1. Introduction
Lors de sa visite à Gaza en juin 2013, Catherine Ashton, Haute Représentante de l’Union européenne pour les Affaires étrangères et la Politique de Sécurité, a déclaré : “J’ai choisi de venir ici pour mettre l’accent sur la situation à Gaza, et pour dire que nous soutenons le travail de l’UNRWA (Office de secours et de travaux des Nations Unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient) et que nous voulons qu’il y ait un avenir pour la population de Gaza”. Elle a ajouté : “Nous voulons voir les points de passage s’ouvrir et la situation économique s’améliorer”.
Depuis, la situation de la Bande de Gaza s’est considérablement détériorée du fait des événements récents en Égypte, entraînant notamment la suppression de la solution précaire des tunnels pour fournir des produits à l’économie palestinienne à Gaza, et rendant la circulation des personnes de et vers Gaza encore plus difficile qu’auparavant. Quelle que soit l’appréciation que nous pouvons avoir sur la politique égyptienne, la Bande de Gaza est un territoire palestinien occupé par Israël, qui porte l’entière responsabilité de sa situation. En dépit de cette responsabilité, les autorités israéliennes ont récemment pris des mesures scandaleuses pour refuser l’accès de la Bande de Gaza à une délégation officielle du Parlement européen, prévue du 27 au 30 octobre 2013.
De plus, la politique israélienne, appliquée de longue date, qui consiste à séparer la Bande de Gaza de la Cisjordanie, affecte profondément toute solution d’un Etat palestinien.
Les protestations ne suffisent plus, les autorités européennes et le Parlement doivent exprimer des exigences claires au gouvernement israélien, et des sanctions doivent être prises si ces exigences ne sont pas satisfaites.
2. Demandes clés
Nous demandons au Parlement européen, au Conseil des affaires étrangères et à la Haute Représentante de l’Union pour les Affaires étrangères et la Politique de Sécurité, de formuler aux autorités israéliennes des demandes impératives pour des actions immédiates, des actions à court terme et des actions à moyen terme.
Les mesures qui doivent être prises immédiatement sont les suivantes :
• mettre fin au blocus israélien de Gaza, permettre l’importation et l’exportation de tous les produits par les points de passage israéliens ;
• mettre en place, sans conditions, pour tous les citoyens palestiniens de Gaza, un passage d’urgence à travers la Cisjordanie pour leurs voyages à l’étranger ;
• rétablir pour les pêcheurs palestiniens le droit de pêcher dans l’ensemble des eaux territoriales, sur au moins 20 miles marins, et cesser immédiatement les attaques contre eux ;
• arrêter immédiatement toute attaque contre les cultivateurs palestiniens, autoriser librement les cultures dans la « zone tampon » ;
• permettre à tous les étudiants palestiniens d’aller étudier dans n’importe quelle université palestinienne, où qu’elle soit, dans la Bande de Gaza ou en Cisjordanie ;
• permettre aux familles vivant dans la Bande de Gaza, de rendre visite à leurs prisonniers.
En parallèle, il est de la responsabilité des autorités égyptiennes d’ouvrir immédiatement le passage de Rafah à toutes les catégories de population, et d’établir, à côté de ce passage, un passage légal pour les marchandises et tous les types de biens.
Les mesures qui doivent être prises à très court terme sont les suivantes :
• établir un passage complètement sécurisé entre la Bande de Gaza et la Cisjordanie, permettant le libre passage des personnes et des produits sans condition ; ceci constituait un engagement très important des accords d’Oslo, régulièrement rappelé et jamais mis en application ;
• arrêter immédiatement tout pompage de l’eau souterraine entre les collines d’Hébron et la Bande de Gaza, et prendre toutes les mesures nécessaires pour arrêter la dégradation de l’eau souterraine dans la Bande de Gaza.
Il est aussi nécessaire de préparer immédiatement le moyen terme :
• préparer la reconstruction de l’aéroport de Gaza,
• lancer la construction du port de Gaza,
• accélérer tous les projets d’infrastructure, en particulier ceux concernant le traitement des eaux usées, la distribution d’eau et la production d’électricité,
• préparer l’exploitation des ressources palestiniennes de gaz naturel offshore, au large de Gaza,
• établir des circuits d’importation et d’exportation indépendants d’Israël et soutenir la reconstruction d’une industrie palestinienne à Gaza.
