L’une des particularités de la politique et des politiciens, des commentateurs politiques spécialisés ou non, et d’autre personnes de pouvoir et d’influence, c’est qu’ils s’occupent de créer des humeurs populaires, de modeler l’opinion publique et de répandre des ambiances de pessimisme ou d’optimisme. Ils fabriquent le ton du mois et invitent les gens à confirmer ce choix à travers un processus électoral démocratique.
Celui d’aujourd’hui c’est que les choses iront mieux maintenant qu’Arafat est mort parce que il y a actuellement une chance de relancer le processus de paix et que « la rue » a le moral. Certains, qui ont versé des larmes à la mort d’Arafat, ne reconnaîtront pas ouvertement la cause de cet optimisme. Pourtant la mort d’Arafat est le seul changement visible qui s’est produit et cet événement à lui seul est en quelque sorte responsable du changement de la stagnation et du désespoir à un nouveau souffle de vie et d’espoir. Comme c’est étrange. Est-il vraiment possible qu’une seule personne, confinée dans quelques pièces en ruines à Ramallah, ait été responsable de l’immobilisme ?
Bien sûr nous pourrions regarder la situation d’un autre point de vue et dire que les Palestiniens ont une nouvelle direction.. Oui mais, si cette direction tenait les mêmes positions que celles qui ont fait assiéger Arafat, on n’aurait pas fabriqué ce changement d’humeur soudain. Arafat n’était pas confiné dans son complexe de Ramallah à cause de son aspect ou de ses vêtements -son apparence ne l’avait pas empêché d’être nominé pour le prix Nobel de la Paix et de l’obtenir-, mais à cause des positions qu’on lui attribuait- qu’on soit d’accord ou pas avec cette attribution. Bien sûr ceux qui propagent la nouvelle humeur pensent que la nouvelle direction aura des positions différentes, tout au moins ils considèrent qu’ils ont de bonnes raisons de le penser. Mais personne ne veut aborder le sujet, même pas au cours de la campagne électorale.
En plus de l’absence d’une opposition, la campagne en cours est caractérisée par le manque de débat sur les problèmes mêmes qui rendent les Etats-Unis, l’Europe et les pays arabes si optimistes, par le fait que les considérations externes régionales et internationales prennent une importance sans précédent par rapport aux préoccupations internes et aussi par le climat d’optimisme diffusé par la propagande à un peuple épuisé et meurtri.
L’opposition ne s’est pas unie autour d’un candidat à la présidence. Tout ce dont on parle c’est la conférence de Charm-el-Sheikh et même un appel à une conférence à Londres. Israël a exprimé son optimisme sur les chances d’un candidat précis et tout le monde espère que Marwan Barghouti va retirer sa candidature pour ne pas geler à nouveau la situation.
Et on appelle ça des élections ? Ce qu’ils veulent ce sont des élections qui valident un agenda politique décidé à l’avance. Mais personne ne discute cet agenda, tandis que les « principes établis » des Palestiniens sont exprimés comme des slogans idéologiques qui acquièrent l’aspect creux de la Charte nationale palestinienne. Voilà un document qui a eu une longue vie rangé sur une étagère et c’est bien là qu’on l’a gardé tandis que les hommes politiques lui tiraient leur chapeau avec révérence pendant qu’ils établissaient des programmes et des politiques qui n’avaient guère de lien avec lui, voire qui s’opposaient à sa substance. Enfin, jusqu’à ce que le temps soit venu de l’enlever de l’étagère et de le changer. Voilà les mécanismes de la politique palestinienne. Nous entendons des appels sans fin aux « principes établis », mais nous ne doutons pas un instant d’où viennent ces appels.
