La question des « attentats -suicide » me préoccupe beaucoup, tout comme la majorité des Palestiniens.
Malgré les injustices dont nous souffrons aux mains de l’occupation israélienne, persuader de jeunes hommes de commettre un suicide et de tuer des civils israéliens innocents est moralement condamnable.
Depuis le 11-septembre et les attentas de Madrid, le terrorisme a beaucoup attiré l’intérêt des cinéastes et des médias.
Etant donné l’actualité du sujet, de nombreuses compagnies ont choisi de produire des films et des documentaires sur les missions -suicide. Cependant bien peu ont su reproduire la situation de façon authentique, de l’intérieur et avec objectivité. Au contraire beaucoup ont choisi d’utiliser cette question pour des gains de popularité et de produire des représentations sensationnelles, échouant à expliquer les causes de cette question difficile et sensible.
Habitant de Naplouse, j’étais optimiste quand j’ai appris qu’un film allait sortir sur les attentats -suicide, situé à Naplouse et mis en scène par un Palestinien.
J’espérais qu’un Palestinien présenterait les raisons réelles qui sous tendent des missions -suicide ainsi que Ies facteurs psychologiques qui amènent un jeune homme à sacrifier sa vie d’une façon si dépourvue de sens.
Pourtant ce film m’a déçu. "Paradise Now" n’a rien fait pour montrer les conditions inhumaines dans lesquelles vivent les Palestiniens, et qui les poussent aux missions -suicide. Nombre de "kamikazes" viennent des camps de réfugiés de Palestine où ils vivent en exil et dans la pauvreté. De nombreux jeunes hommes sont au chômage. Guidés de manière complètement erronée, ils se ceignent de bombes et se « sacrifient » pour leur pays, ce qui est une façon de trouver un sens à leur vie
Au lieu de montrer cette lugubre réalité, "Paradise Now" a présenté des images de militants qui se déplacent dans la Vieille Ville de Naplouse comme Arnold Schwarzenegger. Le but évident était d’impressionner les spectateurs occidentaux et de les convaincre que Naplouse est une zone de guerre périlleuse. "Paradise Now" a simplement montré au public ce qu’il voulait voir. Les habitants de Naplouse savent bien que , s’il y a ici des problèmes de sécurité, il y a aussi un côté positif à vivre ici. Pendant la journée la Vieille Ville est sûre, débordant de marchés et pleine de vie. C’est la nuit que Naplouse est dangereuse, quand les forces israéliennes l’envahissent.
On peut résumer le film comme l’histoire de deux jeunes amis, qui partent pour une mission -suicide à Tel Aviv. Cependant, en tant qu’habitant de Naplouse, on peut trouver des erreurs dans cette histoire ce qui rend ce film peu crédible. Quand le dirigeant de la cellule qui planifie l’opération -suicide inyensifie la pression sur l’un des jeunes afin qu’il commette l’attentat, il agit comme s’il ne ressentait aucune émotion. Les militants sont présentés comme des hommes cruels, au coeur de pierre. Pas d’accolades, pas même une larme. On sait bien, au contraire, que la culture arabe montre l’émotion, même les « terroristes ».
La raison donnée pour mener l’opération sont très faibles. Les Israéliens ont tué un des dirigeants palestiniens qui est rentré en Palestine après la signature des Accords d’Oslo. Cet homme n’appartient pas à un groupe islamiste. Pourtant, malgré ça, une opération -suicide de représailles est organisée. Il aurait été plus probable qu’une attaque vienne d’un Palestinien ordinaire qui aurait perdu sa maison ou un membre de sa famille.
Les forces d’occupation entrent souvent dans la ville pour arrêter ou assassiner de supposés militants. Le résultat de ces opérations c’est la mort de nombreux Palestiniens innocents.
L’Etat d’Israël pratique aussi une politique de démolition des maisons de supposés militants. Ils le font sans une pensée pour les familles ou les jeunes enfants.
"Paradise Now" aurait également pu s’inspirer du massacre de Jénine [1] comme raison des attaques -suicide. A la place, le metteur en scène a choisi de prendre l’assassinat d’un homme politique mineur pour justifier la mort de dizaines de civils israéliens.
