Le plan de paix d’Avigdor Lieberman présente une forme de logique semblable.
UN PLAN DE PAIX ? Lieberman ? Oh oui. Contrairement à tout ce que vous pouvez penser, Lieberman veut la paix, il aspire même ardemment à la paix. A tel point qu’il a passé des jours et des nuits à élaborer un plan complet de lui-même.
Cette semaine, il a convoqué les 170 diplomates israéliens de plus haut rang, l’élite de notre ministère des Affaires étrangères pour leur révéler ses pensées. Les opinions du ministre des Affaires étrangères sont bien sûr comme des instructions pour les diplomates, et dorénavant elles constituent la ligne directrice de toutes les missions diplomatiques israéliennes à travers le monde.
Mais tout d’abord, Lieberman a réglé ses comptes avec les Turcs. Ils exigent d’Israël des excuses pour le meurtre de neuf militants turcs sur le navire qui tentait de briser le blocus de Gaza. Les Turcs exigent aussi le paiement par Israël d’indemnités aux familles endeuillées. Ils insistent sur le fait que les soldats israéliens ont attaqué illégalement le navire turc en haute mer et tiré sur des militants non armés.
“Il n’y a pas de limite à leur culot,” a tonné Lieberman. Chacun sait que ce sont les Turcs eux-mêmes qui ont attaqué nos soldats qui descendaient innocemment de leurs hélicoptères et qui ont été obligés de tirer pour se défendre.
Lieberman savait, bien sûr, que Nétanyahou était en train de négocier avec les Turcs pour mettre fin au conflit. Le ministre de la Défense, Ehoud Barak, et les chefs de l’armée exerçaient des pressions sur lui pour qu’il rétablisse de bonnes relations avec Ankara, et en particulier avec les militaires turcs – relations qui, pensent-ils, ont une importance stratégique majeure pour Israël. Les Turcs de leur côté savent qu’Israël contrôle le Congrès américain et ils pensent donc aussi qu’un compromis serait une bonne chose pour eux. L’émissaire de Nétanyahou cherchait une formule qui éviterait des excuses et pourrait cependant satisfaire Ankara.
Lieberman a mis fin à cette conciliation. Nétanyahou ne peut pas se permettre d’apparaître comme une mauviette à côté de son macho de ministre des Affaires étrangères. Et donc il a déclaré qu’il ne présenterait jamais d’excuses.
Pour Lieberman, cela a représenté une victoire majeure. Nétanyahou a capitulé. Barak a été humilié. Les Turcs restent des ennemis. Qu’est-ce qu’un ministre des Affaires étrangères peut espérer de plus ?
MAIS LIEBERMAN ne se repose pas sur ses lauriers un seul instant. Lors de la même rencontre avec les 170 privilégiés, il a exposé son grand projet, le Plan B.
Pas si vite. Si ceci est un plan B, en quoi consiste le plan A ?
Nétanyahou, naturellement, n’a aucun plan de paix. Sa position officielle est que les Palestiniens doivent revenir à des négociations directes sans conditions préalables, mais seulement après avoir reconnu Israël comme “l’État du peuple juif” (ou, dans une autre version, comme “un État juif et démocratique”.) Il est clair qu’on ne peut pas attendre des Palestiniens qu’ils consentent à une condition préalable de ce genre.
Alors, à quel “Plan A” Lieberman fait-il allusion ? Pas à celui de Nétanyahou, mais à celui de Barack Obama. Le président américain a parlé de deux États avec une frontière entre eux fondée sur les limites de 1967 et Jérusalem Est pour capitale palestinienne.
En aucun cas, dit Lieberman. Et, comme le Juif qui était poursuivi pour le pot, il a lui aussi ses trois raisons :
Premièrement, nous n’avons pas de partenaire pour la paix.
Deuxièmement, le gouvernement israélien ne peut pas faire la paix.
Troisièmement, la paix n’est pas une bonne chose pour nous.
NOUS N’AVONS pas de partenaire pour la paix, parce que les Palestiniens ne veulent pas la paix. Lieberman, l’immigrant de Moldavie, connaît les Palestiniens beaucoup mieux qu’ils ne se connaissent eux-mêmes. Donc il affirme catégoriquement : “Même si nous offrons aux Palestiniens Tel Aviv et un retrait sur les frontières de 1947, ils trouveront une raison de ne pas signer un traité de paix.” (Les frontières de 1947 fixées par les Nations unies, donnaient à Israël 55% du pays, alors que les frontières de 1949-1967 en laissaient 78% à Israël).
Il est vrai que cette question pourrait se régler facilement : Israël pourrait s’engager dans des négociations en proposant un plan de paix selon les paramètres établis par Bill Clinton et adoptés par Barack Obama. Si les Palestiniens refusaient, nous ne perdrions rien et ils se couvriraient de honte aux yeux du monde entier.
Lieberman, à ce qu’il semble, n’a pas négligé une telle possibilité, et il a préparé un argument alternatif : nous ne pouvons pas négocier avec les Palestiniens parce qu’ils n’ont pas de direction légitime.
Pourquoi pas de direction légitime ? Ici Lieberman révèle le démocrate avec des principes qu’il y a en lui. Le mandat de Mahmoud Abbas est venu à expiration. L’Autorité palestinienne n’a pas tenu de nouvelles élections. Peut-on exiger d’Israël, le phare de la démocratie au Moyen Orient, de faire la paix avec une direction qui n’a pas été légalement élue ?