Même si le problème immédiat est la nécessité de restaurer le calme et la stabilité (ce qui veut dire répondre aux exigences israéliennes de « mettre fin au terrorisme » maintenant qu’Israël a renoncé à exiger « le démantèlement de l’infrastructure terroriste », afin de rendre les choses plus faciles pour les nouveaux dirigeants palestiniens) avant d’œuvrer à un règlement et à la paix, un agenda politique demeure. Aucune personne saine d’esprit ne met en doute la nécessité de « mettre fin au chaos des armes ». Mais ce slogan, derrière lequel certains hommes politiques ont caché leurs agendas politiques, peut laisser lieu à plusieurs interprétations.
Cela peut signifier, par exemple, l’unité des armes et le développement d’une stratégie de résistance unifiée qui s’accorderait sur l’arrêt des attaques contre les civils et sur l’élaboration d’opérations capables de permettre à la société palestinienne d’en supporter les conséquences tout en sauvegardant les fondations morales de la résistance. « Mettre fin au chaos des armes » peut aussi vouloir dire l’arrêt de toute forme de résistance armée et un renforcement de la sécurité- c’est à dire la sécurité israélienne et la sécurité intérieure palestinienne.
Il est clair que les politiciens qui mentionnent ce slogan ne pensent pas à la première interprétation, sinon Sharon ne serait pas si content. Alors pourquoi ne pas être clair et dire aux gens ce qu’ils entendent par cela afin qu’on puisse en discuter raisonnablement ?
Les diplomates européens qui avaient dans le passé cédé aux ordres d’Israël et boudé Arafat, se précipitent maintenant dans les Territoires Occupés pour rencontrer la direction palestinienne. Blair prévoit une visite et Bush promet à ses visiteurs de relancer les négociations côté palestinien parce que la situation dans le monde arabe est mûre maintenant pour une nouvelle approche du problème palestinien.
Mais en fait la situation arabe est assez mûre depuis longtemps. Si on entend les perles s’égrener vite maintenant c’est que le fil du chapelet est bien usé. La plupart des régimes arabes sont vraiment convaincus que ce qu’ils font est juste et ils attendent simplement que leurs opinions internes se fatiguent du sujet. Non, rien n’a changé dans la position de la plupart des gouvernements arabes qui ont du mal à se retenir de courir se jeter dans les bras d’Israël. On ne peut que plaindre quiconque croirait à ces tirades provenant de capitales arabes exaspérées, au plus haut de l’Intifada.
L’élan international actuel n’est donc pas vraiment affecté par le changement mais plutôt désireux de produire ce changement. Les promesses d’aide financière, d’investissement et de ramener le processus de négociation sur ses rails sont efficaces : elles ont fait monter les espoirs et les attentes des Palestiniens, stimulé l’économie israélienne et injecté de l’adrénaline dans le système économique palestinien, ce qui a eu pour effet immédiat d’encourager des secteurs palestiniens à proclamer leur confiance dans une reprise économique.
Un coup d’œil ces jours ci à la présentation dans la presse israélienne des pratiques de l’armée israélienne pendant l’Intifada suffit pour commencer à avoir une idée de l’enfer que les habitants des villes et villages palestiniens ont vécu, quand les caméras du monde regardaient ailleurs. Alors les responsables étrangers qui se précipitent maintenant en Palestine refusaient ne serait ce que d’envisager des sanctions contre Israël et ce qu’ était les ramifications de la décision de la Cour Internationale de Justice (CIJ).
Mais maintenant qu’Arafat est mort on entend une autre chanson. Maintenant ces visiteurs de qualité qui snobaient Arafat cherchent un partenaire palestinien pour la paix. Ils cherchent surtout quelqu’un de réaliste,, prêt à traiter les affaires dans l’état où elles sont, quelqu’un qui ne les ennuiera pas en leur rappelant les résolutions internationales, les décisions de la CIJ, la légitimité internationale et les principes moraux.
Le réalisme, de leur point de vue, implique d’appeler à mettre fin à toute forme de résistance et à entrer dans des négociations « réalistes » avec Israël sur la base de la limite, fixée par les Américains, aux exigences palestiniennes, avec quelque chose appelé « état » au bout du compte.
