C’est Kant qui a dit un jour que la critique était la meilleure invention de l’esprit.
Les questions sont peut-être la meilleure approche pour apprendre. La question du pourquoi les Libanais ont réussi à libérer le Sud Liban, alors que les Palestiniens ne le peuvent pas, est l’une des questions qui était le plus souvent posée au lendemain du succès de la guerre de libération des Libanais en mai 2000 et de la défense réussie lors de la guerre en juillet -août 2006.
Peut-être que l’une des meilleures façons de comprendre une situation comme le suggérait Léon Trotsky, est de comprendre les circonstances qui l’entourent. Avec sagesse, il pensait qu’avant de juger, nous devons comprendre. Avant de pouvoir comprendre, nous devons regarder les situations dans leur contexte historique.
Les exemples de l’histoire des mouvements nationaux et des résistances montrent que chaque expérience est unique.
L’expérience de Gandhi en libérant l’Inde des Anglais est différente de l’expérience de Nelson Mandela contre le régime d’Apartheid de l’Afrique du Sud.
L’expérience algérienne contre l’occupation française est différente de la lutte chypriote contre l’occupation britannique.
La même force d’occupation dans un pays peut être différente dans un autre pays, comme cela a été dans le cas de l’occupation israélienne au Liban et en Palestine.
Le seul dénominateur commun entre tous les mouvements nationaux et les résistances est le rejet du statu quo imposé par la puissance occupante.
La période d’après-guerre qui a suivi la guerre de juillet -août 2006 au Liban a apporté une vague de critiques envers le mouvement national palestinien qui étaient remplies d’appels à imiter les méthodes du Hezbollah.
Ces appels se focalisaient, selon moi, sur les résultats du conflit au sud Liban tout en ignorant les complications du conflit palestino -israélien. La plupart des commentaires tendaient à marginaliser la complexité de la lutte palestinienne.
Dans l’étude des conflits, les experts en science politique distinguent deux formes de conflit ; le premier est le "conflit d’intérêts" (le conflit de frontières, par exemple) et le second est le "conflit de valeurs" qui prend la forme de confrontation totale.
La lutte palestinienne appartient au "conflit de valeurs" ; le conflit concerne la terre, l’identité et même les traditions palestiniennes que les immigrés juifs polonais et russes prétendent être les leurs.
Le principal facteur compliquant la lutte palestinienne est la nature de l’occupation israélienne en Palestine. L’occupation israélienne en Palestine est à a fois idéologique et politique, alors que l’occupation israélienne du Sud Liban était seulement politique.
En d’autres termes, les sionistes voient leur conflit avec les Palestiniens comme étant un conflit existentiel, alors que peut-être ils n’ont pas cette vision dans les autres conflits.
Le fait qu’Israël se soit retiré du Sinaï et du Sud Liban et qu’il était prêt à négocier le retrait des Hauteurs du Golan, renforce, je pense, cette hypothèse.
L’importance de ce point est qu’il éclaire sur la nature des facteurs qui compliquent le conflit palestino-israélien. Ce n’est pas une occupation traditionnelle comme c’est le cas pour les projets coloniaux européens dans les pays du tiers monde, ni comme les premières colonisations européennes en Rhodésie, en Namibie ou dans l’ Afrique du Sud de l’Apartheid.
Les colons sionistes n’ont pas dépassé en nombre de façon décisive les Palestiniens autochtones comme c’était le cas des colons européens en Amérique du Nord et en Nouvelle Zélande, et ils ne sont pas non plus restés une minorité comme dans le cas de l’Afrique du Sud et de la Rhodésie.
Paradoxalement, le mouvement sioniste s’est allié avec le rôle colonial britannique contre les Palestiniens autochtones alors qu’en même temps, il se présentait à l’Occident comme un mouvement national pour d’autodétermination : Pour que cela soit plus clair, imaginez les colons blancs en Afrique dépeignant leur politique génocidaire contre les indigènes comme faisant partie de leur autodétermination.