Il est clair que cela est impensable. Israël ne trahira pas ses principes sacrés. Un fervent démocrate comme Lieberman ne peut pas et ne veut pas y consentir.
En vérité, la grande majorité du peuple palestinien est d’avis qu’Abbas devrait mener les négociations. Même le Hamas a récemment déclaré (et ce n’est pas la première fois) que si Abbas obtient un accord de paix, et si cet accord est confirmé par le peuple palestinien dans un référendum, le Hamas l’accepterait, même si cet accord était contraire à ses principes.
Mais cela n’intéresse pas Lieberman. Il ne se compromettra pas dans des négociations avec une administration dont les références démocratiques sont sujettes à caution.
CELA N’EST PAS tellement important, parce que, selon Lieberman, Israël lui-même ne peut pas faire la paix.
Tout simplement parce qu’ “il y a de vives différences d’opinion au sein de la coalition”. Comme il le présente : “Je ne pense pas qu’il soit possible de trouver un commun dénominateur entre Eli Yishai et Ehoud Barak, ou entre moi et Dan Meridor, ou même au sein du Likoud entre Benny Begin et Michael Eitan (Meridor, Begin et Eitan sont tous ministres sans portefeuille)… Dans les circonstances politiques actuelles, il nous est impossible de présenter un plan de règlement définitif, parce que la coalition n’y survivrait tout simplement pas.
Pour Lieberman, comme pour Nétanyahou, le maintien de la coalition actuelle est clairement plus important que l’obtention d’un “règlement définitif”. En réalité, on pourrait facilement constituer une coalition de remplacement, fondée sur le Likoud, Kadima et le parti travailliste, mais, pour Lieberman – et, semble-t-il, pour Nétanyahu aussi – cette possibilité ne mérite pas d’être prise en considération.
LA CONCLUSION, pour Lieberman : la paix n’est pas possible, pas maintenant, pas dans les prochaines décennies.
Mais, par bonheur, il dispose d’une solution alternative bien meilleure qu’un accord de paix final.
Cela s’appelle “Accord intérimaire à long-terme”.
Cette semaine, Lieberman en a laissé filtrer les bases : “Un accroissement significatif de la coopération avec l’Autorité palestinienne dans les domaines de la sécurité et de l’économie… L’objectif du plan est de stabiliser encore davantage la situation en Cisjordanie et d’augmenter la coopération en matière de sécurité avec l’Autorité palestinienne afin de confier aux Palestiniens davantage de responsabilités sur le terrain pour ce qui concerne la sécurité.”
Ainsi est-il finalement possible de coopérer avec le régime illégitime de Mahmoud Abbas, s’il continue à collaborer avec l’armée israélienne et le Shin Bet pour empêcher les attentats en Israël et dans les colonies. Pour ce service, il sera bien rétribué : “Le Plan agira pour renforcer l’économie palestinienne de façon significative, en augmentant la liberté de circulation entre les villes palestiniennes de Cisjordanie et en apportant diverses mesures d’incitation économique.”
Autrement dit : en rétribution des services de l’Autorité palestinienne pour la sécurité d’Israël, Israël autorisera gracieusement les habitants de Naplouse à se rendre à Ramallah, et les habitants de Bethléem à Hébron. Les travailleurs palestiniens continueront de construire les colonies, dont le nombre augmentera considérablement, et la situation économique s’améliorera.
Le Plan fixe aussi des objectifs : le PNB par tête doit atteindre environ 20 000 dollars [le PNB des différents pays est traditionnellement mesuré en dollars plus qu’en euros] (plus de dix fois le niveau actuel). “Lorsque la situation économique au sein de l’Autorité Palestinienne sera semblable à celle d’Israël, il sera plus facile de reprendre les négociations politiques pour aboutir à un accord définitif.”
En d’autres termes : l’occupation va se poursuivre jusqu’à ce que l’un des éléments suivants se produise : ou bien le niveau de vie palestinien atteindra celui d’Israël ou bien le Messie viendra – quel que soit ce qui arrivera en premier. En tout cas, rien n’indique clairement que l’un ou l’autre se produise au cours des prochaines décennies.
EST-CE LÀ le plan du seul Lieberman, ou celui de Nétanyahou, aussi ?
Lorsqu’on l’a interrogé sur le discours de son ministre des Affaires étrangères, Nétanyahou a fourni une réponse évasive. N’importe quel ministre a le droit de dire tout ce qu’il veut, a-t-il dit, mais seule compte la politique officielle du gouvernement.
Bien, tout d’abord le ministre des Affaires étrangères n’est pas “n’importe quel ministre”. Les considérations politiques du secrétaire d’État aux Transports (s’il y en a un) n’ont peut-être pas d’importance, mais le ministre des Affaires étrangères est le porte-parole international de l’État, le représentant du gouvernement à l’étranger.
Mais Nétanyahou a poursuivi en déclarant que si des négociations reprennent et qu’elles se heurtent à un mur de briques, il est très possible qu’il n’y ait pas d’autre choix que de conclure un accord provisoire.
En pratique, c’est Nétanyahou lui-même qui bloque les négociations, parce qu’il refuse de geler la colonisation qu’il exige que les Palestiniens reconnaissent Israël comme un “État juif”. Et même si les négociations reprenaient, elles se heurteraient rapidement à un mur à cause de la position de notre gouvernement concernant Jérusalem Est et les frontières.
Alors, que reste-t-il ? Le provisoire éternel !