il si 50 enfants israéliens étaient tués ? Pourquoi la mort de 600 enfants palestiniens ne fait-elle pas réagir ? Le sang des Palestiniens a-t-il moins de valeur ?
95% des actions de résistance palestiniennes sont non violentes, mais elles sont rarement relayées par les médias, à la différence des actes de violence. L’usage d’armes par les forces de sécurité israéliennes contre les manifestations non violentes des Palestiniens ne sont guère plus relayées.
Mahmoud Abbas accuse Netanyahu de vouloir transformer un conflit qui est politique en un conflit religieux...
C’est exact. Netanyahu veut faire de notre lutte pour la libération nationale un combat religieux. Il n’y a pas de lutte religieuse. Seulement le combat d’un peuple à qui l’on refuse le droit à l’autodétermination depuis 65 ans. Netanyahu espère gagner la faveur de l’opinion internationale en assimilant les Palestiniens à Daech. Les Palestiniens musulmans ne sont pas les seuls opprimés. Les chrétiens le sont tout autant. J’ai des amis catholiques, en Cisjordanie, qui n’ont pas pu se rendre à Jérusalem depuis quatorze ans.
Que cherche Netanyahu en laissant les colons venir prier sur l’esplanade des mosquées ? Ils réclament le droit d’accès à ce lieu saint. Mais me laisseraient-il aller prier au Mur des lamentations ?
Quelle est la marge de manoeuvre des Palestiniens alors que la colonisation s’intensifie ?
L’essor inexorable de l’occupation tient au fait qu’elle est profitable et peu onéreuse pour les Israéliens. Ils tirent profit de l’exploitation de notre terre, de notre eau, de la main d’oeuvre palestinienne bon marché. Deux exemples : en moyenne, 936 millions de m3 sont d’eau sont puisés chaque année en Cisjordanie. Israël en utilise 800 millions. Dans le seul secteur de Bethléem, le bénéfice tiré des terres expropriées aux Palestiniens au cour des 14 dernières années, a été de 30 milliards de dollars. Vous pouvez imaginer le profit réalisé à l’échelle de toute la Cisjordanie.
Pour avancer vers une solution, il faut que l’occupation devienne coûteuse pour Israël. La résistance non violente -j’insiste là-dessus, la campagne de boycott, de désinvestissement et de sanctions (BDS), et la reconnaissance diplomatique de la Palestine sont des moyens de rendre l’occupation coûteuse. Alors, seulement, Israël changera de politique.
Ces actions vont pour nous de pair avec l’établissement de relations avec les Israéliens favorables à la paix, les organisations pacifistes, en Israël et dans la diaspora juive. Une partie de la diaspora est consciente qu’Israël a perdu la bataille morale. Quand j’étais ministre de l’information, j’ai reçu le Sud-africain Ronnie Kasrils. Ce Blanc juif, ancien membre de l’ANC, était ministre de la sécurité. Je l’ai conduit devant le mur de séparation. Alors que je comparais notre situation à l’Apartheid, il m’a interrompu : "vous avez tort. Ce que vous vivez est bien pire que l’Apartheid". Il est aujourd’hui l’un des plus fervents promoteurs de la campagne de boycott contre Israël.
N’est-il pas déjà trop tard pour la création d’un Etat palestinien viable ?
Est-il trop tard ? Non. Il n’est jamais trop tard pour la liberté. Jamais nous ne nous résignerons à rester esclaves d’un système discriminatoire et raciste. La solution à deux Etat n’est pas la solution optimale, mais c’est la plus réaliste. Elle permettrait la coexistence pacifique et, peu à peu, la réconciliation de nos deux peuples, comme l’Allemagne et la France ont su y parvenir. La solution à deux Etats n’est pas possible ? Personnellement, peu m’importe un ou deux Etats. Du moment qu’on mette en place un système garantissant la liberté et l’égalité pour tous, les mêmes droits, les mêmes devoirs.
* Mustafa Barghouti dirige l’Initiative nationale palestinienne, qu’il a fondé avec Haidar Abdel-Shafi et Ibrahim Dakkak.