Photo : Chef de la délégation de l’État de Palestine, S. Exc. M. Riad Malki, ministre des affaires étrangères et des expatriés de l’État de Palestine, lundi 19 février 2024 © UN Photo/ICJ-CIJ/Frank van Beek
La Cour internationale de justice commencera ses audiences lundi dans une affaire concernant l’occupation par Israël des territoires palestiniens, à peine un mois après avoir donné une série de directives à Tel-Aviv dans une autre affaire où l’État hébreu est accusé d’actes génocidaires dans la bande de Gaza.
Pour la première fois, au moins 52 pays présenteront des arguments sur les politiques controversées d’Israël en Cisjordanie, dans la bande de Gaza et à Jérusalem-Est occupée. Il s’agit du plus grand nombre de parties à participer à une affaire de la CIJ depuis la création de la Cour en 1945.
Depuis 1967, les autorités israéliennes occupent illégalement la Cisjordanie et Jérusalem-Est - qui font partie de la Palestine selon la division de la Palestine historique décidée par les Nations unies en 1948 - en appliquant un système qui restreint les droits de citoyenneté des Palestiniens, entrave leur liberté de circulation et les prive de leurs terres ancestrales. Entre 1967 et 2005, Israël a également occupé directement Gaza et, depuis 2007, impose un blocus terrestre, maritime et aérien à l’enclave côtière. Il décide de la nourriture, de l’eau, des médicaments, du carburant, des matériaux de construction et d’autres produits de base qui peuvent entrer à Gaza, et en interrompt le flux quand il le souhaite.
Alors que la guerre contre Gaza en est à son cinquième mois, les Palestiniens de Cisjordanie ont subi des attaques de plus en plus nombreuses de la part des forces israéliennes, qui ont fait des centaines de victimes.
Dans une déclaration faite la semaine dernière, la CIJ a indiqué que les plaidoiries dans cette affaire dureraient environ une semaine, au cours de laquelle tous les pays, ainsi que trois organisations internationales, devraient expliquer pourquoi ils soutiennent ou s’opposent aux mesures prises par Israël. Tel-Aviv a refusé de se présenter, préférant soumettre un argument écrit. Une décision de justice devrait être rendue dans plusieurs mois.
Voici tout ce qu’il faut savoir sur cette affaire :
Qui a porté plainte contre Israël ?
L’affaire a été déclenchée par une demande de l’Assemblée générale des Nations unies (AGNU) le 30 décembre 2022, lorsqu’une majorité de membres a voté pour demander l’avis de la Cour sur les conséquences juridiques de la poursuite de l’occupation israélienne de la Palestine. Les pays arabes, la Russie et la Chine ont voté en faveur de cette demande, tandis qu’Israël, les États-Unis, l’Allemagne et 24 autres pays ont voté contre.
Lors de la guerre des Six Jours en 1967, Israël a occupé Jérusalem-Est et la Cisjordanie, qui étaient auparavant sous contrôle jordanien et dont la population était à majorité arabe. La plupart des pays et l’ONU considèrent toujours Jérusalem-Est occupée comme la capitale d’un futur État palestinien et considèrent l’occupation israélienne comme illégale au regard du droit international.
Dans une longue missive adressée à la CIJ et signée par le secrétaire général de l’ONU, Antonio Guterres, l’Assemblée générale des Nations unies a demandé aux juges de répondre à des questions sur la manière dont les droits des Palestiniens sont affectés par l’occupation et les tentatives continues de les déplacer, ainsi que sur les responsabilités de l’ONU et de ses États membres face à ces violations.
"Quelles sont les conséquences juridiques de la violation permanente par Israël du droit du peuple palestinien à l’autodétermination, de son occupation prolongée, de sa colonisation et de son annexion visant à modifier la composition démographique, le caractère et le statut de la ville sainte de Jérusalem, et de l’adoption par Israël d’une législation et de mesures discriminatoires en la matière", demande la missive de l’Assemblée générale des Nations unies.
L’Assemblée générale des Nations unies a demandé à la Cour de répondre à ces questions en s’appuyant sur une combinaison de lois humanitaires internationales, ainsi que sur la Charte des Nations unies et diverses résolutions de l’ONU. Selon Human Rights Watch, les politiques d’Israël dans les territoires occupés relèvent de l’apartheid et de la persécution, deux crimes contre l’humanité.
