- Tous les yeux se tournent vers Tzipi Livni, dirigeante du parti Kadima. Pensez-vous qu’elle réussira à former une coalition gouvernementale, ou pensez-vous qu’il y aura des élections anticipées en Israël ?
– Je pense qu’aussi bien Kadima que le Parti travailliste, et même le Shas, aimeraient éviter des élections anticipées quoiqu’ils en disent car il est clair qu’il y a un glissement significatif à droite de l’opinion israélienne et que le Likoud s’est positionné de manière à profiter au maximum de ce glissement si bien qu’il pousse aux élections anticipées. Toutefois, Kadima ainsi que le Parti travailliste comprennent qu’ils sont en train de perdre des sièges ainsi que le soutien de l’opinion et que par conséquent ils ont besoin de temps pour se réorganiser. C’est pourquoi ils pourraient choisir de maintenir une coalition gouvernementale afin d’éviter des élections anticipées et essayer de créer un système qui ne fasse pas chavirer la barque et fonctionnera un temps. Ainsi, en fonction de ce que chaque composante de la coalition veut dans son propre intérêt il pourrait y avoir un accord. C’est à dire, si le parti Shas obtient l’avantage financier ou le siège qu’il convoite, si le Parti Travailliste obtient à nouveau la main sur les questions à l’ordre du jour des négociations ou son propre rôle dans le gouvernement. Le Shas, bien entendu exige des garanties sur Jérusalem et sur les négociations. En somme, il s’agit de se partager le gâteau de façon à répondre aux intérêts de chaque parti et au final qu’il s’auto-annule et soit impuissant à prendre la moindre décision sérieuse ou à franchir un pas décisif.
- Après avoir démissionné, Ehud Olmert a récemment affirmé qu’Israël devait rendre la Cisjordanie et Jérusalem-est aux Palestiniens, ce qu’il n’a jamais proposé lorsqu’il était en poste. Pourquoi pensez-vous qu’Olmert a choisi de faire cette déclaration maintenant sachant qu’il ne pouvait rien négocier ?
– Comme c’est le cas pour toutes les révélations au sein du pouvoir politique, ils interviennent généralement lorsque leurs auteurs n’ont plus rien à perdre, ce qui fait que comme d’habitude c’est “trop peu, trop tard”. Il sait qu’il n’est plus en poste. Il sait qu’il ne peut pas activement influencer la prise de décisions, mais dans un sens il peut influencer l’opinion publique. Il me semble que l’intérêt de telles déclarations est de les rendre actuelles, légitimes, acceptables, et de lancer un discours public ou un débat sur des sujets en brisant des tabous.
C’est pourquoi, bien que ce soit “trop peu, trop tard” , en dépit du fait qu’alors qu’il était au pouvoir il a bassement encouragé les colons et évité toute forme de contestation, inscrire cela sur ses états de service, au moins en ce qui concerne le domaine public, peut avoir du sens.
- Pensez-vous qu’il espérait que Livni , si tant est qu’elle devienne Premier ministre, adopterait ces positions ?
– S’il ne l’a pas fait, et n’a pas pu le faire, je ne sais pas comment il espère que T Livni pourra le faire, elle ; Mais, d’une certaine façon il espère que ce legs sera en quelque sorte revendiqué. Je ne pense pas qu’il ait beaucoup d’affection pour Livni, et il sait qu’elle va devoir faire face à un immense défi, plus encore que lui parce qu’aux coups de poignard dans le dos portés par Kadima et la coalition s’ajoute le facteur du genre. Elle a, par conséquent, plusieurs batailles à mener et je ne sais si elle s’en servira pour avancer et prendre des décisions fortes ou si cela servira seulement à restreindre sa liberté et à l’affaiblir ce qui aurait pour conséquence qu’elle serait dans l’incapacité de prendre des décisions.
- En général, comment les Palestiniens considèrent-ils Livni, elle qui a conduit l’équipe israélienne des négociations depuis Annapolis ? De la part des Palestiniens : confiance ou méfiance ?
