Le premier ministre palestinien du Hamas, Ismaïl Haniyeh, a reçu notre correspondant dans sa maison du camp de réfugiés de Chati, ciblée par des bombardements jeudi.
Le Figaro : Certains accusent le Hamas d’avoir mené un coup d’État dans la bande de Gaza. Que leur répondez-vous ?
Ismaïl Haniyeh : Je leur réponds par une question : un coup d’État contre quoi ? Contre nous-mêmes ? Nous sommes la légitimité. Nous sommes le gouvernement légitime, qui émane du Parlement élu démocratiquement.
Pourquoi avoir pris le contrôle de Gaza par la force ?
Après la signature des accords interpalestiniens de La Mecque, qui ont permis la formation du gouvernement d’union nationale, une guerre de propagande a été lancée contre le Hamas. Le Fatah s’est comporté avec certains services de sécurité comme s’il s’agissait d’une milice lui étant affiliée. Une fois déployés dans les rues, ces services ont dressé des barrages, arrêté et tué des personnes en raison de leur appartenance à un parti, parce qu’ils portaient des barbes. Ils se sont comportés comme des pirates. Puis ils ont ouvert le feu sur le Conseil des ministres et tiré une roquette contre la résidence du premier ministre.
Il fallait mettre fin à ce désordre sécuritaire. Le calme va revenir et je pense que la situation sécuritaire sera bien meilleure qu’auparavant.
Désormais, il y aura une seule arme légitime. Nous ferons régner discipline et loi à Gaza. Ainsi il sera plus facile d’obtenir la libération du journaliste britannique Alan Johnston. Ses kidnappeurs nous écouteront davantage.
Quelles sont vos intentions ?
Mon gouvernement va poursuivre son travail. Quant à notre programme, il est clair. Nous souhaitons la création d’un État palestinien dans les frontières de 1967, c’est-à-dire à Gaza, en Cisjordanie avec Jérusalem-Est pour capitale. L’OLP reste en charge des négociations sur ce point. Nous nous engageons à respecter tous les accords passés, signés par l’Autorité palestinienne. Nous souhaitons la mise en œuvre d’une trêve réciproque, globale et simultanée avec Israël.
Allez-vous proclamer un État à Gaza ?
Non. Gaza appartient à tout le peuple palestinien et pas seulement au Hamas. Nous refusons toute idée de séparation entre les Territoires palestiniens, entre Jérusalem-Est, la bande de Gaza et la Cisjordanie, qui sont indissociables. La séparation n’est pas à l’ordre du jour et ne le sera jamais.
L’Union européenne a manifesté son soutien au président Mahmoud Abbas. Qu’attendez-vous d’elle ?
Nous remercions l’Union européenne pour l’aide apportée au peuple palestinien. Nous espérons préserver et développer cette relation. Nous espérons que l’Europe continuera ses efforts pour une levée de l’embargo. Mais nous espérons surtout qu’elle aidera les Palestiniens à atteindre leurs légitimes aspirations nationales : la création d’un État indépendant. [1]
Un cabinet de douze experts indépendants sera présenté dans la journée dans les Territoires palestiniens. Il sera dirigé par Salam Fayyad, un économiste jouissant de la confiance des Occidentaux.
Le président palestinien Mahmoud Abbas a chargé ce dernier de former un gouvernement d’urgence, après le limogeage du cabinet du premier ministre issu du Hamas, Ismaïl Haniyeh. Une décision jugée légitime par le Quartette. Ce limogeage faisait suite à la prise de contrôle de la bande de Gaza par le mouvement islamiste vendredi, au cours de combats qui ont fait cette semaine 115 morts et des centaines de blessés. Aujourd’hui, les militants du Hamas contrôlent tous les mouvements dans la bande de Gaza.
Sans surprise, la nomination de Salam Fayyad a été rejetée par le Hamas. Ismaïl Haniyeh a même fait savoir que son gouvernement continuerait à assumer ses fonctions. Les Palestiniens se retrouveraient alors avec un gouvernement dirigé par le Hamas à Gaza et un second conduit par Salam Fayyad en Cisjordanie. Comme si de rien n’était, Ismaïl Haniyeh a d’ailleurs nommé samedi un nouveau chef de la police après que le directeur actuel, fidèle au Fatah, a appelé ses hommes à ne pas travailler sous les ordres du Hamas.
Flambée de violence
En Cisjordanie, la multiplication des attaques menées par les partisans du Fatah contre leurs rivaux du Hamas suscite les craintes d’une flambée de violence semblable à celle qui a ravagé la bande de Gaza. Craignant des représailles du mouvement islamiste, une centaines de membres des services de sécurité se sont rués vers le passage d’Erez à la frontière avec Israël pour tenter de fuir.
A Khan Younès, quatre militants du Fatah ont été tués et onze autres blessés dans la journée de samedi. A Naplouse, des militants des Brigades des Martyrs d’Al-Aqsa, proches du Fatah, ont saccagé une dizaine de bureaux d’organisations liées au Hamas. A Ramallah, des hommes armés ont attaqué le bureau du vice-président du Parlement, Hassan Khreisheh. Enfin, des pillards ont achevé de vider les anciens QG de la sécurité palestinienne et des maisons abandonnées de chefs du Fatah.
Crise humanitaire ?
Après le coup de force du Hamas, son chef en exil, Khaled Mechaal, s’est pourtant voulu conciliant. Il a affirmé vendredi à Damas que son mouvement n’avait pas l’intention d’accaparer le pouvoir et n’avait pas de "problème" avec le Fatah. "Je dis à Mechaal qu’il n’y aura pas de dialogue avec ceux qui commettent des massacres à Gaza", a rétorqué samedi un proche collaborateur de Mahmoud Abbas.
