Plus de 700.000 Palestiniens, près de la moitié de la population de ce pan du territoire palestinien, se sont rendus en Egypte, en quête des produits indispensables à la vie et dont le siège qu’impose Tel-Aviv les prive : nourriture, médicaments, fuel, fenêtres pour remplacer celles que les bombardements israéliens ont de longue date fait voler en éclat, ciment pour reconstruire, ou parfois juste un peu d’oxygène, faute d’argent, lui aussi défaillant depuis trop longtemps lorsque plus rien ne passe. Ils sont sortis, et ils sont revenus. Chez eux. Dans ce chez eux dévasté qu’ils ne quitteront pas et où en dépit de tout la société résiste. Un pan de mur a explosé à la frontière égyptienne, 700.000 Palestiniens l’ont passée dans les deux sens, en quête de ce dont le siège les prive : l’essentiel ; de quoi survivre, et la liberté.
Et la frontière, de nouveau, s’est refermée. De nouveau, toute une partie de la population palestinienne se retrouve soumise au châtiment collectif que leur impose impunément Israël. En l’occurrence 1, 5 millions de Gazaouis. Le siège, s’il s’est durci mi-janvier, dure en réalité depuis des mois. Avec plusieurs objectifs. D’une part, oubliant les leçons de l’histoire, Tel-Aviv imaginait que la politique de la force conduirait la population à rejeter ceux qu’elle a élus, en les rendant responsables de sa situation. C’est oublier le slogan qui a fait le succès du mouvement Hamas lors des élections législatives de 2006- : « Israêl et les Etats-Unis sont contre nous. Et vous ? ». C’est oublier aussi l’une des principales raisons du résultat électoral d’alors : à force de refuser toute négociation dont le président de l’Autorité nationale palestinienne a fait l’essentiel de son orientation stratégique, Israël s’évertuait à en ruiner la perspective et à marginaliser la légitimité de ses promoteurs. Qu’espéraient alors les Etats-Unis et l’Europe, si prompts à évoquer la démocratie et si empressés d’en réfuter les résultats par des sanctions économiques ? La prise de contrôle de la bande de Gaza par le Hamas en juin dernier, la répression politique que le mouvement sait comme d’autres exercer, ont sans doute en partie émoussé sa côte de popularité. Mais le siège et les bombardements, eux, ne font que ratifier quotidiennement son slogan électoral.
Mais Israël poursuit aussi d’autres objectifs : diviser politiquement les Palestiniens, enraciner la séparation géographique de leur territoire pour empêcher l’édification d’un Etat indépendant. L’Egypte ne s’y est pas trompée qui a vu dans l’explosion du mur à sa frontière le risque d’une assignation à tutelle politique et économique sur cette partie du territoire palestinien. Tout incite à y croire. Le pseudo-retrait unilatéral de 2005 présenté par les conseillers d’Ariel Sharon comme un moyen de geler les négociations dans le formol pour poursuivre la colonisation de la Cisjordanie. La qualification de Gaza comme « entité hostile », valant –encore une fois au mépris du droit- déclaration de guerre au territoire et à sa population entière.
Or la réunion d’Annapolis ne s’est traduite par l’arrêt ni de la construction du mur d’annexion en Cisjordanie, ni de la colonisation, ni de la dépalestinisation de Jérusalem. La formule électorale d’Ariel Sharon reprise à son compte par son successeur prend tout son sens : « poursuivre et achever ce que nous n’avons pas achevé en 1948 », voici soixante ans.
Préférant jouer de la pénurie plutôt que d’une répression impopulaire, l’Egypte a refermé la frontière et évité le risque d’une contagion de popularité du Hamas dans l’opinion égyptienne où les frères musulmans, en dépit de la répression, font figure de force d’opposition substantielle au régime. Et Gaza, de nouveau, est bouclée.
Les 15 et 16 février prochains, Bernard Kouchner sera en Israël et en Palestine occupée. La France ne peut se contenter d’observer en se retranchant dans un rôle de bonne organisatrice des contributions financières internationales. Le siège de Gaza doit être levé, la continuité territoriale avec la Cisjordanie réinstaurée. L’Europe a accepté à Annapolis d’être exclue de la scène politique où elle pourrait jouer un jeu majeur. Son rôle économique doit pourtant lui permettre d’exprimer aussi des exigences politiques, celles que le droit international impose. Quel pourrait être le sens et l’intérêt d’un tel voyage du ministre français des Affaires étrangères français, si ce n’est de réclamer l’arrêt du siège de Gaza, l’arrêt de la construction du mur d’annexion et de la colonisation en Cisjordanie, l’arrêt de l’expulsion des Palestiniens de Jérusalem, la réouverture de leurs institutions dans la ville, la levée des barrages militaires, la libération des prisonniers politiques palestiniens dont celle du jeune franco-palestinien Salah Hamouri ?
Car ce que tue la violation de masse du droit international, dans l’impunité, ce sont des vies humaines, tout comme l’espoir que la paix devienne autre chose qu’un vain slogan.