Goliath aussi avait le droit de se défendre. C’est ce que nous pouvons comprendre d’après les propos du député Nissan Slomiansky (du Foyer Juif), président de la commission parlementaire de la Constitution, du Droit et de la Justice, quand il a présenté le projet de loi demandant que les lanceurs de pierres soient punis plus sévèrement. “David a tué d’une pierre Goliath, le plus vigoureux de tous les Philistins” a déclaré Slomiansky. “Autrement dit, une pierre peut tuer”.
Depuis les débuts de notre état nous avons eu besoin des images bibliques pour renforcer notre emprise. Autant que je m’en souvienne, à l’école nos professeurs se sont toujours glorifiés du fait que nous étions David et qu’il n’y avait seulement besoin d’un coup de fronde pour tuer Goliath, mais aussi d’intelligence et d’agilité.
Que notre joie du malheur d’autrui a été grande à l’égard du colossal et lourdaud Goliath. Bien que nous n’ayons jamais été “David” contre les Palestiniens, c’est ainsi que nous avons prétendu être. Slomiansky a renoncé à cette prétention, et sa franchise est louable. Il aurait pu citer les statistiques sur les jets de pierre et sa répartition par région dans le Yeshastan (Yesha = Judée-Samarie, appellation israélienne de la Cisjordanie). Mais il a eu du mal à renoncer au mythe fondateur. En fait, il a renversé son utilisation et a apporté la preuve de qui nous sommes réellement : Goliath. Goliath, la victime. Le malheureux Goliath, l’éternel perdant.
La loi amendée durcissant le châtiment de ceux reconnus coupable de jet de pierre n’est pas exceptionnelle. C’est tout bonnement l’expression du traitement traditionnel, vieux de 48 ans, envers ceux que nous occupons.
Nous refusons d’écouter leurs objections à notre autorité et la pure logique de leur résistance. Au lieu de cela, nous y répondons par des moyens plus durs. Nous répondons à la violence palestinienne qui a toujours et encore été une réponse à notre violence primordiale avec maintes fois une plus grande férocité. Et nous considérons ceux qui résistent comme des criminels.
Les Palestiniens ne sont pas les premiers à répondre par la violence à la violence institutionnelle – à la fois militaire et bureaucratique – qui leur est imposée. Et nous n’avons pas la propriété exclusive de la criminalisation de la lutte pour l’indépendance. Les prisons d’autres pays répressifs ont été et sont encore remplies de prisonniers – des résistants – et, comme ici, leurs législateurs et leurs juges ont trouvé et trouvent des arguments savants pour criminaliser toute protestation contre l’injustice.
Depuis 1967, Israël a arrêté et emprisonné quelques 800.000 Palestiniens (selon les estimations du Ministère palestinien des prisonniers). Selon les estimations palestiniennes, quelques 70 % des familles palestiniennes ont eu un ou plusieurs membres de leur famille qui ont purgé une peine dans une prison israélienne, pour des actions contre l’occupation. Ainsi, la conclusion de nos sages dirigeants est que cela n’est pas assez et que nous devons atteindre les 105% des familles.
Nous avons déclaré l’Organisation de Libération de la Palestine organisation interdite et réprimé toutes ses activités – et le Jihad Islamique et le Hamas ont fleuri. Nous avons répondu aux pierres de ceux qui se sont soulevés au cours de la première Intifada par des machines jetant des rochers et par des os brisés, l’assassinat des manifestants et des couvre-feux. Voilà comment nous avons préparé le terrain pour le soutien populaire à la militarisation du soulèvement.
Aux comités populaires et aux dirigeants, nous avons répondu par des camps de détention collective. Quatre cents militants du Hamas ont été déportés au Liban – une occasion en or pour créer une communion politique, militaire et patriotique pour laquelle le Mouvement Islamique devrait à ce jour être reconnaissant à Israël.
Nous avons trouvé une réponse très intelligente à la bonne volonté de l’OLP d’arriver à un accord : la tromperie d’Oslo. Vous, Palestiniens, continuerez à vivre dans nos enclaves ; nous développerons notre emprise sur le Yeshastan (en incluant Jérusalem-Est) et le monde appellera ceci le processus de paix.
Nous avons trouvé aussi une réponse appropriée au massacre perpétré en 1994 à Hébron par Baruch Goldstein. Un couvre-feu et la destruction de l’ancienne Hébron palestinienne. Les attentats-suicides servent à justifier de façon rétroactive l’ensemble de la répression et les assassinats intervenus auparavant. L’oppression fonctionne pendant un temps – et ensuite arrive une autre explosion.
La réponse immédiate des Forces de Défense d’Israël aux manifestations pendant la seconde Intifada a été le massacre des manifestants. Elle a réinventé la punition collective à la suite d’un tir palestinien isolé. La réponse aux attentats-suicides a été les incursions et les assassinats collectifs ; aux roquettes Qassam, la destruction de quartiers entiers ; aux roquettes Grad, des destructions encore plus importantes ; et aux roquettes iraniennes, la destruction de tout Gaza. Et nous avons toujours donné notre accord à l’arme de fin du monde : le plus grand vol de terres en Cisjordanie et à Jérusalem-Est.
Nos législateurs et nos dirigeants nous disent de façon répétée que tout ceci est de la faute des Palestiniens. Ces criminels insensés ne comprennent pas le langage de l’oppression. Ils ne comprennent pas le pauvre Goliath et ses capacités. Regardez, un peu plus de morts, un peu plus de prisonniers et de blessés – alors ils comprendront.
C’est pourquoi, satisfaits de l’explication par la bêtise des Palestiniens, le pays qui pousse rapidement ne se pose pas de question à lui-même. Peut-être que ces méthodes que nos dirigeants utilisent, tout simplement ne marchent pas ? La génération de la contestation sociale, si satisfaite de sa critique sur les pensions de l’armée permanente, continue à soutenir le concept d’escalade. Aussi longtemps que le Yeshastan est concerné, la nation de la haute technologie et des manifestations sociales refuse d’en arriver à la conclusion que ce qui a échoué c’est l’oppression.
(traduit de l’anglais par Y. Jardin, membre du GT de l’AFPS sur les prisonniers)