Pour eux, un partenaire palestinien réaliste pour la paix c’est aussi quelqu’un qui ne les fatiguera pas avec une litanie d’idées irréalistes. Faire tomber un régime entier en Irak, c’était réaliste. Renverser le système d’apartheid en Afrique du sud, c’était réaliste. Des empires entiers s’écroulent, c’est évident et donc réaliste. Mais toucher à un cheveu des grosses colonies israéliennes ou à l’occupation par Israël de Jérusalem, ou encore mentionner le sujet du droit au retour des réfugiés palestiniens- ne serait ce que comme le disent le droit et les résolutions internationaux-, ah, ça c’est totalement irréaliste.
En harmonie avec la nouvelle humeur musicale sur la piste palestinienne, la presse israélienne travaille à plein temps à générer des rumeurs sur la piste syrienne. En ont été chargés des journalistes connus pour leurs contact avec la sécurité israélienne et dont la crédibilité a été souvent mise à mal dans le passé. Néanmoins, les médias arabes régurgitent, et c’est un de leurs manques fréquents, ce qui sort dans la presse israélienne sans prendre le temps d’en vérifier la source, le contexte ou le but. A vrai dire, il semble qu’Israël peut répandre toutes les rumeurs qu’il veut dans le monde arabe, tant il est sûr d’y trouver des journaux qui traduiront et publieront ce qui paraît dans la presse israélienne.
Les articles en question dans la presse israélienne révèlent une tentative concertée et systématique pour montrer que la Syrie est si pressée de reprendre les négociations avec Israël qu’elle est prête à reculer sur des exigences « traditionnelles » telles que le retrait israélien total du plateau du Golan en accord avec les résolutions internationales ou l’insistance sur le « dépôt de Rabin » comme point de départ de toute nouvelle négociation [1].
Ne reculant jamais devant le simplisme, certains de ces journalistes ont écrit que le président syrien se rebelle contre son ministre des Affaires étrangères, comme si ce dernier décidait des positions de politique étrangère et que le premier en développait maintenant une à lui, ce que prouverait son désir de reprendre des négociations sans conditions. C’est une logique qui tourne en rond et dont les implications sont claires : un dirigeant arabe fort et intelligent est celui qui est prêt à voir les choses comme Israël ; un dirigeant qui s’accroche à ses intérêts et principes nationaux est faible et facilement manipulé par les gens mauvais et habiles qui l’entourent.
De tels subterfuges, mal intentionnés, enfantins et presque risibles, persistent bien que l’expérience ait prouvé la crédibilité des positions de la Syrie sur la paix et la reprise des négociations, même aux yeux de certains des critiques les plus durs de la Syrie. Il serait intéressant qu’on fasse une étude sur la quantité de mensonges et de fabrications répandus sur la position de la Syrie pendant les négociations avec Israël et qui ont été ensuite enterrés par les auteurs et politiciens américains au courant, tels le président Clinton ou Dennis Ross, son envoyé au Proche-orient, et également par les auteurs et politiciens israéliens bien informés. Selon ces sources la Syrie n’a pas bougé d’un pouce et a continué à insister sur son droit à une pleine souveraineté sur ses territoires occupés. Ils ont indiqué aussi qu’une avancée avait eu lieu quand Israël avait consenti à cette exigence mais que les pourparlers s’étaient rompus quand Israël était revenu sur son engagement et avait nié l’avoir jamais donné.