Pour sa part, l’agence de l’ONU pour le secours aux réfugiés palestiniens (Unrwa) a appelé à la réouverture des points de passage de la bande de Gaza afin d’éviter une crise humanitaire dans ce territoire coupé du monde depuis vendredi et habité par 1,5 million de Palestiniens qui vivent dans des conditions "misérables".
Sur le plan diplomatique, les Etats-Unis ont fait savoir à Mahmoud Abbas qu’ils reprendraient la coopération et l’aide financière directe au gouvernement en passe d’être formé. Le premier ministre israélien, Ehoud Olmert, a immédiatement jugé que ce nouveau cabinet ravivait les perspectives de paix au Proche-Orient.
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"Il ne fallait pas dissoudre le gouvernement"
J.F Legrain
Chercheur au CNRS/Gremmo (Groupe de recherches et d’études sur la Méditerranée et le Moyen-Orient), spécialiste de la Palestine, Jean-François Legrain analyse la victoire du Hamas à Gaza :
Comment expliquer cette victoire ?
On doit d’abord remarquer l’absence sur le terrain d’une grande partie des cadres du Fatah, partis en Egypte, comme Mohammed Dahlan, ou en Cisjordanie. Mais aussi des problèmes de commandement et d’entraînement au sein du Fatah.
Qui a pris l’initiative de l’attaque ?
Le Premier ministre Haniyeh n’a pas pris cette décision. Lui a lutté pour le maintien d’un gouvernement de coalition. Cela lui a été imposé de facto. Ce sont probablement des groupes au sein de la branche armée qui ont précipité cette offensive.
Comment est-on arrivé à cette situation de guerre civile ?
C’est la traduction hypertrophiée de tous les problèmes accumulés depuis des années, qu’Arafat, malgré son affaiblissement, arrivait à maîtriser. Tout ce qui avait permis aux Palestiniens de préserver leur société face à l’occupation israélienne et au raïs de construire son pouvoir s’est retourné après sa mort contre la société. Arafat avait la connaissance des rouages de la société. Il savait en jouer, organisant notamment la concurrence entre chefs, faisant monter l’un au détriment de l’autre, puis l’inverse.
Pourquoi Abbas n’a-t-il pas suivi cette politique ?
Parce qu’il n’a pas cette maîtrise et s’est refusé à entrer dans cette logique, peut-être au nom d’une idée de la démocratie. Dès lors, en l’absence d’Etat, tous les localismes, le repli sur les liens du sang et les solidarités locales - ces mécanismes que l’on trouve dans les autres pays arabes -, les Palestiniens les ont hypertrophiés. Dès l’été 2004, peu avant la mort d’Arafat, sont survenus les premiers heurts, pas du tout entre le Hamas et le Fatah, mais dans la mouvance du Fatah. C’est là que sont apparus une multitude de groupes et sous-groupes armés qui sont l’expression de ces localismes, avec une extrême personnalisation des leaderships et des dérives mafieuses. Des luttes qui traduisent les appétits de pouvoir d’un petit chef sur une zone géographique très locale, mêlées au combat contre l’occupation israélienne. De cette dérive des groupes (officiels) de sécurité de l’Autorité palestinienne et des groupes (informels) liés au Fatah, on en est ainsi venu à l’expansion de la violence sur le terrain.
L’arrivée au pouvoir du Hamas a tout changé.
Tous ces groupes qui obéissaient à des logiques très diversifiées et même contradictoires vont se trouver un ennemi commun : le Hamas. Le nœud du problème, c’est que le Fatah et, au-delà, la présidence d’Abbas ont toujours refusé au Hamas le droit d’exercer le mandat reçu des urnes.
Mahmoud Abbas a pourtant nommé Ismaïl Haniyeh Premier ministre.
Dans un premier temps, il a respecté le verdict des urnes. Mais après, il a tout fait pour priver le cabinet de toutes les prérogatives constitutionnelles qui sont les siennes. Ainsi, en matière de sécurité, les forces de sécurité qui dépendaient du Premier ministre ont été redonnées à la présidence. On était donc dans le cas d’une désobéissance civile - pour ne pas dire plus - des forces qui se réclament du Fatah et qui refusent l’ordre constitutionnel. Abbas et le Fatah ont pourtant reçu l’appui d’Israël et de la communauté internationale. Appui militaire pour Israël, qui a permis des transferts d’armes à Gaza depuis la Jordanie et l’Egypte et de combattants du Fatah. Pour la communauté internationale, l’étranglement financier du Hamas se poursuit, et les Etats-Unis ont fourni une aide financière à la garde présidentielle, qu’elle entraîne par ailleurs à Jéricho et en Egypte.
Que va-t-il se passer maintenant ?
Une fois de plus, Abbas a pris la décision qu’il ne fallait pas : dissoudre le gouvernement d’union nationale. Il s’est ainsi privé de toute capacité de dialogue avec le Hamas. Même si ce cabinet était une illusion, il constituait une porte de sortie politique. De plus, la loi fondamentale ne lui permet pas de créer un gouvernement d’urgence, qui ne peut être que refusé par le Hamas. Il s’est enferré avec le soutien des pays arabes et de la communauté internationale, qui n’ont jamais accepté la prise de pouvoir des islamistes. Pour le Fatah, on peut prévoir une phase de refondation, d’abord à Gaza, ensuite en Cisjordanie.
Quelle sortie de crise voyez-vous ?
La seule possible, c’est de créer une force internationale, à condition qu’elle ne soit pas le bouclier d’Israël mais le bras actif de la mise en œuvre de la légalité internationale, qui n’a pas été appliquée depuis quarante ans. Mais aucun rafistolage n’est envisageable.
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voir aussi le monde
http://www.lemonde.fr/web/article/0,1-0@2-3218,36-924415@51-909163,0.html