En dehors du Hamas et du parti communiste palestinien, les partis palestiniens étaient le produit de la Diaspora palestinienne en l’absence d’un Etat national palestinien.
En conséquence, en l’absence d’une culture politique d’unification, la culture de parti est devenue un facteur dominant, fonctionnant comme une "Mini- Palestine" pour ses membres.
En d’autres termes, l’identification au parti a remplacé les auto-identifiants antérieurs tels que la famille et le clan. Cette culture s’est poursuivie même après que les dirigeants palestiniens sont revenus en Palestine après l’accord d’Oslo en 1993.
L’accord d’Oslo a mis les Palestiniens dans une situation où ils n’avaient pas de position claire : ils n’étaient ni un Etat ni un mouvement de libération comme c’était le cas avant 1993.
Selon l’opinion de nombreux Palestiniens tels que l’auteur palestinien Lubna Hamad, la direction palestinienne a été réduite d’un mouvement de libération à une représentation de l’occupation israélienne.
Des institutions palestiniennes imaginaires ont été créées alors qu’en réalité n’importe quel officier israélien sur un checkpoint a plus de pouvoir que le président palestinien.
Les Palestiniens n’ont aucun pouvoir sur leur terre, leur mer, leur espace aérien ou sur quoi que ce soit de réel dans leurs vies.
Ce pouvoir est resté entre les mains des officiers de l’armée israélienne, alors qu’en même temps l’Autorité palestinienne est "officiellement responsable". C’est une situation idéale pour l’Etat d’Israël, qui continue à occuper la Palestine mais sans payer un prix pour l’occupation.
Le Liban a été déclaré Etat indépendant en 1946, et le Liban est devenu un membre des Nations -Unies et d’autres organisations internationales. C’est une différence majeure.
La Palestine est un pays qui a été totalement rayé de la carte, à la différence du Liban dont une partie seulement du territoire a été occupée.
En d’autres termes, la résistance libanaise dans sa période laïque - comme cela était le cas pour le Front National Libanais - et dans sa phase actuelle avec le Hezbollah, a combattu l’occupation israélienne en étant soutenue par un Etat indépendant, en plus du soutien de la Syrie et de l’Iran.
La résistance libanaise combat l’extension du projet sioniste, alors que les Palestiniens combattent le coeur du projet sioniste, ce qui rend naturellement la lutte palestinienne plus difficile et plus compliquée.
Je ne considère pas cet article comme appartenant à la littérature apologiste. La crise actuelle en Palestine est grave et je pense qu’elle reflète les complications de la lutte palestinienne plus qu’elle ne reflète un conflit entre les "modérés" et les "extrémistes".
Le premier problème se trouve d’abord dans la nature de l’occupation. Le deuxième problème se situe dans l’absence d’unité du discours national palestinien. Peut -être plus que jamais depuis l’accord d’Oslo en 1993, les partis politiques palestiniens doivent discuter de nouvelles approches pour affronter l’occupation israélienne.
Il y a un grand besoin de redéfinir le projet de libération palestinien afin d’arriver à une stratégie palestinienne unie.
Est-ce que le mouvement national palestinien doit lutter pour un état laïc démocratique comme dans la Palestine historique ainsi qu’il avait commencé à le faire en 1965, ou les Palestiniens doivent-ils lutter pour une solution à deux Etats comme le suggèrent les 10 points du CNP [1]en 1974 ?
L’hésitation entre les deux projets et l’imprécision dans le projet national sont devenues, selon moi, des points de faiblesse dans le mouvement national palestinien.
Un point qui peut expliquer la victoire libanaise est que la lutte libanaise est simple ; elle était dirigée contre l’occupation militaire israélienne du sud Liban.
Par conséquent, la différence majeure entre la lutte libanaise et celle des Palestiniens repose sur un point principal ; la lutte libanaise est contre l’occupation militaire israélienne, alors que la lutte palestinienne est contre l’ensemble du projet sioniste.
Pour gagner la lutte nationale, les dirigeants palestiniens doivent préparer les bonnes conditions pour la victoire. La première étape vers la victoire est de réorganiser le projet national palestinien.