La fille du politicien assassiné est un personnage important dans l’histoire. Cependant le comportement de cette fille n’est pas « normal » par rapport aux citoyens de Naplouse,généralement conservateurs et traditionnels. Par exemple, la fille vit seule et ouvre la porte de son appartement à un étranger, à l’aube, ce qui est extrêmement inhabituel pour les femmes dans la culture musulmane. Elle échange aussi des baisers avec l’un des "kamikazes" avant son départ pour l’opération. La fille n’a pas même pas l’accent palestinien.
Cette fille tente de convaincre le "kamikaze" de changer d’avis mais elle n’utilise pas d’arguments raisonnables. Elle dit qu’il n’y a pas de paradis et que rien ne va changer. Il aurait mieux valu utiliser des arguments logiques. La fille aurait du dire que tuer des innocents est contraire à l’Islam et que de telles attaques auront un impact négatif pour la communauté palestinienne.
Elle aurait aussi dû expliquer l’importance des médias dans la communauté internationale, pour faire pression sur Israël afin de mettre fin à l’occupation. Elle aurait dû parler de l’embarras d’Israël devant la résistance non violente. Elle aurait pu dire quel cadeau ces attaques -suicide sont pour l’occupation israélienne, en leur permettant de justifier les invasions, les sièges, les confiscations de la terre par le mur d’apartheid.
Dans une autre scène mal écrite, "Paradise Now" montre le moment où le "kamikaze" lit la lettre d’adieu à sa mère. Ca se passe devant la caméra mais le caméraman découvre que la batterie est déchargée. Le jeune homme doit répéter son message comme s’il lisait un bulletin d’informations ordinaire. Pendant qu’il lit le message ses camarades mangent des sandwichs. Cette scène veut montrer la résistance palestinienne à son niveau le plus bas et le moins ragoûtant. Dans la réalité, les "kamikazes" sont respectés et révérés par les groupes qui mènent ces attaques. Ils ne traiteraient pas ainsi leurs camarades.
"Paradise Now" a des répercussions négatives sur l’image du conflit. Ce film n’est rien d’autre que l’exploitation du malheur des gens.
J’aimerais savoir pourquoi les autorités israéliennes ont accepté d’aider à produire ce film en recrutant ses soldats et en permettant l’accès aux Territoires Occupés. Israël n’autorise que des films qui correspondent à sa politique et à ses positions idéologiques.
Il est important de noter que le metteur en scène a rencontré des problèmes quand il filmait dans la ville de Naplouse. Son film n’était pas bien reçu par la population et il a dû acheter la protection d’hommes armés pour assurer sa sécurité. C’est ainsi qu’il a pu faire son film, sous la protection de militants mais pas celle de la population.
Je mets le metteur en scène au défi de montrer son film dans la ville de Naplouse. Une manière de juger de la qualité du film est de le montrer devant les familles des martyrs. Si ces gens là disent que le film est bon, alors il mérite la médaille d’or mais pas celle qui lui est donnée par les Américains.
"Paradise Now" a reçu des récompenses de la part de publics occidentaux qui ont une connaissance minimale du conflit. Alors que le film recevait de nombreux éloges, il est important de se rappeler que fort peu des critiques ont été au Proche-Orient, sans même parler des Territoires Palestiniens.
"Paradise Now" a été bien reçu parce qu’il correspond à une perception préconçue du conflit. Ce film a été fait directement pour le public occidental qui souhaite voir le Moyen-Orient sous un angle unidimensionnel. En bref, ce film n’a pas été fait dans le but de fournir une explication objective et qui prête à réflexion, du conflit.
Contrairement au public occidental, les habitants de Naplouse doivent vivre avec ce conflit toous les jours.
"Paradise Now" est une insulte de par la manipulation flagrante et l’exploitation de ce sujet sensible dont il est porteur. Le fait que le metteur en scène soit palestinien ne fait guère de différence. A vrai dire cela fait croire au public que ce qu’il voit est authentique.
En réalité "Paradise Now" a été l’occasion pour les accros de cinéma et les pseudo intellectuels de se mettre en avant et de croire qu’ils comprennent quelque chose alors qu’ils ne le comprennent pas.
Le metteur en scène de "Paradise Now" devrait présenter des excuses aux cinéastes internationaux qui viennent en Palestine non pas pour faire du profit mais pour produire des films originaux et pleins de sens. Malheureusement "Paradise Now" va rendre difficile la venue dans l’avenir d’autres cinéastes qui veulent montrer la réalité du conflit et la souffrance du peuple.
Paradise Now confirme l’adage qui affirme que popularité ne veut pas dire crédibilité.