Photo : La marche des drapeaux sur Jérusalem, 18 mai 2023 - Source : Times of Gaza
Il y a parfois un événement à ce point extrême qu’il arrache le voile d’ignorance volontaire des yeux de la société juive-israélienne. Le pogrom de Huwara en février dernier, au cours duquel des centaines de colons ont incendié cette ville palestinienne de Cisjordanie occupée, était l’un d’eux. La semaine dernière, les pogroms à Turmus Ayya, Urif et Umm Safa ont levé le rideau encore plus haut, obligeant de nombreux Israéliens à regarder en face une réalité qui existe depuis longtemps et qui peut sans aucun doute s’aggraver.
Mais le problème principal ne réside pas tant dans le sous-produit de l’occupation - le terrorisme des colons juifs - que dans les activités routinières d’Israël dans les Territoires palestiniens occupés. En effet, la décision des responsables de la sécurité israélienne de qualifier les pogroms de « terrorisme » atteste que le voile n’a été que partiellement levé ; ils ne veulent tout simplement pas que le terrorisme juif interfère avec l’autorité de l’armée, du Shin Bet et de la police ou les mette dans l’embarras.
La colonisation est en soi un acte violent, qu’elle se fasse dans le cadre de la loi israélienne ou de celle qui la légitime rétroactivement. Elle est violente parce que les colons imposent leur présence aux autochtones et les privent de terres, d’eau, de liberté de mouvement et de leurs droits humains fondamentaux. Il s’agit d’un système de violence faite au nom de l’État.
La symbiose entre l’armée et les colons ne se limite pas à la violence ; elle existe également dans la compréhension de leur mission respective. Les colons définissent explicitement leur tâche comme étant la judaïsation de la région, et ils s’en acquittent de manière efficace et cohérente. La mission de l’armée n’est pas d’assurer la sécurité de tous les résidents des territoires - comme le droit international l’exige de la puissance occupante - mais plutôt de protéger les colons des réactions des Palestiniens de souche, qui ne sont pas autorisés à se défendre, ni avec l’aide des forces de sécurité palestiniennes, ni en par l’établissement de leur propre garde nationale. Le facteur qui détermine si la vie et les biens d’un résident de Cisjordanie seront protégés, est le fait qu’il soit juif ou non.
L’expansion des colonies en réponse à l’assassinat d’Israéliens - comme l’ont promis de le faire de principaux ministres du gouvernement la semaine dernière - n’est pas non plus une action civile inoffensive. Il s’agit d’une violence sans effusion de sang immédiate, mais qui engendrera inévitablement une résistance palestinienne, laquelle sera suivie d’une répression sanglante de l’armée.
Les Palestiniens ne sont tolérés que s’ils s’assimilent au paysage, devenant des objets inanimés qui renoncent à leur identité collective. Mais tant qu’ils la conservent, ils sont par définition des ennemis. L’armée et le Shin Bet continueront à les contrôler à l’aide de données biométriques et électromagnétiques qui permettent de suivre leur faits et gestes, leurs actions et leurs pensées telles qu’elles s’expriment dans les appels téléphoniques et sur les médias sociaux. La dépendance totale des Palestiniens à l’égard d’Israël pour l’obtention de permis permet aux autorités israéliennes de recueillir facilement des informations sur leur situation familiale et médicale, leurs tendances sexuelles, leurs faiblesses personnelles et leurs structures sociales, et d’utiliser ces informations pour les forcer à collaborer.
La suprématie juive est manifeste et le peuple palestinien est exsangue physiquement et politiquement. Cependant, à mesure que les colonies s’étendent et que l’armée intervient, les frictions augmentent, de même que la volonté des Palestiniens à réagir. Aujourd’hui, la violence palestinienne n’a que peu d’espoir de libérer la Cisjordanie ; la disparité de pouvoir entre les parties n’est que trop évidente. Elle vise plutôt à faire payer un prix, n’importe quel prix, aux colonisateurs.
Une frustration dangereuse
Cette résistance est une source de frustration pour les colons. Comment est-il possible que tout leur pouvoir et leur suprématie n’aient pas encore effacé l’identité et la résistance palestiniennes ? Cette frustration est à l’origine de pogroms comme ceux que nous avons vus la semaine dernière, qui poussent l’armée et le gouvernement à déployer encore plus de violence pour poursuivre le projet de colonisation. Il y a quelques jours, le colonel (réserviste) Moshe Hagar, directeur de l’école de préparation militaire dans la colonie de Beit Yatir, a appelé à la destruction d’une ville ou d’un village palestinien afin de donner une leçon aux Palestiniens. Par ailleurs, Bezalel Smotrich, qui est à la fois ministre des finances et ministre chargé des affaires civiles en Cisjordanie, a qualifié d’« erronée et dangereuse » toute comparaison entre ce qu’il appelle la « terreur arabe » et les « contre-opérations civiles ».
Leur frustration est aujourd’hui plus grande qu’elle ne l’était par le passé. Dans les années 80 et 90, les colons des territoires occupés sont passés d’un mouvement civil soutenu par l’establishment jusqu’à devenir l’establishment lui-même. Ils se sont frayé un chemin jusqu’aux organes exécutifs des branches civiles et sécuritaires du gouvernement qui contrôlent la population palestinienne et ses terres. Aujourd’hui, sous l’actuel gouvernement d’extrême droite, ils ont atteint à l’apogée de leurs pouvoirs. Ils ne conçoivent pas un instant de devoir le limiter, car le moteur de leurs ambitions politiques est parfaitement défini et sans équivoque. Ils ne doivent pas reculer.
L’idée de contenir le conflit pour ne pas en perdre le contrôle - comme le souhaitent l’armée, le Shin Bet et la police - est inacceptable pour ceux dont la frustration est à la hauteur de leur extrémisme politique et théologique. Les colons poussent les services de sécurité à agir conformément à la vision du colonel Hagar. Contrairement à l’opération « Rempart » de 2002, au cours de laquelle l’armée israélienne a détruit physiquement et politiquement l’Autorité palestinienne par des invasions urbaines dévastatrices, il n’y a plus aujourd’hui de dirigeants à décimer. L’Autorité palestinienne, sous la direction du président Mahmoud Abbas, l’a déjà fait au service d’Israël. L’appel de la droite israélienne à lancer le « Bouclier défensif II » est au contraire un appel à l’action prenant les civils palestiniens comme cible principale, plutôt que comme simple victimes collatérales acceptables.
La fin du conflit et la solution à deux États ne sont plus d’actualité ni pour le public israélien ni pour la communauté internationale. Faute de solution - ou plus exactement de volonté d’en trouver une - les gouvernements étrangers, y compris les États arabes, ont permis à Israël de créer un régime unique sur toute la région située entre le fleuve et la mer, sans avoir à déclarer officiellement l’annexion.
Le fait que deux groupes différents, soumis à la même souveraineté, relèvent de deux ensembles législatifs distincts, signifie que l’État d’Israël met en place des pratiques d’Aparthied, de suprématie raciale, et de régime militaire, non pas dans le cadre d’une politique étrangère, mais plutôt comme politique intérieure.
Traduit par : AFPS