Comment se fait-il que la pauvreté ait augmenté dans les Territoires palestiniens malgré une précédente aide étrangère de 3,8 milliards de dollars apportée à l’Autorité palestinienne ? Cela ne montre-t-il pas les limites de ces aides internationales ?
R B - L’aide internationale, en particulier depuis que la bande de Gaza est passée sous le contrôle du Hamas, est allée surtout à la Cisjordanie. Le premier ministre de l’Autorité palestinienne Salam Fayyad, ancien directeur du FMI dans les Territoires palestiniens, a commencé à y mettre en place son plan de restructuration de l’administration palestinienne. Cet homme considéré comme fiable et compétent bénéficie de la confiance de la communauté internationale. D’où l’ampleur des aides étrangères attendues cette année.
Mais à Gaza, du fait du boycott international imposé depuis que le Hamas a pris le pouvoir, l’aide internationale n’arrive pas. Or près d’1,5 million de personnes, soit largement plus du tiers de la population des Territoires palestiniens, vit à Gaza dans une pauvreté absolue. Gaza ne survit que sous perfusion vitale, ne recevant que le minimum par les postes de frontières contrôlés par Israël. L’activité économique est réduite quasiment à néant. Son économie désastreuse plombe donc celle des Territoires palestiniens.
D’autre part, si en Cisjordanie l’aide arrive, elle ne permet cependant pas de faire redémarrer l’économie car la liberté de circulation n’existe pas. On dénombre de 500 à 600 barrages, check points, etc., dans les Territoires, rendant très difficile, voire empêchant, la circulation des personnes et des biens.
Les problèmes d’ordre politique auxquels est confrontée l’Autorité palestinienne, le Hamas d’un côté et Israël de l’autre, ne risquent-ils pas de réduire à néant les efforts fournis pour redresser l’économie des Territoires palestiniens ?
R B - L’aide étrangère, attendue autour de 5,6 milliards de dollars sur 3 ans, va être affectée à la restructuration de l’administration palestinienne en Cisjordanie mais aussi à Gaza. Pour éviter que cet argent ne tombe aux mains du Hamas, Salam Fayyad a déjà mis en place, avant la conférence de Paris, un système qui permet que chaque fonctionnaire établi à Gaza possède un compte bancaire pour être directement payé par l’Autorité palestinienne et sans intermédiaire. Autre exemple de mesure prise pour assécher le Hamas : l’Autorité palestinienne a récemment décidé que les habitants de Gaza ne paieraient plus de taxes sur la délivrance de documents administratifs, ce qui facilite aussi la vie de ces Palestiniens déjà très pauvres. A ce titre, cette conférence a une signification économique mais aussi politique. L’Autorité palestinienne veut montrer aux Palestiniens de Gaza que ceux qui restent sous son contrôle, par opposition au Hamas, sont payés. Que d’un côté cela fonctionne quand de l’autre cela dysfonctionne.
L’Autorité palestinienne a par ailleurs été soulagée financièrement, également avant la conférence de Paris, par le règlement de la dette israélienne : les Israéliens ont reversé aux Palestiniens notamment les droits de douanes qu’ils leur devaient, ce qui a permis de compenser les retards de versement des salaires aux fonctionnaires. Pour la bande de Gaza, les salaires des fonctionnaires, l’eau et l’électricité achetées à Israël ont été payés.
Pour ce qui est du problème politique avec Israël, la difficulté majeure est celle de la restriction de circulation. Si les barrages restent en place, si les zones à circulation limitée comme dans la vallée du Jourdain demeurent, si le mur continue d’être construit, si les Territoires palestiniens restent divisés en cantons, l’accès des Palestiniens aux différentes zones, ainsi qu’au marché israélien, qui représente un débouché majeur pour l’agriculture palestinienne, ne pourra être amélioré. Il faut que les matières premières entrent et que les produits sortent, qu’ils puissent circuler des zones de production aux zones de consommation.
De plus, Israël continue de faire des complications pour les projets lancés avec l’aide étrangère. Par exemple, l’armée et le ministère de la défense israéliens s’opposent au tracé prévu par le projet de "corridor de la paix", financé en majeure partie par les Japonais, qui irait de la frontière jordanienne jusqu’à Jéricho, voire jusqu’à Ramallah, car ce couloir traverserait la vallée du Jourdain.
La proposition faite par Sarkozy d’une force internationale dans les Territoires palestiniens a-t-elle des chances de voir le jour ? Contribuera-t-elle véritablement à résoudre ces problèmes ?
R B - Cette proposition aurait été intéressante il y a quelques années, pour soutenir l’Autorité palestinienne dès ses débuts. Les Palestiniens demandent d’ailleurs le déploiement d’une telle force depuis le commencement des négociations, mais les Israéliens y sont toujours opposés. Pourquoi y seraient-ils favorables aujourd’hui ? La présence de cette force internationale aurait comme effet positif de concourir à assurer la normalisation dans les Territoires palestiniens. Elle aiderait l’Autorité palestinienne à reprendre le contrôle de Gaza. Mais pour cela, il faudrait au préalable que l’Autorité palestinienne et le Hamas se soient mis d’accord. Sans cet accord, la force risquerait de se retrouver coincée comme les casques bleus au Liban.
L’idéal serait aussi que cette force, en assurant une stabilisation des territoires, conduise les Israéliens à retirer leurs propres troupes… C’est, à mon sens, une utopie. Les Israéliens ne partiront pas sans avoir d’abord conclu un accord avec les Palestiniens garantissant leur sécurité. Autrement dit, il faudrait au préalable que les discussions lancées lors de la conférence d’Annapolis réussissent, que les problèmes cruciaux du droit au retour des réfugiés, des frontières, du statut de Jérusalem, soient réglés, pour pouvoir envisager le déploiement de cette force internationale.
C’est un accord de coexistence entre la Palestine et Israël qui apportera les conditions politiques nécessaires au redémarrage de l’économie palestinienne.