Toutes ces mesures sont réalistes. Elles doivent être mises en application et l’Union européenne peut largement y contribuer. Les simples déclarations, orales ou écrites, ont montré leur insuffisance. L’Union européenne ne peut plus se contenter de donner de l’argent pour atténuer certains effets du blocus illégal de la Bande de Gaza. L’Union européenne et ses États membres doivent vraiment faire pression sur Israël pour que ces mesures soient mises en œuvre. Des sanctions doivent clairement être envisagées si ces mesures ne sont pas mises en œuvre par Israël, sanctions allant jusqu’à la suspension de l’Accord d’association entre l’Union européenne et Israël, sur la base de l’article 2 de l’Accord.
3. Rappel de la situation dans la bande de Gaza
Les autorités israéliennes continuent d’imposer à Gaza un blocus illégal, qui affecte tous les aspects de la vie quotidienne. Selon l’ « appel consolidé » de l’OCHA (Office des Nations unies pour la coordination des actions humanitaires) en 2012 [1], « les moyens de subsistance demeurent sévèrement restreints par des politiques qui limitent l’accès aux zones offrant les meilleures perspectives pour l’agriculture et la pêche. Les restrictions sur le mouvement des biens et des personnes vers Gaza ont créé des problèmes chroniques dans les services de santé, l’éducation, les installations de nettoyage, d’assainissement et d’hygiène ». Nous donnons des chiffres détaillés dans l’annexe 1.
Comme de nombreuses autres organisations, B’Tselem par exemple [2], nous devons aussi rappeler que le siège continu de la Bande de Gaza, joint à un blocus quasi-total qui dure depuis encore plus longtemps, a ruiné l’économie palestinienne de Gaza, précipitant une majorité de la population en-dessous du seuil de pauvreté.
Depuis juillet-août 2013, avec la destruction des tunnels par les autorités égyptiennes, la situation s’est dégradée de manière encore plus dramatique pour la population de Gaza, qui dépend maintenant totalement des décisions israéliennes. Depuis des mois, la population de Gaza vit une pénurie dramatique d’électricité (actuellement disponible 4 heures par jour) et de carburant, - qui affecte tous les secteurs de l’économie, en particulier les transports et le pompage de l’eau -, de gaz pour la cuisine et le chauffage, de matériaux de construction.
Comme l’a indiqué le responsable de l’UNRWA Chris Guinness [3], les effets des inondations de décembre dernier ont été accrus dramatiquement par l’état des infrastructures à Gaza, et par le manque d’électricité et de carburant pour le pompage.
Les habitants de la Bande de Gaza sont confrontés à des restrictions de circulation très sévères ; récemment des centaines d’étudiants inscrits dans des universités étrangères pour un Master se sont vus refuser l’autorisation de sortie de Gaza. Les ONG internationales ont de plus en plus de difficultés à entrer dans la Bande de Gaza. Les familles dispersées entre la Cisjordanie et la Bande de Gaza se voient toujours refuser la possibilité de se rencontrer, les familles de prisonniers de la Bande de Gaza n’ont pas le droit de leur rendre visite.
Malgré cela, la population palestinienne de Gaza, de manière remarquable, s’efforce de vivre en maintenant un haut niveau d’éducation et même une création artistique vivante. Nous devons toujours nous souvenir que Gaza n’est pas victime d’une catastrophe naturelle, mais du choix stratégique de la puissance d’occupation, Israël, d’étrangler systématiquement sa vie économique, culturelle et sociale. Cette manière d’agir de la part d’Israël est devenue particulièrement choquante et visible depuis le début du siège en 2007, mais elle a commencé il y a plus longtemps, dès les années 90.
4. Israël est responsable de la situation dans la Bande de Gaza
Israël est partie à la Quatrième Convention de Genève de 1949. La Quatrième Convention de Genève sur l’occupation s’applique à Gaza puisqu’Israël continue d’exercer un contrôle sur l’espace aérien, l’espace maritime et les frontières terrestres de Gaza, ainsi que sur ses réseaux d’électricité, d’eau, d’eaux usées et de télécommunications et sur le registre de la population. Les puissances occupantes ont le devoir de garantir la sécurité et le bien-être de la population civile dans les zones sous leur contrôle. Le blocus continu par Israël de la Bande de Gaza, mesure qui prive la population de nourriture, de carburant et d’autres produits et services nécessaires, constitue une forme de punition collective en violation de l’article 33 de la Quatrième Convention de Genève.
Nous devons aussi rappeler que les forces israéliennes ont complètement et à plusieurs reprises détruit l’aéroport de Gaza (construit avec des fonds de l’UE), rendu impossible le projet de port de Gaza, et détruit un nombre considérable d’infrastructures vitales et la plupart des usines pendant l’opération dite « Plomb Durci ».
Alors que l’industrie a été détruite, soit physiquement par les bombardements, soit économiquement par le blocus, la zone de pêche des pêcheurs palestiniens a été limitée de façon arbitraire à une zone minuscule de 3 miles nautiques, et une partie considérable de la terre agricole a été rendue inutilisable en raison de la « zone tampon » mise en place unilatéralement par les forces militaires israéliennes.