Pourquoi alors la campagne actuelle sur le « changement » de la position syrienne ? D’abord, dans le but de faire naître des attentes fausses concernant un changement de la politique syrienne, même sur des sujets fondamentaux de la négociation. Elle attribue à Damas des attitudes que Damas a toujours rejetées, non par principe mais parce que cela affaiblissait sa position dans la négociation, tandis que l’insistance d’Israël à reprendre les négociations sans conditions était le moyen pour lui d’échapper à ses obligations liées aux progrès réalisés et aux résolutions internationales. Aujourd’hui Israël décrit Damas comme « modéré » ou ayant finalement modéré sa position. Ainsi, quand Damas réaffirmera ses principes, elle sera unanimement condamnée pour revenir à ses positions « anciennes, inflexibles et pétrifiées ».
C’est une manœuvre dangereuse, qui veut miner une position qui est en fait modérée, rationnelle et de principe, en ceci qu’elle propose la paix sue la base des résolutions internationales et de la souveraineté de la Syrie sur son territoire. Le deuxième objectif de cette campagne de rumeurs est de montrer la Syrie comme faible et isolée et donc cherchant désespérément de monter à bord du train des négociations, afin de retrouver des amis et de faire tomber la pression internationale. Pendant ce temps, Israël, dans l’esprit du moment, est à peine conscient de l’existence de la Syrie et méprise ses efforts pour lui plaire, en la réprimandant à propos de son rôle au Liban, de son soutien au Hezbollah, et parce qu’elle ne ferme pas les bureaux des groupes palestiniens à Damas. Chaque fois que la Syrie, dans des discussions avec des responsables arabes ou étrangers, réaffirme son désir de paix, cela est perçu comme une lettre d’amour à Israël qu’Israël, qu’on ne séduit pas par de simples manifestations d’affection, retourne sans l’ouvrir, avec une tape sur la main de la Syrie.
Parce qu’Israël est déterminé à se sortir de la négociation sur les points cruciaux dans le cadre établi pour ces négociations, il tente de aire passer la Syrie pour faible et assiégée et suppliant par conséquence de reprendre les négociations avec Israël. Cette image est contredite par l’évidence, telle la modification de la formulation de la Résolution 1559, le partenariat signé avec l’Europe et le niveau sans précédent de communications internationales avec Damas. Bien entendu, Israël n’admettra jamais que la Syrie est forte et confiante dans sa position.
La seule partie qui insiste sur des conditions pour reprendre des négociations avec les Palestiniens et la Syrie, c’est Israël. C’est la seule partie qui a toujours évité de négocier sans pré-conditions, sauf le cadre établi par les résolutions internationales, parce qu’elle sait quel prix elle aurait à payer, comme Sharon l’a admis franchement. Il sait bien que la position de la Syrie dans les négociations n’a pas changé. Alors, cela ne fera pas de mal si la Syrie réaffirme sa position à ses hôtes et ses visiteurs, surtout si cela rend la vie plus compliquée à Sharon.
Tout processus de négociation doit se dérouler selon un certain cadre, un contenu et une logique. Les résolutions internationales ont établi ce cadre et ce contenu pour des négociations entre Israël et la Syrie . Insister pour s’en tenir à ce cadre n’est pas une pré-condition. Nier la validité des résolutions internationales et tenter de les circonvenir en soulevant des questions qui n’ont rien à voir avec le contenu des négociations, comme la position de la Syrie sur la cause palestinienne ou par rapport au Liban, ça c’est imposer des conditions. Et les négociations ne devraient pas repartir de zéro. Ce n’est pas une condition. C’est naturel qu’elles commencent sur la base des progrès qui ont déjà été réalisés. Insister pour reprendre à zéro à chaque fois qu’Israël a un nouveau gouvernement est aussi une pré-condition et totalement irrationnelle qui plus est.
Pendant ce temps seule une puissance est capable de garantir qu’Israël rendra la terre qu’il a occupée à ses propriétaires légitimes, dans le cadre d’un accord auquel on doit arriver, inévitablement, par la négociation. Ce n’est pas un envoyé ou même une série d’envoyés des pays arabes ou européens, aussi sincères qu’il soient, aussi importants et constructifs que soient leurs efforts de médiation, ce sont les Etat-unis.