Déjà, en 1976, les dirigeants israéliens ne parvenaient pas à
appréhender la réalité. Shimon Pérès était à l’époque ministre de la
défense du premier gouvernement Rabin. Espérant une victoire des
candidats projordaniens, il avait permis la tenue, le 12 avril,
d’élections municipales en Cisjordanie. Las, le calcul s’était avéré
faux. Les électeurs avaient massivement voté en faveur de l’OLP et de la
gauche palestinienne laïque.
Quelques jours plus tard, pour favoriser l’émergence d’une nouvelle
force politique à Gaza, l’administration militaire israélienne avait
approuvé la création d’une "Association islamique", dont le but déclaré
était la diffusion de la religion musulmane par des activités
culturelles et sportives. Le chef spirituel de ce mouvement lié aux
Frères musulmans était un cheikh infirme d’une quarantaine d’années :
Ahmed Yassine. Il était le favori des gouverneurs militaires qui,
régulièrement, venaient lui rendre visite. Les généraux expliquaient :
"Il est préférable que les Palestiniens prient et ne s’occupent pas de
politique !" L’arrivée au pouvoir du Likoud ne changera pas cette
attitude bienveillante d’Israël envers la confrérie.
En 1981, après l’assassinat d’Anouar El-Sadate, les autorités
égyptiennes ont expulsé des dizaines d’étudiants islamistes palestiniens
qu’Ariel Sharon, ministre de la défense, a autorisés à revenir
s’installer à Gaza. Ils deviendront des dirigeants du Hamas et du Djihad
islamique. L’année suivante, Israël donne le feu vert - et, affirment
certains, une contribution matérielle - à la construction de l’immeuble
de l’Association islamique dont les membres vont régulièrement saccager
les bureaux du Croissant rouge palestinien, dirigé par Haïdar Abd
Al-Shafi, proche du Parti communiste et de l’OP. La bienveillance
israélienne ira jusqu’à juguler l’opposition aux islamistes. Les
étudiants qui osent leur porter la contradiction au cours de débats
publics se retrouveront derrière les barreaux. Ils sont dirigés, à Gaza,
par Mohammed Dahlan, futur patron de la sécurité préventive de
l’Autorité autonome. A l’époque, il était le chef, à Gaza, de la
Chabiba, le mouvement de jeunesse du Fatah, et sera arrêté à onze
reprises. Son homologue en Cisjordanie est Marouan Barghouti, étudiant à
l’université de Bir Zeit. Lui aussi effectue des séjours réguliers dans
les prisons israéliennes.
En 1984, les services de sécurité israéliens ont une mauvaise surprise.
Les islamistes ne sont pas d’innocents religieux. Au cours d’une
perquisition chez Ahmed Yassine, ils découvrent des dizaines de fusils
d’assaut. Le Cheikh est passé à l’étape suivante de son projet secret :
la constitution de cellules militaires. Il est condamné à treize ans de
prison mais retrouve la liberté en mai 1985 dans le cadre d’un échange
de prisonniers entre Israël et l’organisation palestinienne d’Ahmed
Jibril. L’accord avait été négocié par Itzhak Rabin, alors ministre de
la défense...
En décembre 1987 éclate la première Intifada. Les dirigeants israéliens
estiment que l’OLP pourrait retirer des gains politiques du soulèvement
et la priorité dans la répression va au démantèlement des comités
populaires du Fatah. MM. Barghouti et Dahlan, considérés comme de
dangereux agitateurs, sont expulsés en Jordanie. A Gaza, le cheikh
Yassine a mis sur pied le Hamas, auquel les militaires israéliens ne
prêtent d’abord pas attention. Il ne sera arrêté que l’année suivante,
après l’assassinat d’un soldat enlevé par le commando Azzedine
El-Kassam, la branche armée du Hamas, qui ne comptait à l’époque que
quelques dizaines de combattants.
Il faudra attendre 1993 pour qu’Israël change de politique et accorde la
préférence au Fatah en signant les accords d’Oslo. L’organisation de
Yasser Arafat prend le contrôle, à tous les niveaux, de l’administration
autonome en Cisjordanie et à Gaza. Des responsables venus de Tunis
s’installent aux postes-clés, distribuent à leurs proches fonctions et
sociétés économiques. Le Hamas, qui s’oppose à toute négociation avec
Israël, décide de torpiller le processus de paix par des
attentats-suicides anti-israéliens particulièrement meurtriers, en 1995
et 1996. Ces attaques ont une double conséquence. L’opinion publique
israélienne bascule et élit Benyamin Nétanyahou, le candidat Likoud,
principal opposant aux accords d’Oslo, alors que l’armée israélienne
durcit le bouclage de la Cisjordanie et de Gaza.
Pour le Palestinien moyen, l’arrivée au pouvoir du Fatah se traduit donc
par de longues files d’attente aux barrages, pendant que les notables du
cru se distribuent les bénéfices d’une gestion opaque et que les
Israéliens renforcent leur colonisation. La popularité du Hamas
s’accroît d’autant plus rapidement qu’en 1997, après une monumentale
bavure du Mossad en Jordanie, Benyamin Nétanyahou remet en liberté le
cheikh Yassine.
Le grand tournant interviendra à la fin de l’année 2000 avec
l’effondrement du processus d’Oslo et la seconde Intifada. Face au
soulèvement palestinien, l’armée israélienne applique de nouvelles
tactiques dont le but est de "graver dans la conscience" des
Palestiniens qu’ils n’obtiendront "rien par la violence". Bouclages
hermétiques des villes, couvre-feu, interdiction de circuler. En
parallèle, Tsahal impose une pression militaire continue sur l’Autorité
autonome palestinienne et les militants du Fatah, dans l’intention de
leur faire cesser les attentats.
Résultats : la population de Cisjordanie et de Gaza fait face à une
crise économique et sociale qu’elle n’avait pas connue depuis les années
1950. Israël, par ailleurs, démembre systématiquement les institutions
de l’Autorité palestinienne sans ouvrir aucune perspective politique.
L’Etat juif et la communauté internationale affaiblissent
considérablement les services de sécurité palestiniens, qui auraient pu,
s’ils leur en avaient donné les moyens, ramener le calme.
A Gaza, selon les services israéliens, le Hamas est désormais
militairement plus puissant que la police de Mahmoud Abbas. Quelques
analystes du Shin Beth et des renseignements militaires avaient lancé
des mises en garde contre des telles conséquences. Ils n’ont pas été
écoutés.
En février 2006, face à un Fatah usé par le pouvoir et la corruption,
les arguments du Hamas ne pouvaient que convaincre une population
exsangue. Le processus entamé en 1976 est parvenu à son terme. La
politique de tous les gouvernements israéliens, les erreurs et les
fautes de l’OLP et du Fatah ont donné le pouvoir aux Frères musulmans.