La dégradation extrême de la situation économique et sociale dans la Bande de Gaza est le résultat d’une politique israélienne systématique.
5. L’Union Européenne, en collaboration avec les Nations Unies, a officiellement pris position contre le blocus
La position de l’UE sur le blocus est sans équivoque : l’UE appelle à l’ouverture immédiate, durable et inconditionnelle des points de passage pour l’acheminement de l’aide humanitaire, des marchandises et des personnes de et vers Gaza. L’UE estime que les changements sur le terrain qui ont suivi la décision du gouvernement israélien de juin 2010 d’assouplir le siège ont été limités et insuffisants [4].
Le Parlement européen, après l’opération militaire israélienne contre la flottille humanitaire en 2010, a adopté une résolution sur le blocus de Gaza. Il exhorte « Israël à mettre immédiatement fin au blocus sur Gaza, qui a abouti à un désastre humanitaire et une radicalisation croissante, qui est devenue une source d’insécurité pour Israël et pour la région dans son ensemble. » Il appelle également « la Haute Représentante et les États membres de l’UE à prendre des mesures qui assurent l’ouverture durable de tous les points de passage de et vers Gaza, y compris le port de Gaza, avec une supervision internationale adéquate, pour permettre une circulation sans entrave des biens humanitaires et commerciaux nécessaires à la reconstruction et à une économie autonome, ainsi que les flux monétaires et la libre circulation des personnes. »
Quant aux Nations Unies, elles ont plusieurs fois rappelé « la nature inacceptable, insoutenable et contreproductive » [5] du blocus de la Bande de Gaza.
Nous devons aussi rappeler que l’attaque israélienne sur Gaza pendant l’hiver 2008/2009 a entraîné la mort de 1400 Palestiniens et 13 Israéliens. Elle comprenait des attaques délibérées contre des civils et des installations non militaires, parmi lesquelles les systèmes d’approvisionnement en eau et d’assainissement, des hôpitaux, des écoles et des immeubles résidentiels. Israël a failli à son obligation de mener des enquêtes indépendantes, impartiales et approfondies sur les violations du droit international qui ont été commises. Ces enquêtes étaient exigées dans le « rapport Goldstone » – approuvé par l’Assemblée générale des Nations Unies et par le Conseil des Nations Unies pour les droits de l’homme – et réclamées par l’Union Européenne.
ANNEXE 1 : QUELQUES CHIFFRES EXTRAITS DU RAPPORT OCHA 2012
– Depuis 2000, au moins 70% des familles vivant près des zones à accès restreint ont été déplacées soit temporairement soit de façon permanente.
– De plus, au moins 20.000 personnes sont toujours déplacées depuis l’Opération Plomb Durci.
– Les restrictions à la liberté de circulation continuent d’affecter tous les aspects de la vie des civils : elles sapent la croissance économique, affectent l’emploi et les moyens de subsistance et limitent l’accès aux services de base. Ces restrictions ont également un effet néfaste sur l’unité familiale, les rôles respectifs des hommes et des femmes, et l’accès aux droits politiques, religieux, économiques et culturels.
– 80% des écoles du gouvernement et 95% de celles de l’UNRWA fonctionnent en double horaire pour faire face à la pénurie.
– 63 % des centres de santé et 50% des hôpitaux manquent des infrastructures de base, 23% de l’équipement médical n’est pas fonctionnel, 38% des médicaments essentiels et 23% des consommables sont en rupture de stock.
– Plus de 1,1 million de personnes courent le risque de consommer de l’eau de mauvaise qualité ou contaminée.
– Dans tout le territoire occupé, l’agriculture de subsistance est sous une pression énorme, d’un accès qui se restreint aux installations, services et marchés nécessaires à sa production, à la pénurie d’eau et au risque d’une flambée des maladies animales et végétales. A Gaza, 35% de la terre arable et 85% de l’espace maritime sont totalement ou partiellement inaccessibles aux éleveurs et aux pêcheurs.
– C’est un dé-développement progressif mais dévastateur qui est provoqué par le blocus, maintenant dans sa cinquième année. L’économie reste sinistrée et la majorité de la population continue de dépendre de l’aide humanitaire pour répondre à ses besoins de base.
– Plus de la moitié de la population de Gaza est en insécurité alimentaire. Il s’agit notamment des familles qui ont subi la perte de leur logement et autres biens pendant et après l’offensive israélienne de 2008/2009, ainsi que de celles qui souffrent de l’absence de toute opportunité de revenus, c’est-à-dire du chômage, à cause d’un secteur privé moribond.