La Cour, dont le siège est à La Haye, entend et juge les affaires entre États, et c’est la deuxième fois qu’elle se prononce sur l’occupation illégale d’Israël. En 2004, la CIJ a statué que le "mur de séparation" érigé par Israël en Cisjordanie, qui sépare de nombreuses familles palestiniennes, était illégal et devait être démantelé. Israël a toutefois rejeté l’arrêt et a depuis prolongé le mur.
Quels sont les pays participants ?
Les audiences se dérouleront du lundi 19 février au lundi 26 février.
– 19 février : Ouverture des audiences, Palestine
– 20 février : Afrique du Sud, Algérie, Arabie Saoudite, Pays-Bas, Bangladesh, Belgique, Belize, Bolivie, Brésil, Canada, Chili
– 21 février : Colombie, Comores, Cuba, Egypte, Emirats Arabes Unis, Etats-Unis, Russie, France, Gambie, Guyana, Hongrie
– 22 février : Chine, Iran, Irak, Irlande, Japon, Jordanie, Koweït, Liban, Libye, Luxembourg, Malaisie, Maurice
– 23 février : Namibie, Norvège, Oman, Pakistan, Indonésie, Qatar, Royaume-Uni, Slovénie, Soudan, Suisse, Syrie, Tunisie
– 26 février : Turquie, Zambie, Ligue des Etats arabes, Organisation de la coopération islamique, Union Africaine, Espagne, Fidji, Maldives
Au total, 52 pays - environ 10 par jour - présenteront leurs arguments aux juges de la CIJ tout au long de la semaine. La majorité d’entre eux ont voté en faveur de la décision des Nations unies de saisir la CIJ. Quelques-uns, comme le Canada, ont voté contre, tandis que la Suisse s’est abstenue.
Les équipes juridiques représentant l’État de Palestine commenceront les audiences lundi. Mardi, les équipes sud-africaine et canadienne seront parmi les orateurs. Les États-Unis, la Chine et la Russie prendront la parole entre mercredi et jeudi, tandis que les Maldives concluront la présentation finale.
Trois organisations multilatérales prendront également la parole : la Ligue des États arabes, l’Organisation de la coopération islamique et l’Union africaine.
Cette affaire est donc différente de celle de l’Afrique du Sud contre Israël devant la CIJ ?
En effet. Cette affaire est distincte d’une autre affaire portée devant la CIJ par l’Afrique du Sud le 29 décembre, qui allègue qu’Israël commet un crime de génocide à Gaza dans le cadre de la guerre qu’il continue de mener contre la bande de Gaza.
Dans une décision préliminaire rendue dans cette affaire, la Cour a ordonné à Israël de prévenir et de punir l’incitation au génocide et de fournir l’aide humanitaire nécessaire avant le 26 février.
L’affaire, dont les audiences débutent lundi, n’est pas directement liée à la guerre qu’Israël mène actuellement contre Gaza, mais elle renvoie à de nombreux problèmes de violation du droit international qui conditionnent l’approche de Tel-Aviv à l’égard de l’ensemble des territoires palestiniens.
Quel pourrait être l’arrêt de la Cour ?
La CIJ est composée de 15 juges de différentes parties du monde, élus par l’Assemblée générale des Nations unies pour un mandat de neuf ans. Le juge Nawaf Salam, du Liban, en assure actuellement la présidence.
Les juges écouteront les exposés détaillés et publieront ensuite un avis écrit. On ne sait pas encore quand l’avis sera publié, mais les procédures de la CIJ sont minutieuses et prennent généralement du temps. Certains experts en droit estiment que l’avis pourrait être publié avant la fin de l’année.
Il est difficile de prédire ce que la Cour pourrait décider exactement dans cette affaire, ni même comment l’avis serait formulé. La CIJ a déjà statué contre Israël par le passé, notamment en ce qui concerne le mur en Cisjordanie en 2004, et la récente décision sur les mesures provisoires en janvier, à laquelle de nombreux experts estiment qu’Israël ne peut se conformer qu’en mettant effectivement fin à sa guerre contre Gaza.
Lorsqu’il apparaîtra, l’avis de la Cour ne sera pas contraignant pour le Conseil de sécurité ou Israël, ce qui signifie qu’ils ne seront pas obligés de l’appliquer. Toutefois, les experts estiment qu’un avis de la CIJ a un poids considérable et pourrait accroître la pression sur Israël et son allié le plus fidèle, les États-Unis, pour qu’ils se conforment au droit international.
Traduction : AFPS