Des soldats israéliens dansant avec des Palestiniens. Des soldats israéliens dansant avec des Palestiniens.
"Faites la guerre, pas l’amour." C’est en substance le message que vient d’adresser l’armée israélienne à deux de ses soldats qui ont approché d’un peu trop près l’ennemi palestinien, rapporte le quotidien israélien Haaretz. Rien ne laissait pourtant présager un tel scénario. Lundi, les membres de la brigade d’élite Givati effectuent une patrouille de routine dans le quartier de Jaabra, à Hébron. Cette ville du sud de la Cisjordanie est ultra-sensible, car c’est la seule du territoire palestinien dans laquelle une colonie israélienne (600 habitants) est installée. La cité, qui abrite le tombeau des Patriarches, est divisée en deux zones. Si l’essentiel de la ville demeure sous contrôle palestinien, la vieille ville et l’enclave juive sont aux mains des Israéliens. Seuls des murs et des barbelés séparent les deux populations, sous le haut contrôle des unités de Tsahal, qui n’hésitent pas à faire usage de la force.
Ce 26 août, deux jeunes soldats israéliens sont interpellés par une musique endiablée en provenance du sous-sol d’une habitation. Envoûtés, ils se rendent sur place pour en avoir le coeur net et tombent nez à nez avec une horde de jeunes Palestiniens, mains brandies vers le ciel. La foule est en train de se trémousser sur le tube "Gangnam style" du chanteur sud-coréen Psy. Littéralement captivés, les deux jeunes Israéliens ne peuvent s’empêcher de rejoindre leurs frères ennemis pour se déhancher à leur tour.
Soldats en transe
Fusil à la main et casque sur la tête, les deux soldats sont en transe. Le premier se hisse même sur les épaules d’un jeune danseur palestinien tandis que le second, main dans la main avec l’un de ses hôtes, sautille à n’en plus finir sur le refrain. Pendant ce temps, à quelques kilomètres de là, dans le camp de Qalandiya, trois jeunes réfugiés palestiniens sont abattus par des gardes-frontières israéliens, après des heurts qui ont suivi l’arrestation de l’un d’entre eux.
L’ambiance est tout autre à Hébron. Dans la clameur générale, les deux "invités-surprises" sont érigés en héros. Unique, la scène, qui dure plusieurs minutes, est immortalisée par les nombreux téléphones portables de la salle, avant d’être postée sur YouTube. En quelques heures, la vidéo atteint des dizaines de milliers de vues. "Cette vidéo est la chose la plus extraordinaire que j’aie jamais vue. Cela me donne tant d’espoir pour l’avenir", jubile un internaute. "Stupidement dangereux, mais anthropologiquement fascinant", souligne un autre.
"Danger inutile"
En dépit de l’aggravation des conditions de vie en Cisjordanie, où la crise économique fait rage et où la colonisation se poursuit, les deux camps semblent unis par l’insouciance de leur jeunesse. Une scène finalement pas si surprenante : le service militaire est obligatoire en Israël dès l’âge de 18 ans. Et les 1,7 million de Palestiniens de Cisjordanie sont particulièrement jeunes (37,3 % d’entre eux avaient moins de 14 ans en 2010). Qu’elle fascine ou qu’elle dérange, la vidéo se propage comme une traînée de poudre sur les réseaux sociaux.
La sensation est telle que la chaîne de télévision israélienne Channel 2 TV s’en empare et la diffuse mercredi soir en prime time. Mais elle n’a pas le même sens du rythme. Dans son sujet, Channel 2 TV affirme que les jeunes Palestiniens sont membres du clan Jabaari, connu comme étant partisan du Hamas, l’ennemi juré d’Israël. "C’était un acte irresponsable et un manquement à la discipline qui aurait pu mettre en péril leur vie", souligne le journaliste israélien. "Les fêtards palestiniens auraient pu facilement les blesser, leur tirer dessus, les poignarder ou voler leurs armes, s’ils l’avaient souhaité, et la scène se serait achevée en tragédie."
Entretien de la peur
Vous l’aurez compris, les stars du jour vont rapidement déchanter. Dès le lendemain, l’armée israélienne, furieuse, identifie et suspend les auteurs de ce qu’elle considère comme un "sérieux incident". "Les soldats se sont exposés à un danger inutile et ont été sanctionnés en conséquence", souligne Tsahal dans un communiqué. Une réaction qui suscite l’indignation de Seth Freedman. Dans une tribune publiée par le site du Guardian, intitulée "Israël devrait féliciter ses soldats danseurs, pas les condamner", cet ex-soldat israélien explique comment Tsahal entretient chez ses militaires la peur des Palestiniens.
"Dans le chaudron de la peur et de la méfiance que constitue le conflit israélo-palestinien, tout rapport des troupes [israéliennes] avec les Palestiniens n’impliquant pas des fusils pointés sur les visages ou des ordres sommant d’obéir sagement est considéré comme un comportement hautement irresponsable et dangereux", dénonce-t-il. "Et pourtant, il est des incidents, comme la célébration commune à Hébron, qui font beaucoup pour prouver aux deux parties qu’il existe une alternative à la peur et à la haine constante."
Une leçon à retenir alors que les deux camps viennent de renouer les négociations directes sur un futur État palestinien, après trois ans de rupture.