– Tout d’abord, elle n’a pas négocié avec tous les Palestiniens. Les seules personnes qui la connaissent sont probablement les deux ou trois membres de l’équipe de négociation palestinienne. Donc, ce n’est pas du tout une question de confiance personnelle. Seuls importent son positionnement politique, son bilan politique, et ses déclarations publiques. Et c’est ainsi que l’opinion publique palestinienne dans son ensemble juge les politiques. Je ne crois pas que l’on négocie sur la base de la confiance. On négocie sur la base de l’honnêteté et de la franchise en représentant son peuple et ses intérêts supérieurs. C’est pourquoi notre équipe de négociation aurait du se concentrer sur cela plutôt que sur l’amitié ou l’inimitié qu’ils porteraient à leurs homologues et la confiance qu’ils leur feraient, c’est hors de propos. Par exemple, les meilleurs accords sont parfois signés entre ceux qui ne se font pas confiance parce que dans ces cas là vous ne laissez rien au hasard. Parfois, les personnes qui s’apprécient ou se font confiance laissent de côté certaines questions ou tentent de s’apaiser mutuellement et ainsi de suite. C’est pourquoi les accords qu’ils signent ne sont pas “étanches”.
Ce n’est pas de confiance que nous avons besoin maintenant. Nous avons besoin d’une évaluation franche et courageuse des conditions qui permettront de mettre fin à l’occupation, au véritable désengagement après la fin de l’occupation résultant d’ accords basés sur la loi internationale et la justice. C’est de cela que nous avons besoin. Si qui que ce soit est capable de produire cela côté israélien, c’est bien. Mais ceci n’est ni un appel personnel, ni un jugement ;
- Si Livni devient le prochain Premier ministre israélien, quel impact cela aurait-il sur les négociations avec les Palestiniens ?
– Ses affirmations publiques, et pour l’instant nous la jugeons seulement sur ses déclarations publiques, indiquent qu’elle va poursuivre les négociations, selon ses déclarations d’intention, si on peut dire. Elle veut avancer, et rapidement.
Mais il existe aussi dans le discours public des positions concernant les réfugiés et Jérusalem qui sont difficiles et qui pourraient générer des obstacles aux négociations. Si ce ne sont pas seulement des négociations pour des négociations, je suis sûre qu’elle poursuivra sur ces sujets . La vraie question c’est : quelle est sa position de fond sur les négociations ? Si vous excluez Jérusalem et si vous niez les réfugiés vous n’irez nulle part. A l’intérieur de sa coalition elle pourrait avoir à faire un compromis avec le Shas sur Jérusalem. Elle pourrait d’un côté promettre aux Travaillistes la poursuite des négociations et de l’autre côté avoir la même attitude qu’ont eue avant elle tous les dirigeants israéliens sur la colonisation et son expansion.
- Vous sentez- vous des affinités avec Livni, parce qu’elle est comme vous une femme en politique dans un univers dominé par les hommes ?
– Je comprends qu’elle porte un fardeau supplémentaire, je comprends qu’elle doit faire face à davantage de défis. Je peux être en désaccord politique mais, en tant que femme, je sais ce que cela veut dire d’être une femme dans un club exclusivement masculin dans lequel les attaques peuvent être très violentes, dans lequel surviennent des tentatives de délégitimation, d’exclusion ou de sape du statut d’une femme. Il est très facile de juger les femmes à l’aide de critères plus rigoureux. Il est très facile d’essayer de faire tomber les femmes par des moyens cruels…et ainsi de suite.
C’est un domaine de la politique que je comprends, et je sais
ce à quoi elle doit faire face. Mais je sais aussi que si une femme doit réussir en politique elle ne doit pas adopter la culture masculine habituelle et dominante, ni l’attitude, ni la politique du pouvoir et de l’intimidation. Si une femme doit réussir en politique elle doit y apporter son genre. Tenter de devenir la version édulcorée de l’homme politique ne conduit nulle part parce qu’il y a des hommes politiques qui seront encore plus violents, plus cruels, davantage motivés par le pouvoir
que par le consensus, la bonne gouvernance, les questions de justice, etc. Si elle veut faire la différence en tant que femme elle doit comprendre qu’elle ne peut combattre la discrimination contre les femmes mais permettre la discrimination contre les Palestiniens. Elle ne peut combattre l’injustice chez elle et autoriser la poursuite de l’occupation. Elle ne peut combattre pour l’auto-détermination des femmes et nier l’auto-détermination de toute la nation palestinienne. Elle ne peut pas combattre sur son propre terrain en tant que femme et ensuite dépouiller une nation entière de son territoire. Ainsi, ces choses doivent faire partie de son être. Elle doit être loyale à son genre.